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Chapitre I Etude bibliographique

I.8 Les enrobés bitumineux

I.8.1 Comportement des matériaux bitumineux

I.8.1.1 Comportement réversible des matériaux bitumineux

Les enrobés bitumineux sont généralement considérés, dans le domaine des petites déformations, comme des milieux continus, non-vieillissant, linéaires, viscoélastiques et thermo-susceptibles.

I.8.1.1.1 Viscoélasticité

Bien que sa structure composite grenue confère à l’enrobé un caractère hétérogène, on peut faire l’hypothèse d’un milieu continu, lorsqu’on se place à l’échelle de la structure de chaussée. Dans le domaine des petites déformations, la rigidité de l’enrobé est indépendante de l’intensité de la sollicitation (Lemaitre, Chaboche, & Germain, 1985; Linder, 1977).

Par ailleurs, l'enrobé bitumineux hérite des caractéristiques viscoélastiques du liant qu'il contient. La Figure I.20 présente les domaines de comportement des mélanges bitumineux en fonction du niveau de déformation appliqué et du nombre de charges, indépendamment de l’état de contraintes appliqué (compression, traction, pression moyenne, confinement, …). Sous un chargement instantané, l’enrobé présente un comportement instantané correspondant à l'élasticité des solides, suivi d’une réponse différée, correspondant à la viscosité des liquides. Dans le domaine des petites déformations (

<100μm/m), et pour un nombre limité de cycles, les matériaux bitumineux présentent un comportement viscoélastique linéaire (Airey & Rahimzadeh, 2004; H. Di Benedetto, Partl, Francken, & Saint André, 2001; C. Huet, 1963; Linder, 1977). En conséquence, la réponse d’un enrobé à une sollicitation ne dépend pas simplement de l’instant présent mais également de toute l’histoire passée des sollicitations. La viscoélasticité du matériau se traduit par une loi élastique usuelle écrite avec un module complexe E* et un coefficient de poisson complexe (pris réel pour les enrobés).

I.8.1.1.2 Module complexe

Le module complexe est mesuré à l’aide d’un essai consistant à soumettre le matériau à des sollicitations sinusoïdales en petites déformations, pour différentes valeurs de fréquence et de température (Mandel, 1955).

Le module complexe E* est le nombre complexe défini comme le rapport entre l’amplitude complexe de la contrainte sinusoïdale de pulsation ω appliquée au matériau σ(t) = σo sin (ωt) et l’amplitude complexe de la déformation sinusoïdale qui en résulte, en régime établi. Compte tenu du caractère viscoélastique du matériau, la déformation accuse un retard sur la contrainte, se traduisant par un angle de déphasage ϕ entre les deux signaux : ε(t) = εo sin (ωt − ϕ).

Le module complexe E*(t) peut alors s’écrire: 𝐸(t) =𝜎 (𝑡) 𝜀(𝑡)= 𝜎0 𝑒𝑖𝜔𝑡 𝜀0 𝑒𝑖(𝜔𝑡−𝜑) Soit : 𝐸(𝜔) = |𝐸| 𝑒𝑖𝜑

Où |E* est la norme (ou module réel) du module complexe, souvent appelé module de rigidité et φ, l’argument de E* est appelé angle de déphasage (ou angle de phase) du matériau. Il intervient, en particulier, pour la quantification de l’énergie dissipée dans la matière à chaque cycle de chargement.

Figure I.21 - Module complexe dans l’espace de Black (H Di Benedetto & Corté, 2005)

Les résultats de la Figure I.21, présentés dans l’espace de Black, ont été obtenus pour un enrobé bitumineux de type « béton bitumineux semi-grenu » (norme AFNOR NF EN 13108-1, 2007). Cette représentation consiste à tracer le logarithme de la norme du module complexe |E*| en fonction de l’angle de phase correspondant. La courbe obtenue est caractéristique du matériau étudié.

I.8.1.1.3 Modèle d’Huet-Sayegh

Le modèle de Huet-Sayegh (C. Huet, 1963; Christian Huet, 1999; Sayegh, 1965) est un modèle analogique qui associe deux branches parallèles ; en série un ressort de raideur Einf et deux amortisseurs à lois de fluage paraboliques de paramètres h et k, auxquels s’ajoute en parallèle un ressort de très faible rigidité comparée à Einf..

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Figure I.22 - Modèle de Huet-Sayegh

Le module complexe du modèle, illustré sur la Figure I.22, s’écrit comme suit :

𝐸(𝜔) = 𝐸0+ 𝐸𝑖𝑛𝑓− 𝐸0

1 + 𝛿(𝑖𝜔𝜏)−𝑘+ (𝑖𝜔𝜏)−ℎ

Avec 𝜔 la pulsation, 𝜏 le paramètre ayant la dimension d’un temps et qui s’apparente à un temps de retard, ℎ, 𝑘, 𝛿 les paramètres constants des éléments paraboliques du modèle (0 < 𝑘 < ℎ < 1) et 𝐸𝑖𝑛𝑓 le module instantané du modèle et E0 le module statique.

Le modèle de Huet-Sayegh permet de modéliser le comportement des enrobés pour l’ensemble des fréquences, basses et hautes, et toutes les températures.

Afin de déterminer l’évolution du module complexe avec la température, Huet propose une loi de variation de 𝜏 avec la température de type Arrhenius. Une approximation de la variation de ln 𝜏 avec la température 𝜃 sous la forme d’une loi polynomiale de degré 2 : ln(𝜏 ) = A0 + A1𝜃 + A2𝜃2sur la gamme -10 à + 40 °C (C. Huet, 1963).

I.8.1.1.4 Susceptibilité thermique

La température est un paramètre déterminant du comportement des matériaux bitumineux. En effet, le bitume qui entre dans leur composition présente une rigidité qui varie de façon très importante avec la température. Ainsi, à température basse, l'enrobé possède sous sollicitation usuelle (trafic routier) une rigidité élevée ; à température élevée, en revanche, il présente un module faible et une déformabilité importante.

Cette grande sensibilité à la température engendre des phénomènes de dégradation contrastés selon les périodes climatiques. On peut, en effet, observer sur les routes des fissures causées par une rupture fragile en hiver, et des ornières, causées par les déformations permanentes en été.

I.8.1.2 Comportement en fatigue des enrobés bitumineux

I.8.1.2.1 Introduction

Le passage des essieux des véhicules génère des déformations de faible amplitude dans les couches bitumineuses. Ces charges répétées et de courte durée ne provoquent pas la rupture immédiate du matériau bitumineux. Néanmoins, les propriétés du matériau sont dégradées par ces charges répétées qui entraînent l'apparition de microfissures. Après un certain nombre de charges appliquées, ces microfissures évoluent en macro-fissures qui causent la détérioration du matériau. Cet affaiblissement progressif des propriétés matérielles est défini par endommagement en fatigue (Hervé Di Benedetto & Corté, 2004).

Une recherche considérable a été consacré à la caractérisation du comportement en fatigue des matériaux bitumineux. On cite, entre autres, (Baaj, 2002; H. Di Benedetto, De La Roche, Baaj, Pronk, & Lundström, 2004; Y. R. Kim, Lee, & Little, 1997; Y.-R. Kim, Little, & Lytton, 2003; La Roche, 1996; Piau, 1989).

I.8.1.2.2 Principe de l’essai de fatigue en flexion 2 points

En France, l’essai de fatigue s’effectue sur une éprouvette de forme trapézoïdale qui est testée en flexion deux points. La déformation considérée est la déformation maximale subie par la fibre extrême de l’éprouvette lors d’une sollicitation sinusoïdale à amplitude de flèche constante. Cette déformation est calculée à partir de la flèche en tête en supposant le matériau linéaire et homogène. La forme trapézoïdale de l’éprouvette a été choisie pour obtenir une déformation maximale en dehors de la zone d’encastrement de l’échantillon sollicité en poutre console. Des calculs de résistance des matériaux (RDM) montrent que la rupture s’effectue généralement au voisinage de 1/5 de la hauteur totale. Une grande disparité expérimentale existe néanmoins sur les valeurs de cette hauteur.

L’essai de fatigue en laboratoire permet de déterminer la déformation 𝜀6 menant à la rupture d’une éprouvette par fatigue pour 106 chargements. Il est réalisé à une température de 10 °C et une fréquence de 25 Hz.

Pour le dimensionnement des chaussées bitumineuses, la méthode française de dimensionnement définit une déformation admissible en fatigue, 𝜀𝑡 𝑎𝑑𝑚 dans la couche d’assise bitumineuse. Celle-ci est calculée à partir de la valeur de 𝜀6. Elle tient compte du décalage existant entre les conditions d’essais de laboratoire et la réalité (chargement, température...) à travers un certain nombre de coefficients correctifs.

D’après la Norme Française NF 086 de dimensionnement des chaussées (AFNOR NF P98-086, 2011) (également transposable au cas ferroviaire), la déformation admissible 𝜀𝑡,𝑎𝑑𝑚 en bas de couche, en fonction du nombre d’essieux 𝑁𝐸, peut être définie par :

avec :

ε6(10°C, 25𝐻𝑧) : valeur de déformation conduisant, en laboratoire pour l’essai de fatigue normalisé (NF EN 12697-24), à une durée de vie de 106 cycles,

b : pente de la loi de fatigue du matériau bitumineux (−1 < 𝑏 < 0),

|𝐸|(10°𝐶, 10𝐻𝑧) : module de rigidité (norme du module complexe) obtenu à 10 °C et 10 Hz, |𝐸|(𝜃𝑒𝑞, 10𝐻𝑧) : idem pour la température équivalente eq associée aux conditions climatiques du site considéré,

𝑘𝑐, 𝑘𝑟 et 𝑘𝑠 : coefficients d’ajustement (respectivement, coefficients de calage, de risque et de plate-forme)

Le dimensionnement des couches bitumineuses est considéré comme correct lorsque 𝜀𝑐𝑎𝑙𝑐𝑢𝑙é < 𝜀𝑎𝑑𝑚𝑖𝑠𝑠𝑖𝑏𝑙𝑒 à la base des couches d’assise ; sinon, il faut augmenter les épaisseurs ou reconsidérer les matériaux choisis. 𝜀𝑡,𝑎𝑑𝑚= 𝜀6(10°𝐶, 25𝐻𝑧) × √|𝐸 |(10°𝐶, 10𝐻𝑧) |𝐸|(𝜃𝑒𝑞, 10𝐻𝑧) × ( 𝑁𝐸 106) 𝑏 × 𝑘𝑐× 𝑘𝑟× 𝑘𝑠

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I.8.1.2.3 Loi de fatigue

L’essai classique permettant d’évaluer les propriétés de résistance à la fatigue des mélanges bitumineux consiste à soumettre une éprouvette de matériau à des chargements sinusoïdaux, à niveau de déformation imposé, et à déterminer le nombre de cycles de chargement conduisant à la rupture. Ce nombre de cycles est généralement appelé « durée de vie en fatigue » et il est associé au niveau de déformation de l’essai. En testant le même matériau à différents niveaux de sollicitations, on obtient différentes valeurs de durée de vie en fatigue. La représentation la plus courante de ces valeurs est la courbe de Wöhler, qui trace l'amplitude de la sollicitation appliquée par rapport au nombre de cycles de chargement avant la rupture (Figure I.23).

Figure I.23 - La courbe de Wohler – Limite d’endurance ((H Di Benedetto & Corté, 2005)

La pente de la courbe de Wöhler est négative car on observe que la durée de vie en fatigue diminue avec l'augmentation de l'amplitude de la sollicitation. Cette courbe étant une droite en coordonnées logarithmiques, s’exprime par la relation :

𝑆 = 𝐴. 𝑁−𝑏

On appelle résistance à la fatigue pour N cycles de sollicitation, la valeur de la sollicitation conduisant à la rupture pour N cycles.

Lors d'un test de fatigue, une perte de rigidité est observée lorsque le nombre de cycles de chargement appliqués (N) augmente. De manière analogue, l'évolution de l'angle de phase présente également trois phases distinguables (Baaj, Di Benedetto, & Chaverot, 2003; Cardona, Di Benedetto, Sauzeat, Calon, & Saussine, 2016; H. Di Benedetto et al., 2004; Hervé Di Benedetto, Ashayer Soltani, & Chaverot, 1996).

La première phase constitue l’échauffement du matériau conduisant à une décroissance rapide de rigidité. La perte de module peut être complètement récupérée dans le cas où le test est arrêté. La deuxième phase est caractérisée par une croissance homogène des microfissures et une décroissance lente et continue du module. Elle est appelée la phase réelle d’endommagement par fatigue. Enfin, la troisième phase traduit l’assemblage des microfissures et leur localisation menant aux macro-fissures jusqu’à la rupture du matériau. Une chute brusque du module est observée durant cette dernière phase. Les résultats d’un essai de fatigue sont représentés sous forme de courbe de fatigue indiquant les trois phases comme le montre la Figure I.24.

Figure I.24 - Courbe de fatigue (Somé, 2012)

I.9 Utilisation des enrobés bitumineux dans le domaine