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1 Cancer et complications des traitements antinéoplasiques

1.3 Complications à long terme chez les survivants

Depuis les dernières années, la condition des survivants des cancers pédiatriques suscite de plus en plus d’interrogations. En effet, plus d’enfants survivent au cancer et leur jeune âge laisse place à une étendue de temps considérable pour le développement de problèmes de santé. On considère survivants les patients dont le diagnostic a été effectué 5 ans auparavant et qui n’ont pas eu de rechute.

Description des complications

Des études portant sur les survivants des cancers pédiatriques ont montré des altérations et des effets secondaires à long terme sur de multiples systèmes. Oeffinger et al. présentent les résultats suivants chez des survivants de cancers pédiatriques de diagnostic variés (Oeffinger et al., 2006) :

Tableau 2. Risques relatifs des survivants de cancer pédiatrique à développer des maladies chroniques en comparaison avec la fratrie

Nombre de sujets Âge moyen des

participants Résultats principaux

Sur

vi

vant

s

N= 10 397 26,6 ans

Le risque relatif ajusté des survivants de développer ces conditions, lorsque comparé à la fratrie :

• Deux maladies chroniques, RR : 4,9 (95% IC, 4,4-5,5)

• Une maladie chronique, RR : 3,3 (95% IC, 3,0-3,5)

• Une condition sévère ou mettant la vie en danger1, RR : 8,2 (95% IC, 6,9-9,7

Le sexe féminin chez les survivants était associé à un risque 1,5 x plus élevé de développer une condition sévère ou mettant la vie en danger par rapport aux survivants de sexe masculin.

Co nt le s N= 3034 29,2 ans

RR : Risque relatif, IC : Intervalle de confiance

Résultats tirés de Oeffinger et al. (Oeffinger et al., 2006)

Dans cette étude, il s’était écoulé 17,5 ans en moyenne depuis le diagnostic de cancer. Un peu plus de 28 % des survivants avaient une condition de santé sévère, mettant leur vie en

1 Tel que infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque congestive, cancer secondaire, dysfonction cognitive

danger ou qui pouvait leur être fatale. Le risque relatif de complications se voyait aussi augmenté en fonction de l’âge au diagnostic. En effet, indépendamment d’autres facteurs comme le sexe et le type de cancer, les survivants qui avaient reçu leur diagnostic à un âge plus avancé rapportaient plus de complications de santé. Pour ceux qui avaient été exposés à la fois à l’irradiation à la poitrine et à la prise d’anthracyclines, le risque d’avoir une condition de santé sévère était près de 13 fois celui de la fratrie. Les données de l’étude d’Armstrong et al. permettent aussi de soulever que les risques accrus associés à la condition de survivants sont observés chez tous les groupes d’âge (Armstrong et al., 2014). Même si l’avancée en âge est en soi un facteur de risque de complications de santé pour la population générale, dans le groupe des 35 ans et plus, le risque par rapport à la fratrie de développer des conditions pathologiques aux systèmes cardiaque, gastro-intestinal et rénal était considérablement plus élevé chez les survivants : 7,8 (95% IC, 5,4-11,5), 6,7 (95% IC, 2.4-18.5) et 7,5 (95% IC, 1-58,4), respectivement (Armstrong et al., 2014). Les auteurs concluent que les survivants, à 24 ans, ont une incidence de conditions sévères ou mettant la vie en danger comparable avec celle de leur fratrie à 50 ans. Bien que de plus en plus d’études portent sur la description de ces complications, les mécanismes impliqués demeurent inconnus.

PETALE (Prévenir les Effets Tardifs de la Leucémie de l’Enfant), une étude transversale prenant place au CHU Sainte-Justine a permis de décrire de manière approfondie l’état de santé de 247 survivants de LAL (Levy et al., 2017; Marcoux et al., 2017). La santé cardiométabolique, osseuse, neurocognitive, cardiaque et la qualité de vie ont été évaluées. L’intervalle de temps médian depuis le diagnostic de cancer pédiatrique était de 15,2 ans. Lorsque comparés à des contrôles de l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé, représentatifs de la population canadienne, les survivants de la cohorte PETALE étaient plus à risques de présenter un syndrome métabolique, une dyslipidémie et l’hypertension artérielle, malgré un risque d’obésité similaire (Levy et al., 2017). L’exposition à la radiothérapie intracrânienne était associée aux dyslipidémies, en particulier avec les niveaux élevés de LDL-cholestérol. L’obésité en fin de traitement était d’ailleurs un prédicteur de l’obésité à l’entrevue et de la présence de syndrome métabolique. Malgré un jeune âge des participants dans cette cohorte (âge médian de 22 ans), 41,3% d’entre eux présentaient une dyslipidémie et 24,7% présentaient 2 facteurs de risque ou plus (Levy et al., 2017). La stratification en fonction de l’exposition à la radiothérapie intracrânienne a montré que l’augmentation du risque relatif de complications

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cardiométaboliques chez les survivants ne demeurait significative que chez ceux qui avaient été exposés à ce type de traitement.

Les survivants présentent aussi un risque accru de développer un cancer secondaire. Les survivants de leucémie du groupe de la Childhood Cancer Survivor Study avaient 6,3 fois plus de risque de développer une seconde leucémie en comparaison avec la population générale (Nottage et al., 2011). Le système osseux est aussi affecté, sa croissance et son métabolisme étant perturbés par le cancer et ses traitements. De tels troubles peuvent mener à une maturation incomplète de l’os et prédisposer au développement d’ostéopénie et d’ostéoporose (Wasilewski- Masker et al., 2008).

De nombreuses recherches font état de l’implication de la radiothérapie en lien avec le développement de multiples complications (Barnea et al., 2015; Levy et al., 2017; Oeffinger et al., 2006). Les déficits cognitifs y sont d’ailleurs spécifiquement reliés (Therrien et al., 2013). Aussi, les complications cardiaques sont associées à l’effet cardiotoxiques des anthracyclines, un type d’agent de chimiothérapie (Armenian, Kremer et Sklar, 2015; Mulrooney et al., 2016).

Le suivi des survivants à long terme est complexe. Selon une étude effectuée aux États- Unis, plus de 20% d’entre eux avaient cessé les visites de suivi environ 7 ans après leurs traitements (Bashore, 2004). De plus, ils connaissaient peu leurs antécédents médicaux personnels et les risques de complications à long terme auxquels ils étaient assujettis (Bashore, 2004; Robison et al., 2005; Syed et al., 2016). Une étude effectuée dans trois centres hospitaliers canadiens a montré que seuls 54% des survivants âgés de 15 à 24 ans savaient qu’ils présentaient des risques de santé globale à long terme reliés à leur cancer. En fait, un peu plus du tiers n’avait pas connaissance du tout de ce risque (Syed et al., 2016). Informer adéquatement les patients des risques pourrait les motiver à poursuivre leur suivi ou à faire preuve de surveillance plus accrue. Une autre difficulté est toutefois présente : les modalités de surveillances sont souvent même méconnues des professionnels de la santé. De plus, les spécialistes qui reçoivent les dossiers en milieu adulte ne sont pas nécessairement des spécialistes du domaine d’oncologie pédiatrique (Robison et Hudson, 2014). Il a été proposé qu’un suivi incluant des stratégies générales de prévention auprès des survivants contribue à limiter les conséquences des complications de santé qui les touchent (Oeffinger et al., 2006).

Habitudes alimentaires des survivants

En cours de traitement, les enfants et adolescents acquièrent souvent des habitudes alimentaires peu favorables à la santé qui sont conservées après la guérison (Barnea et al., 2015). Il est important de considérer ces habitudes, puisqu’il s’agit d’une composante reconnue de la prévention de plusieurs maladies chroniques. Quelques études ont été faites dans le but de décrire ces habitudes et de les comparer aux recommandations de santé publique. Le Tableau 3 présente les conclusions de plusieurs études sur les apports des survivants de cancer pédiatrique comparativement aux recommandations américaines.

Tableau 3. Survol des apports nutritionnels des survivants de cancer pédiatrique lorsque comparés aux recommandations américaines

Apport insuffisant Apport excessif

• Potassiumi

• Vitamine Di

• Calciumi

• Vitamine E et cholinei

• Vitamine Ki

• Fruits et légumes entiersi,ii, iii, iv

• Protéines d’origine végétalei

• Fibres alimentairesi,ii, iii

• Acides gras saturési,ii, iv

• Sodium (apport excède l’AMT)i,ii, iv

• Sucres concentrésii

AMT : Apport maximal tolérable

Données tirées de i Zhang et al. (Zhang, Saltzman, et al., 2015), ii Robien et al. (Robien, Ness, Klesges,

Baker et Gurney, 2008), iii Berdan et al. (Berdan, Tangney, Scala et Stolley, 2014), iv Landy et al. (Landy

et al., 2013)

Tel que présenté dans le tableau 3, l’apport alimentaire en plusieurs nutriments demeure à optimiser chez les survivants. Les différents résultats sont cohérents entre eux : la faible consommation de potassium, vitamine K et fibres alimentaires peut être expliquée par le faible apport en fruits et légumes. Aussi, on sait qu’un apport en protéines végétales aide à limiter les gras saturés de l’alimentation (Hu, 2003). Chez notre population d’intérêt, les protéines d’origine végétale sont faiblement consommées et, en concomitance, on assiste à des apports excessifs en acides gras saturés (Zhang, Saltzman, et al., 2015). Les habitudes alimentaires des survivants ne sont pas différentes d’individus contrôles ou de la fratrie, à la fois en terme de nutriments et de calories ingérées (Berdan et al., 2014; Landy et al., 2013). Toutefois, leur risque de complications métaboliques augmenté par rapport à la population générale justifie

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l’importance de développer des interventions nutritionnelles auprès d’eux afin de prévenir ces problématiques. Il s’avère difficile de développer de telles interventions qui répondent à leurs besoins. En effet, il n’existe pas à ce jour de recommandations nutritionnelles spécifiques pour la population des survivants, et ce, malgré qu’ils aient ce profil de santé particulier (Zhang, Saltzman, et al., 2015).

Des chercheurs ont exploré les déterminants de certains comportements alimentaires chez les survivants. Par exemple, une étude montre que 14 des 51 survivants rencontrés avaient toujours une dysfonction sensorielle gustative à la suite des traitements alors que 6 patients étaient, quant à eux, affectés d’une dysfonction olfactive (Cohen et al., 2014). Le faible nombre de participants dans cette étude n’a toutefois pas permis d’établir des conclusions sur les liens entre les troubles du goût et de l’odorat et le type d’aliments préférés ou consommés. Shams- White et al. ont étudié la présence de compulsions alimentaires chez les survivants (Shams- White et al., 2016). Ils ont conclu que les participants, dont l’âge moyen était de 11,7 ans, avaient davantage de compulsions pour les aliments de type malbouffe comme les croustilles, frites et pizza que pour des aliments sucrés. Cela concorde avec les préférences pour ce type d’aliments acquises pendant le traitement. Toutefois, l’étude ne comportait pas de groupe contrôle et le nombre de participants n’a pas été suffisant pour détecter la présence ou non d’associations avec l’obésité (Shams-White et al., 2016). Ces études exposent, malgré certaines failles méthodologiques, l’importance d’intervenir rapidement auprès de cette clientèle pour améliorer le développement des habitudes alimentaires. D’ailleurs, une étude a montré qu’une meilleure adhérence aux principes de la diète méditerranéenne était reliée à des paramètres métaboliques favorables chez cette population, tels qu’une adiposité viscérale plus faible (Tonorezos et al., 2013).