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CHAPITRE I : INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE

I. 4.3.3.1 Les complexes de lanthanides

a. Lanthanides et effet d’antenne

Les lanthanides regroupent les quinze éléments de la sixième période du tableau pé- riodique, allant du lanthane (Z=57) au lutétium (Z=71). Les ions Ln(III) de structure électro- nique [Xe]4fn correspondent au remplissage progressif des orbitales 4f, de 4f0 pour La3+ à 4f14 pour Lu3+. Hormis ces deux derniers, tous les ions lanthanides sont luminescents, dans des domaines d’émission variables : selon la différence d’énergie entre leur état émissif et leur état fondamental, de l’ultra-violet pour Gd(III) au proche infra-rouge pour Nd(III) et Yb(III), en passant par le visible, avec Eu(III) et Tb(III), émettant dans le rouge et le vert res- pectivement (figure 26).47 L’intensité de ces raies d’émission dépend de la différence d’énergie ∆E entre le niveau excité le plus bas de l’ion(III) et son état fondamental le plus proche. Plus cette différence est faible, plus des désactivations non radiatives sont pro- bables. Ce sont ainsi les ions Eu(III) et Tb(III), les plus luminescents, qui sont les plus déve- loppés dans le cadre d’applications, car ils présentent la différence d’énergie ∆E la plus éle- vée, de 12300 cm-1 (5D0 → 7F6) et de 14200 cm-1 (5D4 → 7F0) respectivement.

Figure 26 : à gauche, diagramme d'énergie partielle des ions lanthanide (III) hydratés. (En rouge : états émis- sifs principaux ; en bleu : état fondamental)48 ; à droite, spectres d'émission de luminescence de quelques

43 Enfin, les transitions f-f, théoriquement interdites par les règles de sélection, ont d’une part des bandes d’émission très étroites (largeur à mi-hauteur < 10 nm) caractéristiques de l’ion avec une durée de vie d’émission très longue, de la microseconde pour Nd(III) et Yb(III) à la milliseconde pour Eu(III) et Tb(III), et d’autre part, des bandes d’absorption peu intenses (ε < 10 M-1.cm-1).48

Pour pallier à leur faible capacité d’absorption, une photosensibilisation efficace de ces ions doit être réalisée par l’intermédiaire d’une antenne, capable d’absorber l’énergie d’excitation et de la transférer à l’ion. Ce processus, mis en évidence par Weissman en 1942,49 est appelé processus A.TE.E (Absorption-Transfert d’Energie-Emission) ou effet d’antenne. L’antenne est généralement un chromophore organique dans la sphère de coor- dination de l’ion lanthanide, voire dans son environnement proche. On rencontre également des complexes de métaux de transition (Ir(III), Ru(II) et Re(I)) capables de jouer ce rôle via leur bande 3MLCT.50,51,52,53

Le processus A.TE.E (figure 27)54 met en jeu les étapes suivantes :

- l’excitation lumineuse du chromophore conduit au peuplement de l’état S1 excité du chro-

mophore.

- le croisement intersystème CIS S1→T1 au sein du chromophore, favorisé par effet d’atome

lourd (Ln3+), peuple l’état T1.

- le transfert d’énergie de l’état triplet du chromophore vers l’état émissif de l’ion (5D0 pour

Eu3+ et 5D4 pour Tb3+), d’autant plus efficace que la différence ∆E entre l’état T1 du chromo-

phore et l’état émissif de l’ion est adéquate. Une trop faible différence ∆E conduit à un transfert en retour vers l’état T1. Un état émissif trop haut en énergie (cas de l’état émissif 6

P7/2 pour Gd3+) n’est pas accessible pour des chromophores organiques courants.

- la désexcitation radiative de l’état émissif de l’ion se traduit par une émission de lumines- cence (transitions 5D0 →7FJ dans le rouge pour Eu(III) et 5D4 →7FJ dans le vertpour Tb(III)

avec J = 0 à 6) à longue durée de vie d’émission (> µs). L’excitation indirecte de l’ion via l’antenne permet ainsi d’obtenir de larges déplacements de Stokes.

44 Figure 27 : Effet d'antenne pour la sensibilisation de certains ions Ln(III) (Ln = Eu, Tb, Gd). Cet effet est pro- bant ici avec Tb(III) et Eu(III) mais ne permet pas d'exciter l'état émissif trop élevé de Gd(III). (flèches bleues :

processus non-radiatifs ; flèches rouges : processus radiatifs ; ISC = croisement inter-système ; en = transfert d’énergie ; ΔE = différence d’énergie entre l’état triplet de l’antenne et l’état émissif du lanthanide.54

En compétition avec ce processus A.TE.E, les processus radiatifs de fluorescence et de phosphorescence de l’antenne comme plusieurs processus non-radiatifs altèrent l’efficacité de luminescence et la durée de vie d’émission d’un complexe de lanthanide :55

- La présence de niveaux de transfert de charge LMCT (Ligand-to-Metal Charge Transfer) accessibles en énergie via l’état émissif de l’ion peut induire un transfert d’énergie en retour vers l’état triplet du chromophore. Ces bandes de transfert de charge interviennent dans les transferts d’électron photoinduit (PET) et impliquent un transfert d’électron du ligand vers le métal conduisant à la réduction photoinduite de ce dernier. Le PET est d’autant plus efficace que l’ion est facilement réduit (l’Eu(III) est plus facilement réduit en Eu(II) que l’ion Tb(III) en Tb(II)) et que le caractère donneur du chromophore est exacerbé dans son état excité.

- La présence de niveaux vibrationnels X-H (X = O, N et C dans une moindre mesure) proches en énergie des états émissifs de l’ion est une voie de désactivation non radiative prépondé- rante dans les complexes d’Eu(III) et de Tb(III). Ce processus dépend de la distance Ln(III)- oscillateur X-H et de la fréquence d’élongation vibrationnelle X-H. Cette désactivation non radiative est surtout observée entre les vibrateurs O-H des molécules de H2O (v0(O-H) = 3600

cm-1) présentes dans la première sphère de coordination de l’ion pour lesquels un couplage vibrationnel efficace existe entre l’état émissif 5D0(Eu3+) ou 5D4(Tb3+) et une des harmoniques

45 La figure 28 résume l’ensemble de ces phénomènes :

Figure 28 : Schéma des différentes voies de désactivations compétitives à la luminescence de l’ion lanthanide complexé.

b. Ligands commerciaux sensibilisant Eu(III) et Tb(III) et familles de ligands à l’étude

Pour une application biologique en tant que sonde luminescente, que ce soit in vitro ou in vivo, les complexes de lanthanide doivent répondre à plusieurs critères propres au ligand et au complexe. D’un point de vue structural, le ligand doit tout d’abord comporter un chromo- phore pouvant jouer le rôle d’antenne, susceptible de transférer de manière efficace l’énergie lumineuse d’excitation à l’ion lanthanide. Il doit présenter au moins neuf sites de coordination (atomes donneurs du type N, O) pour saturer la sphère de coordination de l’ion Ln(III) (nombre de coordination = 8-9 avec un caractère acide de Lewis) et éviter ainsi l’interaction avec les molécules d’eau pouvant conduire au quenching prépondérant de sa luminescence. Il doit également assurer une forte interaction avec l’ion Ln(III), afin que le complexe formé soit stable à pH physiologique en solution aqueuse. Enfin, pour une applica- tion biologique ciblée, le complexe doit présenter une fonction chimique permettant d’envisager un couplage covalent à un vecteur biologique d’intérêt.

D’un point de vue photophysique, la longueur d’onde d’excitation propre au chromo- phore doit être la plus élevée possible afin de limiter l’excitation délétère du matériel biolo- gique, tout en étant en accord avec la position énergétique des états émissifs de l’ion : on considère que les longueurs d’onde d’absorption ne doivent pas être situées à plus de 385 nm et 346 nm pour des complexes d’europium(III) et de terbium(III) respectivement.56 Les efficacités des différents processus impliqués dans la photosensibilisation de l’ion doivent

S0 S1 T1 Croisement Inter-Système Absorption Fluorescence Phosphorescence λ (nm) Energie LMCT Transfert d’énergie Luminescence de l’ion Antenne Ln(III) Ln* OH

46 être optimales afin d’observer une brillance et une durée de vie d’émission élevées (de l’ordre de la milliseconde).

De telles structures sont d’ores-et-déjà commercialisées pour des applications en bioa- nalyses. Il s’agit tout d’abord de cryptands, disponibles chez Cis Bio International pour une application en dosage homogène (TRACEh) et mis au point par Lehn et coll. en 1987 d’une part, 57 et Petoud et al. en 2003 d’autre part, qui possède le rendement quantique de com- plexe de Tb(III) le plus élevé dans le commerce, avec 50 % (figure 29 a et b).58 La rigidité des cryptands est un gage de stabilité cinétique et thermodynamique en milieu biologique. Les autres dérivés actuellement commercialisés sont des ligands acycliques pour une application en dosage immunologique chez Perkin Elmer Life Sciences, Amersham – GE Healthcare et Invitrogen (figure 29 c, d et e). Ces structures de type acide polyaminocarboxylique ont une grande solubilité dans l’eau. Le chromophore est soit au centre de la structure (figure 29 c et e), soit greffé en fin de chaîne de la structure chélatante (figure 29 d).

Figure 29 : Ligands pour Ln(III) commercialisés par (a, b) Cis Bio International, (c) Perkin Elmer Life Sciences, (d) Amersham – GE Healthcare et (e) Invitrogen.

h

47 D’autres structures originales ont été mises au point et ne sont pas encore commerciali- sées à ce jour. Les podands permettent une complexation et une sensibilisation des Ln(III) : sur une plateforme centrale s’articulent trois à quatre bras portant un chromophore chéla- tant. Mazzanti59 propose un podand portant trois groupements pyridine-tétrazole (figure 30a); Charbonnière propose quant à lui des dérivés bipyridine autour d’un atome d’azote central (figure 30b).60 Si les caractéristiques photophysiques des complexes qui en découlent sont très satisfaisantes grâce au nombre de chromophores, leurs solubilité en milieu aqueux est limitée. N N N N NH N N N N NH N N N N NH N N N N N N N N COOH COOH COOH COOR (a) Tb(III) ex/em= 315/545 nm = 56,1 %; = 1,56 ms (état solide) N N N N N N COOH COOH HOOC HOOC N H O NCS N N N N N N HOOC COOH H2N COOH 4 N N N N PO3H-C4H9 PO3H-C4H9 C4H9-HO3P N N N N HOOC COOH HOOC N N N N (b) Tb(III) : ex/em= 308/545 nm = 20800 M-1cm-1 = 31 %; = 1,48 ms (H2O) (c) Eu(III) : ex/ em= 330/615 nm = 17 %; = 1,00 ms (H2O) (e) Tb(III) : ex/ em= 272/549 nm = 3000 M-1cm-1 = 51 % (H2O) (d) Eu(III) : ex/ em= 334/615 nm = 10800 M-1cm-1 = 13 %; = 1,1 ms (H2O) (f) Eu(III) : ex/ em= 348/615 nm = 18 % (H2O) Figure 30 : Structures capables de complexer et sensibliser les Ln(III). (a) et (b) sont des podands, (c) est acy-

48 Les ligands acycliques sont également développés (figure 30c). Ils dérivent générale- ment du DTPA ou de son homologue plus long, TTHAi, auquel est lié un chromophore chéla- tant, en bout ou dans la chaîne (figure 30c).61 Si leurs principaux avantages sont leur grande solubilité et la cinétique rapide de complexation des ions lanthanide, ils sont moins stables en solution que des structures plus rigides, comme notamment les dérivés macrocycliques. Ces derniers existent également sous deux formes : ce sont soit des macrocycles intégrant le chromophore (figure 30d et e) comme ceux que proposent Bornhop et al.62 pour une appli- cation endoscopique ou notre équipe63 avec une brillance élevée, soit des macrocycles où le chromophore est un bras pendant (figure 30f).64 Ces structures présentent l’avantage d’être rigide de par le macrocycle et soluble dans l’eau grâce aux groupements acide carboxylique nombreux. Si leur cinétique de complexation des Ln(III) est plus lente, leur stabilité thermo- dynamique est plus grande.

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