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Comparaison de deux limites de plaques décrochantes : la Faille Nord Anatolienne et la Faille de San Andreas

superficielles et profondes sous la Faille Nord-Anatolienne, Turquie

4.3 Comparaison de deux limites de plaques décrochantes : la Faille Nord Anatolienne et la Faille de San Andreas

Nous avons évoqué plus haut, grâce à la Figure 4.1, la similarité qui existe entre la Faille de San Andreas et la Faille Nord Anatolienne tant en termes de structures (géométrie, longueur, etc.) que de dynamique (directions de cisaillement, vitesse de glissement, etc.) mais aussi du point de vue de leur dangerosité de par le fait qu’elles se trouvent toutes deux à proximité immédiate de grands centres urbains tels que Los Angeles, San Francisco ou Istanbul. Cependant, ces similitudes masquent d’importantes divergences en termes de signature anisotrope et donc de propagation de la déformation. La faille de San Andreas se démarque en effet de la Faille Nord Anatolienne par la mise en évidence d’une couche anisotrope, vraisemblablement localisée dans la lithosphère, montrant des directions de polarisation parallèles à la structure de la FSA en surface. Toutes les tentatives d’obtenir le même type de résultats sous la FNA ont pour l’instant échouées, nous conduisant à nous questionner sur la répartition de la déformation sous cette limite de plaque.

Si les paragraphes précédents étaient principalement consacrés à la description de la FNA et à la présentation des mesures d’anisotropie en Anatolie, nous nous focaliserons, dans cette partie, sur les

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possibles causes de l’absence de signature anisotrope associée à la FNA et ce, par le biais d’une comparaison entre les caractéristiques de Faille de San Andreas et de la Faille Nord Anatolienne.

4.3.1. Partitionnement de la déformation en surface

Autour de la Faille de San Andreas, les paramètres anisotropes mettant en évidence la présence de deux couches d’anisotropie, s’ils sont nombreux en Californie centrale et en Californie du Nord [Ozalaybey et Savage, 1994; Silver et Savage, 1994; Ozalaybey et Savage, 1995; Hartog et Schwartz, 2000,2001; Bonnin, et al., 2010], sont absents de la Californie du Sud [Liu, et al., 1995; Kosarian, et al., 2011]. Or la Californie du Sud est caractérisée par un fort partitionnement de la déformation et notamment par une démultiplication du nombre de failles. Le mouvement relatif entre la plaque Pacifique et la plaque Amérique du Nord est donc accommodé sur de nombreuses failles ne permettant vraisemblablement pas à une déformation mesurable par des ondes télésismiques à grande longueur d’onde de se développer. Les domaines présentant une participation de la FSA à la signature anisotrope sont donc caractérisés par une localisation de la déformation sur une seule, ou du moins, sur un nombre très réduit de failles (2 à 3). Une hypothèse envisageable pour expliquer l’absence d’anisotropie à grande échelle associée à la FNA peut donc être celle d’un trop grand partitionnement de la déformation à travers l’Anatolie.

La FNA, comme nous le montrent les données GPS [Reilinger, et al., 2006] (cf. Figure 4.6), accommode l’essentiel du mouvement relatif entre le bloc Anatolie et la plaque Eurasie. Ces données montrent en effet que la branche se développant vers l’intérieur de l’Anatolie n’accommode que très peu de déplacement. La FNA est donc de ce point de vue très comparable à la partie centrale de la Faille de San Andreas, et devrait par conséquent être propice au développement d’une déformation pénétrative dans la croûte et a priori dans le manteau. La distribution de la déformation à l’échelle de l’Anatolie n’est donc vraisemblablement pas à l’origine de l’absence d’observation d’une anisotropie reliée à la limite de plaque.

4.3.2. Âge de la faille et quantité de déformation associée

La quantité de déformation produite à la faille est un paramètre déterminant quand on s’intéresse à l’anisotropie sismique. En effet, la force des fabriques cristallographiques, qui sont à l’origine de cette anisotropie, va être fortement dépendante de la quantité de déformation finie subie par le milieu, en particulier pour des quantités de déformation relativement faibles (0 < 3, 0 représentant le facteur d’allongement d’un objet déformé). Or la déformation finie est directement dépendante du rejet total de la faille, lui-même fonction de son âge et de son taux de glissement moyen, et de la largeur de la zone déformée.

En Californie, la zone à deux couches d’anisotropie s’étend, au niveau de la Baie de San Francisco où elle est la plus large, sur environ 100 kilomètres [Thatcher et England, 1998] et sur quelques dizaines de kilomètres plus au Sud, où la Faille de San Andreas ne présente qu’une seule branche. Le rejet total

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systématiquement supérieur à 3 ce qui est en accord avec le développement, en profondeur, de fabriques cristallographiques suffisamment fortes et suffisamment pénétratives pour créer une anisotropie sismique mesurable par des ondes SKS.

En Anatolie, la zone de déformation associée à la FNA est relativement étroite, se limitant à quelques kilomètres [Hubert-Ferrari, et al., 2002]. Le rejet total, certes plus limité que celui de la faille de San Andreas du fait du plus jeune âge de la FNA, atteint tout de même 80 kilomètres [Hubert-Ferrari, et al., 2002]. La quantité de déformation y est donc certainement suffisante pour y voir se développer des fabriques cristallographiques fortes jusqu’à des profondeurs lithosphériques. En outre, nous avons vu dans la partie concernant la modélisation numérique de la déformation sous une limite de plaque décrochante en mouvement, réalisée pour des vitesses de glissement à la faille proches de celles mesurées en Anatolie et pour une limite de plaque de 10 kilomètres de large, qu’une anisotropie associée au décrochement pouvait être mesurée sous la limite de plaque au bout de seulement 5 Ma de déformation. Les 10 Ma d’existence de la FNA semblent donc être largement suffisants pour qu’une anisotropie mesurable par des ondes de cisaillement télésismiques s’y développe.

4.3.3. Structure de la lithosphère et partitionnement de la déformation en profondeur

Le voisinage de la Faille de San Andreas comme celui de la Faille Nord Anatolienne est marqué par la présence, à des profondeurs lithosphériques, d’importantes anomalies de température. Dans ces deux cas, les anomalies, causées par l’ouverture de fenêtres asthénosphériques suite à des ruptures de panneaux plongeant consécutif au blocage de la zone de subduction associée [Hamilton, 1969; Dilek et Sandvol, 2009], sont accompagnées d’importantes érosion du manteau lithosphérique. En témoigne les importants épanchements volcaniques présents en Californie centrale [Dickinson, 1997; Titus, et al., 2007] ou en Anatolie Orientale [Dilek et Sandvol, 2009]. La lithosphère sous ces deux limites de plaques majeures a ainsi une épaisseur comprise entre 60 et 70 kilomètres [Melbourne et Helmberger, 2001; Li, 2007; Abt, et al., 2010; Pasyanos, 2010].

Cette similitude des épaisseurs lithosphériques doit cependant être nuancée par une importante disparité des épaisseurs crustales. En Californie, la croûte continentale est ainsi épaisse d’environ 25 kilomètres [Wallace, 1990; Zhu et Kanamori, 2000; Yan et Clayton, 2007], se trouvant légèrement amincie par rapport à une épaisseur de croûte, dite « normale », de 30 kilomètres. A l’inverse, l’Anatolie est caractérisée par une zone de hauts plateaux présentant des croûtes sensiblement épaissies, de l’ordre de 40 à 50 kilomètres [Zor, et al., 2003]. Ces importantes différences d’épaisseur crustale, pour des épaisseurs de lithosphère globalement équivalentes, se traduisent par un important écart quant à la quantité de manteau lithosphérique présente sous ces limites de plaques. Or, l’essentiel de l’anisotropie sismique contenue dans la lithosphère est généralement attribué au manteau lithosphérique, qui est majoritairement constitué d’olivine, cristal anisotrope intrinsèquement et développant de fortes fabriques cristallographiques dans les conditions de pression et température

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régnant dans la lithosphère [Nicolas et Christensen, 1987]. La croûte est quant à elle généralement vue comme présentant une signature anisotrope, pour les ondes télésismiques au moins, de second ordre (cf. discussion dans la section 2.2.2).

Il est donc raisonnable de penser que notre incapacité à mesurer une anisotropie associée à la Faille Nord Anatolienne soit principalement due à une importante érosion thermique du manteau lithosphérique sous la zone de hauts plateaux [%engör, et al., 2003]. Un tel processus a pour conséquence de limiter le développement de l’anisotropie à la seule croûte, croûte qui est connue pour être relativement faiblement anisotrope à grande échelle. Cette explication de l’absence d’anisotropie reliée à la limite de plaques nécessite néanmoins la présence d’une zone de découplage entre la lithosphère et l’asthénosphère afin de rendre compte du fait que la déformation ne se développe pas en profondeur. La présence d’une zone de découplage entre la lithosphère et l’asthénosphère semble en outre justifiée par le fait que les directions de polarisation mesurées en Anatolie soient totalement déconnectées des mouvements de plaques et des structures de surface. Cette nécessité de faire intervenir une zone de découplage sous la FNA pour rendre compte des mesures d’anisotropie constitue l’un des points communs les plus troublants avec la Faille de San Andreas.

Figure 4.16: Carte présentant le nombre d'ondes SKS supérieures à une magnitude de 6 pouvant être enregistrées en Méditerranée orientale (gauche) et en Amérique du Nord (droite) pour les années 2002 (haut) et 2003(bas) ainsi que leur couverture azimutale (barres grises). http://www.gm.univ-montp2.fr/spip/spip.php?article1006.

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Bien qu’elle présente de nombreuses similitudes avec la faille de San Andreas, la faille Nord Anatolienne n’a pour l’instant pas fourni de preuve de son enracinement dans le manteau, l’ensemble des mesures en Anatolie étant caractérisées par des directions de polarisation des ondes rapides obliques à la faille. Ce paradoxe peut avoir deux origines que l’on ne peut discriminer en l’état actuel des choses.

En premier lieu, la couverture azimutale en ondes SKS disponible pour l’Anatolie à partir des expériences temporaires d’une durée de deux années, est très incomplète. En effet, seuls deux cadrans azimutaux sont éclairés et, qui plus est, ces deux cadrans rassemblent des événements provenant d’azimuts séparés de 180°. Sachant que la présence de deux couches d’anisotropie se met en évidence grâce à l’observation de variations azimutales des paramètres anisotropes d’une périodicité de 2/2, il est par conséquent difficile de pouvoir déduire des données actuelles la présence d’une éventuelle complexité verticale. Ce problème pourrait être résolu par la mise en place, en Anatolie, de stations sismologiques permanentes permettant d’améliorer au fil du temps la couverture azimutale disponible et la qualité des données. La Figure 4.16, qui présente le nombre d’ondes SKS de magnitude

m

b > 6 pouvant être enregistrées les années 2002 et 2003 en Méditerranée orientale et en Amérique du Nord, montre ainsi que seule une soixantaine d’événements ont pu être analysé tous chacune de ces année en Anatolie pendant que la Californie en fournissait environ une centaine. Cette Figure nous montre également que ces deux régions présentent une couverture azimutale relativement complète mais déséquilibrée, certains cadrans azimutaux étant plus largement éclairés que d’autres. Sachant que seuls environ 10% de l’ensemble des événements enregistrés conduisent à une mesure fiable des paramètres anisotropes, on comprend mieux la nécessité de recourir, le plus systématiquement possible, à l’utilisation de stations permanentes.

Notre difficulté à déceler une déformation mantellique associée à la FNA peut aussi simplement vouloir dire qu’il n’y en a pas. En nous basant sur les observations faites en Californie et sur notre modélisation numérique de la déformation sous une limite de plaque décrochante, nous pensons qu’une éventuelle absence de déformation pénétrative sous la FNA peut être attribuée à l’importante érosion thermique du manteau lithosphérique sous les hauts plateaux turco-iraniens. En effet, un manteau lithosphérique extrêmement aminci ne laisse guère de possibilité à la déformation associée à la dynamique de la limite de plaques de se développer en profondeur. Cette explication nécessite néanmoins l’existence d’une zone de découplage généralisée entre la lithosphère et l’asthénosphère sous l’ensemble des hauts plateaux anatoliens et empêchant la déformation décrochante de se développer dans l’asthénosphère. Si nous n’avons pas d’explication pour l’origine de cette zone de découplage, elle semble néanmoins en accord avec le fait que les mesures d’anisotropie ne sont en relation avec aucune structure de surface ni aucun mouvement absolu de plaque. Ceci suggère, peut-être, que la déformation visible actuellement dans le manteau ait pu être induite par le retrait de

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panneaux plongeant vers la mer Égée et la Turquie. Ce phénomène a par ailleurs été mis en évidence dans d’autres régions méditerranéennes et indiquerait que la déformation du manteau supérieur soit fortement contrôlée par le mouvement des zones de subduction et des panneaux plongeant associés.

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Chapitre 5 - Conclusions et