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Comparaison des données oculométriques des adultes et des enfants

4.4 Expérience oculométrique

4.4.5 Comparaison des données oculométriques des adultes et des enfants

Nous avons vu au §2.7, que les comportements de lecture de texte diffèrent en fonction de

l’âge des individus et que ceci peut être expliqué par des différences de traitement lexical.

Nous voulons vérifier si nous observons les mêmes résultats avec nos propres données. Afin

de vérifier s'il existe des différences significatives entre les mesures oculométriques du groupe

des adultes et celles du groupe des enfants, nous avons effectué 20 ANOVAs à un facteur (le

groupe). Les résultats de ces analyses (colonne 3 du Tableau 9) montrent que les différences

sont significatives, c’est-à-dire que nous rejetons l’hypothèse que les moyennes des deux

groupes sont égales, à l’exception de cinq mesures (la probabilité de regression -1/-n,

probabilité de régression totale, la probabilité de progression +1 et la longueur de la saccade

régressive). Les boites à moustaches pour chaque mesure dépendante et pour chaque groupe

sont présentées en annexe D.

Regardons maintenant les résultats présentés dans le Tableau 9. Nous pouvons remarquer que

les FFD (230ms ; 249ms17), GD (254ms ; 303ms) et la durée moyenne de la fixation (225ms ;

240ms, 256ms(2), 283ms (3), 235ms(4)) pour les adultes correspondent à un écart-type près

aux données de la littérature. Pour les enfants, nous avons trouvé uniquement la durée

moyenne de la fixation dans la littérature (257ms ; 279ms(1), 285ms (2)), 235ms (3), 275ms

(4)) qui correspond également, à un écart-type près, à nos données. A partir de ces résultats,

nous pouvons remarquer que les adultes font des fixations de plus courte durée, ce qui

impliquerait qu’ils identifient les mots plus rapidement. Nous observons des différences au

niveau du temps total de lecture qui est plus court chez les adultes et qui s’expliquerait

partiellement par le fait que les adultes intègrent le sens du texte plus efficacement.

Maintenant, regardons les probabilités de sauter un mot et au contraire de le fixer une ou deux

fois. Comparés aux enfants, les adultes ont une probabilité plus élevée de sauter les mots

(0.33 ; 0.2318). Une valeur élevée de cette probabilité est un indicateur de bonnes

connaissances lexicales qui permettent de « prédire » le mot en fonction de son contexte et

d’un traitement lexical aisé car le lecteur peut allouer une partie de ses ressources

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L’ordre des valeurs indiquées est d’abord celles issues de notre expérience puis celles reportées de la

littérature.

Chapitre 4 – Expériences

attentionnelles pour le traitement du mot suivant et donc le sauter. De plus, les adultes fixent

souvent le mot une seule fois (0.48; 0.42). La probabilité de fixer un mot une seule fois est un

indicateur que la décision « où » bouger les yeux est bien programmée, là où l’identification

du mot est optimale. De la même manière, les adultes ont besoin de moins de fixations pour

lire le texte en entier (0.89 ; 1.3), ils effectuent moins de fixations par mot (1.35 ; 1.71) et de

refixations (0.15 ; 0.27) bien évidemment. La probabilité de refixation (0.15 ; 0.11) trouvée

pour les adultes correspond aux données reportées dans la littérature à un écart-type près,

tandis que la probabilité de refixation pour les enfants ne correspond pas aux données de la

littérature (0.27 ; 0.15). La probabilité de régression totale reportée dans notre étude (0.18 ;

0.21 (1)19, 0.22 (3)) pour les adultes est consistante avec les données de la littérature

également, tandis que pour les enfants elle est différente (0.27 ; 0.15). De plus, nous

n’observons pas de différence significative entre les deux groupes au niveau de la probabilité

de régression totale vers le mot d’avant (0.09 ; 0.11) ou vers le mot plus loin (0.08 ; 0.07) et

pour la longueur de la saccade régressive (12.8 caractères ; 12.5 caractères). Ces résultats

indiqueraient que d’autres facteurs qui ne s’expliquent pas par les différences d’âge et de

connaissances lexicales, modulent ces mesures. L’absence de différence entre la probabilité

de régression chez les adultes et les enfants (environ 18%), pourrait s’expliquer par des

stratégies de lecture différentes. Il est possible que les adultes adoptent une stratégie plus

risquée (des saccades progressives plus longues (12.7 caractères ; 11.1 caractères), une

probabilité de progression totale plus grande (0.67 ; 0.56) et des sauts de mots plus fréquents)

qui les obligerait à effectuer des retours en arrière pour acquérir l’information manquante au

premier passage. Il est possible que les 18% de régressions soient un compromis entre vitesse

et fluidité de lecture : soit le lecteur lit vite et il est pénalisé par les régressions obligatoires,

soit il lit lentement, il effectue peu de régressions mais il perd plus de temps. Les 18% de

régressions, étant le résultat de ce compromis, pourraient donc être les mêmes chez des

lecteurs experts ou débutants, indépendamment de l'habileté à lire.

Maintenant, regardons les valeurs reportées par la 5ème étude (Pynte et al., (2006)) pour la

longueur moyenne de la saccade pour la lecture en français. La longueur de la saccade

progressive pour les adultes dans notre étude (12.7 caractères ; 10.0 caractères) est

comparable à un écart-type près à celle trouvée par Pynte et al., (2006). Concernant les

enfants, nous disposons uniquement des valeurs des saccades pour l'anglais qui sont

légèrement plus courtes que pour le français. Ces résultats pourraient s’expliquer par les

Chapitre 4 – Expériences

différences au niveau des longueurs des mots en français qui sont légèrement plus longs qu’en

anglais.

Ces résultats, en accord avec ceux observés dans la littérature, suggèrent que notre méthode et

notre dispositif expérimental sont valides.

Finalement, nous nous sommes aussi intéressés aux corrélations entre la probabilité de sauter

un mot, la fréquence lexicale, la longueur des mots et leur prédictibilité20 pour les adultes et

les enfants, résumées dans le Tableau 10.

Adultes

Enfants

probabilité de

sauter un mot

fréquence des

mots longueur de mot

prédictibilité de

mots

probabilité de

sauter un mot 0,56 -0,76 0,28

fréquence des

mots 0,73 -0,54 0,29

longueur de mot -0,79 -0,60 -0,27

prédictibilité de

mots 0,30 0,26 -0,25

Tableau 10 : Corrélations entre la probabilité de sauter un mot, la fréquence lexicale, la longueur des mots et

leur prédictibilité. La partie inférieure (en rouge) comporte les corrélations pour les données des enfants et la

partie supérieure (en noir) les corrélations pour les adultes.

Ces corrélations sont très similaires pour le groupe des enfants et pour le groupe des adultes.

Comme discuté dans le §2.4.1.2.5, la probabilité de sauter un mot augmente pour les mots

fréquents et prédictibles car ils sont plus susceptibles d’être identifiés et « devinés »

rapidement par les individus. Nous pouvons aussi observer un autre résultat bien documenté

(§2.4.1.2.5): plus un mot est long, plus la probabilité de le sauter va diminuer et ceci

s’explique en partie parce qu’il est moins prédictible. Il existe également, une corrélation,

quoique faible, entre la prédictibilité des mots et leur fréquence car il très probable que les

mots plus fréquents sont aussi plus prédictibles.

En conclusion, ces différences observées au niveau des mouvements oculaires chez les adultes

et les enfants pendant la lecture refléteraient une différence au niveau des connaissances

lexicales notamment dans la rapidité de l’identification des mots, de la compréhension de

texte et de la stratégie de lecture. Dans le chapitre suivant, nous analyserons ces différences

observées au travers des valeurs de paramètres contrôlant le traitement lexical du modèle

EZ-Reader.

Chapitre 4 – Expériences

4.4.6 Analyse exploratoire des relations entre les données oculométriques et les