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II. Menaces qui pèsent sur les moules et la profession mytilicole :

3. Compétition, colonisation et surpopulation

Un paramètre supplémentaire qui peut entraver le bon développement des animaux et menacer la production mytilicole, est l’accès à la ressource trophique. En effet, dans les zones littorales où elles sont cultivées, les moules ne sont pas les seules consommatrices de phytoplancton ; ainsi, elles sont continuellement en compétition avec les autres espèces dont

c’est également la source de nourriture. En outre, au sein même d’une population de moules, les individus sont en compétition entre eux (comme mentionné dans la partie I.3.a.ii., certaines

moules grossissent plus vite que d’autres car elles ont un accès facilité à la ressource trophique).

En France, les principaux compétiteurs des moules pour la ressource trophique, et naturellement présents dans le milieu sont :

• Les balanes33 : ce sont des crustacés exclusivement intertidaux et présents dans des régions plutôt septentrionales – comme la Bretagne, la Normandie et le Nord (Gruet, 2002). Les balanes vivent fixées sur tous types de supports durs (rochers, pieux de bouchots, etc.) et même sur certains organismes vivants, comme les moules (Figure 20).

Elles constituent l’un des épibiontes les plus courants. En plus de la compétition qu’elle

exerce, les balanes sont particulièrement gênantes pour les professionnels et la commercialisation des moules.

Figure 20 : Moules de bouchot et pieux colonisés par les balanes, à Bricqueville-sur-Mer (Manche). Photos © Maud Charles

La crépidule, Crepidula fornicata : ce mollusque gastéropode est une espèce introduite, envahissante, elle est présente sur toutes les côtes françaises (et européennes) jusqu’à l’étage infralittoral ; elle se plait particulièrement dans les eaux de la Manche et est en conséquence, très présente en Bretagne et en Normandie (MNHN, 2003). D’importants

secteurs mytilicoles, comme la baie de Saint Brieuc ou la baie du Mont-Saint-Michel, sont très concernés par l’invasion de crépidules et font partie des sites les plus colonisés du littoral français (Blanchard, 2009 ; Cugier, 2010 ; Cugier et al., 2010). En 2004, dans la baie du Mont-Saint-Michel, la biomasse de C. fornicata était estimée à plus de 150 000 tonnes (Blanchard, 2009). Cet envahissement a un impact significatif sur la compétition trophique, puisqu’à ce moment-là, 40 % du phytoplancton total filtré

par l’ensemble des « filtreurs » de la baie l’était par la crépidule (Cugier et al., 2010 ; Figure 21).

Figure 21 : Contribution des principaux « filtreurs » à la quantité totale de phytoplancton filtrée en une année dans la baie du Mont-Saint-Michel (Cugier et al., 2010)

Sur cette figure, on constate que seuls 20 % du phytoplancton filtré le sont par les huîtres et les moules qui sont les seuls bivalves cultivés dans la baie ; les autres « filtreurs » (hormis C.

indirectement leur nuire. En effet, l’envasement qu’il génère lors de sa colonisation à la surface des animaux entrave pleinement leur survie.

Durant l’été 1963, des mortalités d’une grande ampleur (80 %) sont observées en mer des Wadden (à la frontière entre le Pays-Bas et le Danemark). En effet, une épaisse couche de limon vaseux collant et agglomérant, est constatée, recouvrant l’ensemble des moules

(Korringa, 1963). Cette pellicule sédimentaire est en fait un amas de tubes et de galeries formés par cet annélide, P. ciliata, qui empêche les moules de filtrer l’eau. Si toutefois elles y arrivent, l’eau pompée emmène avec elle des particules de vase et de limon qui finissent par obstruer les branchies des animaux. In fine, que les moules filtrent ou non, l’issue reste la même, elles meurent d’asphyxie. Le même phénomène est observé pour la première fois en France à Quend-Plage (au nord de la baie de Somme) en 1996, où il entraine 80 % de mortalité sur les moules de bouchot. Cet événement printanier particulier, décrit comme un « placage de vase » (Figure 22A), se manifeste de nouveau en 2001 sous forme d’épaisses couches

pouvant atteindre 10 à 15 cm (Figure 22B) (Ropert & Olivési, 2002).

Figure 22 : Envasement des bouchots causé par Polydora ciliata et moyens de lutte. (A) Pieux victimes de recouvrement ou « placage de vase » ; (B) Épaisse couche de limon vaseux agglomérant formée par les tubes et galeries de P. ciliata ; (C) Grattoir spécifique utilisé pour nettoyer les pieux ; (D)

Nettoyage des pieux par un mytiliculteur à l’aide d’une pompe à eaux. Photos © Michel Ropert

Korringa (1963) expliquait que la prolifération exceptionnelle et massive de P. ciliata dans la mer des Wadden en 1963, était très probablement due à la grande quantité de matières organiques en décomposition présente dans le milieu à la suite des mortalités des

organismes benthiques (dont les moules34) de l’hiver 1962-1963. Polydora ciliata est un carnivore détritivore qui se nourrit de toutes particules benthiques et planctoniques (Chéramy, 2001). Un milieu très riche en détritus organiques, nutriments et autres matières en suspension contribue donc fortement au développement de cette espèce. Par ailleurs, la présence de balanes sur les coquilles des moules offrirait un substrat rugueux particulièrement favorable au recrutement des larves de P. ciliata (Korringa, 1963 ; Ropert & Olivési, 2002). Il n’existe

pas de moyen de lutte préventif ; la seule possibilité pour les mytiliculteurs est de nettoyer

leurs pieux lorsque l’envasement est constaté, à l’aide d’un « grattoir » spécifique (Figure 22C)

ou d’une pompe à eaux (Figure 22D).

Quelle que soit l’espèce avec laquelle les moules peuvent être en compétition, cela peut avoir une conséquence directe et significative sur leurs performances de croissance en

raison d’un épuisement de la ressource trophique (Cugier, 2010). De façon similaire, la colonisation ou la surpopulation des zones exploitées sont réputées pour être néfastes. Une densité trop importante de mollusques dégrade les capacités nutritives des sites et perturbe les équilibres physiques et biologiques naturels du milieu (voir McKindsey et al., 2006) ; elle est également connue pour faciliter la propagation des maladies et des parasites (Lambert, 1952 ; Lubet & Dardignac, 1976). Les crises successives dues à Mytilicola entre les années

60 et 80 dans les baies de l’Aiguillon et du Mont-Saint-Michel35 ont d’ailleurs fortement

contribué à faire réduire le nombre de bouchots dans certaines zones mytilicoles surchargées (Bompais, 1991).

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