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Comorbidités avec les drogues d’abus : emphase sur le cannabis

1. LA SCHIZOPHRÉNIE

1.4 Comorbidités avec les drogues d’abus : emphase sur le cannabis

La schizophrénie présentant de nombreux symptômes communs à d’autres maladies (anxiété, dysphorie, déficits cognitifs…), il n’est pas rare que les patients souffrant de schizophrénie présentent un double-diagnostic : on parle alors de comorbidité. Nous nous intéresserons ici plus particulièrement à la dépendance aux drogues d’abus. Au cours de leur vie, plus de la moitié des patients atteints de schizophrénie consomment des drogues d’abus ou en deviennent dépendants. Cinq fois plus de patients atteints de schizophrénie que d’individus dans la population générale auront un diagnostic de comorbidité ou de dépendance à une ou

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plusieurs drogues d’abus (Gregg, Barrowclough et al. 2007). Le type de drogues consommées varie grandement d’un patient à l’autre (Figure I-2).

Prévalence de dépendance aux drogues d'abus

Cann

abis

Nico

tine

Alco

ol

Coca

ïne

Hero

ïne

Hallu

cinog

ènes

Méth

amph

étam

ine

P

ourcen

tag

e

0

10

20

30

40

50

60

Patient atteint de schizophrénie Population général >26 ans

51 0.5 45 14 43 3 36 0.3 2.20.1 13.4 0 9.5 0.1

Figure I-2 :Prévalence de la dépendance aux drogues d'abus.

Ce graphique indique le pourcentage de personnes dépendantes pour chaque substance. Les barres noires indiquent les taux parmi les patients atteints de schizophrénie, les barres blanches ceux dans la population générale âgée de plus de 26 ans. Dans le cas du cannabis, la faible proportion de dépendance dans la population générale provient du fait qu’ici ne sont présentées que les données de personnes de plus de 26 ans. Hors la prédominance de cette dépendance se retrouve généralement chez les 18-25 ans, avec un taux de 4%. Concernant l’alcool, les données compilées indiquent une dépendance chez les patients atteints de schizophrénie qui peut aller jusqu’à 65%. Les données de ce graphique, rassemblée entre 2000 et 2010, sont issues de l’article de P.H. Addy and al., 2012, Comorbid Alcohol, Cannabis, and Cocaine Use Disorders in Schizophrenia: Epidemiology,

Consequences, Mechanisms, and Treatments. Focus, Mars 2012; 10:140-153 en accès disponible sur le site de l’American Psychiatry Association : http://focus.psychiatryonline.org/article.aspx?articleid=1201004).

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Les causes pouvant expliquer la comorbidité entre les troubles d’abus de substances et la schizophrénie sont nombreuses. Quatre hypothèses retiennent l’attention. Tout d’abord l’hypothèse de l’auto-médication, la plus souvent mentionnée dans la littérature, suggère que les patients consomment des drogues d’abus afin de réduire certains symptômes tels que la dysphorie et certains effets secondaires désagréables causés par la médication. La deuxième hypothèse est celle de la sur-sensibilité à certaines substances. Un postulat sous-jacent à cette hypothèse est que la schizophrénie résulte de l’interaction entre une vulnérabilité biologique et psychologique issues d’anomalies génétiques ou épigénétiques et des évènements stressants. Or, cette interaction serait propice au développement d’un trouble d’abus de substances. La troisième hypothèse propose une origine commune de nature génétique, neuropathologique, environnementale et cognitive aux deux troubles. Enfin, la quatrième hypothèse suppose l’existence d’une relation bidirectionnelle entre le trouble d’abus de drogues et la schizophrénie, l’un aggravant l’autre et vice-versa. Bien que l’ensemble de ces hypothèses soient soutenues par de nombreuses évidences dans la littérature, il semblerait qu’une seule hypothèse ne puisse rendre compte de la complexité de cette comorbidité (pour revue, (Gregg, Barrowclough et al. 2007)). Puisque le projet de recherche présenté dans cette thèse visait à étudier les aspects neurobiologiques qui sous-tendent la consommation de cannabis chez les patients atteints de schizophrénie, nous mettrons l’emphase dans les lignes qui suivent sur cette comorbidité.

À l’instar de l’amphétamine, de la cocaïne et de l’alcool, la consommation de cannabis chez des sujets sains reproduits certains symptômes positifs et négatifs de la schizophrénie (D'Souza, Perry et al. 2004). Même si à court terme le cannabis est utilisé pour atténuer certains effets secondaires désagréables liés à la médication, l’abus chronique conduira

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globalement à exacerber les symptômes (D'Souza, Abi-Saab et al. 2005). Par ailleurs, le cannabis est la seule parmi les drogues d’abus à avoir un impact sur l’incidence de la schizophrénie (Gregg, Barrowclough et al. 2007, Muller-Vahl and Emrich 2008). En effet, plusieurs études longitudinales ont démontré que l’usage du cannabis au cours de l’adolescence augmentait la probabilité d’avoir un diagnostic de schizophrénie à l’âge adulte (Andreasson, Allebeck et al. 1987, Arseneault, Cannon et al. 2002, Henquet, Murray et al. 2005). Les symptômes de la schizophrénie sont détectés parmi les consommateurs de cannabis en moyenne 2,7 années plus tôt que chez les non-consommateurs (Large, Sharma et al. 2011). De plus, l’abus d’autres substances, telles que l’amphétamine et la cocaïne, simultanément avec le cannabis, semble avoir un effet accélérant, puisque qu’elle réduit encore plus l’âge de d'apparition des premiers symptômes de la schizophrénie (Power, Dragovic et al. 2013). Les principaux agents actifs, ou agents psychotropes, présents dans le cannabis sont le Δ- tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD). Or des données récentes indiquent que le CBD a un effet protecteur et opposé à celui du THC. Les individus qui consomment du cannabis qui contient peu ou pas de CBD sont plus susceptibles de développer des symptômes psychotiques que ceux qui consomment du cannabis contenant une plus grande concentration de CBD (Morgan and Curran 2008, Di Forti, Morgan et al. 2009). Des études neurochimiques ont révélé que le CBD induit une activation cellulaire du système limbique qui est très similaire à celle induite par des médicaments antipsychotiques atypiques. À l’instar de la clozapine, par exemple, le CBD augmente l’expression du gène précoce, c-fos (marqueur d’activité neuronale), dans les neurones du noyau accumbens (NAc) mais pas ceux du striatum dorsal; cet effet neurochimique contraste avec celui de l’halopéridol (antipsychotique typique) qui induit c-fos dans les neurones de ces deux structures (Guimaraes, Zuardi et al. 2004).

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Néanmoins, il est important de mentionner que ce ne sont pas tous les individus exposés au cannabis qui développent une psychose ou une schizophrénie; ceux qui la développent sont ceux qui ont une prédisposition ou une vulnérabilité à développer cette maladie. La compréhension de cette vulnérabilité pourrait permettre de mieux comprendre l’impact qu’a le cannabis sur ces individus. Les évidences cliniques et pré-cliniques appuyant le lien entre le système endocannabinoïde (eCB) et la schizophrénie vous seront détaillées dans la section 3. Le système eCB ainsi que son fonctionnement sont présentés à la section suivante.

2. LE SYSTÈME ENDOCANNABINOÏDE