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Analyse des œuvres de Dominique Paquet

A. Un théâtre qui ne montre pas tout :

1- Comme une histoire qui nous serait contée :

De manière générale, dans les trois œuvres de notre corpus, les espaces scéniques décrits nous maintiennent « enfermés » dans un même lieu. Du début jusqu’à la fin des pièces, nous gardons les yeux rivés sur un décor qui ne change, pour ainsi dire, pas du tout (à l’exception de la mer agitée dans La Consolation de Sophie). Il n’y a aucun moyen d’échapper à l’intrigue, elle défile sous nos yeux retenant toute notre attention. En effet, aucun élément ne vient perturber notre écoute. On nous offre peu à voir ; les quelques éléments exposés sur scène nous permettent de savoir aisément sur quoi nous devons nous concentrer pour suivre le déroulement des drames.

Dans une certaine mesure, nous pouvons considérer que cette notion d’enfermement se veut double. Il faut pour cela imaginer que nous sommes dans une salle de théâtre, prêts à assister à la représentation d’une des pièces de Dominique Paquet. Les lumières s’estompent pour nous plonger, petit à petit, dans le noir complet. L’obscurité de la salle nous avertit que la pièce est sur le point de débuter. Puis soudain, les projecteurs nous invitent à nous tourner vers cette scène, ce décor et ses personnages qui s’animent au gré d’une intrigue dans laquelle nous entrons progressivement. Le contexte dans lequel nous sommes placés ne nous offre plus de sorties possibles. Nous n’avons plus d’échappatoire, nous restons accrochés à l’histoire qui se joue sous nos yeux.

Dans Les Escargots vont au Ciel, nous restons, d’un bout à l’autre de l’histoire, aux côtés des personnages principaux, La Loutre et le Facteur (je dis « tout au long », car même si le Facteur n’est pas directement visible, il est déjà sur scène à attendre dans son arbre). Le monde dans lequel le Facteur et cet enfant nous emmènent n’est pas tout à fait semblable aux nôtres. Il faut faire preuve d’imagination pour y accéder. De plus, le langage qu’il parle, si peu commun, nous demande une certaine adaptation. Cependant, cette adaptation loin de nous

demander de grands efforts se fait par le biais du jeu. C’est ainsi que nous entrons petit à petit dans l’univers imaginaire des personnages, le langage en étant la principale clé.

La pièce se déroule sans la moindre coupure. Le temps des personnages devient le nôtre, il s’écoule de la même manière pour eux que pour nous. L’auteur a sans doute fait ce choix jugeant qu’il aurait été fâcheux qu’au moment même où nous commençons à maitriser le code verbal des personnages, et de ce fait, à éprouver de l’amusement et du plaisir, la pièce ne s’arrête pour marquer la fin d’un acte. Elle nous maintient, tout le temps de la pièce, connectés aux personnages. Dominique Paquet s’assure ainsi à ce que ne renoncions pas trop vite aux repères que nous venons de nous créer pour « entrer » dans l’œuvre dramatique.

En outre, l’absence de découpage scénique nous rappelle que ces coupures, quand elles ont lieu, sont loin de n’avoir aucun sens. Elles indiquent des changements de repères temporels ou de point de vue. Ces coupures sont parfois présentes afin de rendre compte d’un certain schéma narratif que suit la pièce ; en présentant une scène d’ouverture, celle-ci met en avant une problématique, s’ensuit souvent une suite de péripéties débouchant sur un dénouement, une scène finale qui rend compte du chemin parcouru par les personnages tout au long de la pièce.

Cependant, dans Les Escargots vont au Ciel, nous suivons le fil d’une histoire qui se déroule de manière continue, sans aucune interruption. Cette façon de présenter la pièce pourrait être mise en parallèle avec la manière dont se présente les œuvres cinématographiques. Dans les films d’animation, les enfants sont entrainés dans des aventures qui les captivent séance tenante. Le théâtre de Dominique Paquet emprunterait donc aux arts du cinéma pour permettre aux enfants de se familiariser avec l’art du théâtre tout en gardant des repères avec lesquelles ils sont déjà accoutumés.

Son Parfum d’Avalanche et La Consolation de Sophie ne fonctionnent pas tout à fait

comme cette première pièce. Ces deux œuvres s’organisent, en effet, différemment puisqu’elles se trouvent divisées en plusieurs parties. Parsemées de « noirs », elles sont rythmées par l’obscurité qui vient clore chaque scène.

TRITA – Oui. Que veux-tu faire avec moi vieille, vieille, vieille, trois fois vieille, mille fois vieille, cent millions de fois vieille dame en haillons ?

SOPHIE – Sophie.

TRITA – Qu’est ce que tu veux faire, Sophie ?

SOPHIE. – Te consoler. Te remettre debout. Te redonner la joie. L’heure est au remède, Trita. Pas aux poisons.

Noirs.

Ces « noirs » sont comme des passerelles menant vers d’autres actions. Celles-ci, loin d’être complètement isolées les unes des autres, s’inscrivent dans une même continuité. Tout se passe comme si l’histoire que nous voyons se déroulée devant nous était épurée de tous ces moments qui pourraient paraître inutiles, puisque trop descriptifs, et qui ne serviraient pas directement l’action de la pièce.

Ces obscurités, telles des ellipses temporelles plus ou moins longues, nous permettent de passer d’un moment à un autre de l’intrigue dramatique en ne conservant en mémoire que les moments les plus dignes d’intérêt. En outre, ces obscurités servent, aux spectateurs et aux lecteurs, à prendre quelques secondes pour se replonger mentalement dans ce qu’ils viennent de voir. Ces coupures leur offre un moment de répit afin de se préparer à la suite de l’histoire. Toutefois, ces « noirs » sont aussi des coupures, qui suggèrent aux spectateurs que les personnages ont eu le temps d’assimiler et de méditer sur tout ce qui a pu se passer. Dans une certaine mesure, c’est comme si après le « noir » nous découvrions des personnages un peu plus « grand » que ce qu’ils ne l’étaient auparavant.

Les séquences présentées dans les deux œuvres s’achèvent bien souvent par de nouveaux questionnements ou bien encore par des paroles marquantes, comme nous l’observons dans l’extrait cité précédemment où Sophie avoue être venue pour : « consoler (…) remettre debout (… et) redonner la joie (à) Trita ». La brièveté des phrases prononcées par Sophie les rend d’autant plus fortes qu’explicites. Nul besoin d’être développer, les mots parlent d’eux-mêmes. Ils vont droit à l’essentiel.

Ponctués par de courts instants où nous sombrons dans l’obscurité, les scènes présentées seraient comme les mises en lumière de maints questionnements et de faits irrésolus apportant avec elles des fragments de réponses possibles. La simplicité des dialogues et le traitement unitaire de l’espace et du temps rend les pièces plus accessibles.

L’auteure s’évertue ainsi à guider petits et grands dans la découverte de ses œuvres. Comptant sur la participation de ceux-ci, elle ne montre qu’une partie des intrigues théâtrales et laisse aux spectateurs le soin de se représenter pour eux-mêmes la partie non percevable des histoires racontées. Ils se voient ainsi confier un rôle primordial qui confère une plus grande dimension aux œuvres.

En tant que spectateurs, nous écoutons et regardons ce qui se passe. Absorbés que nous sommes, la mélodie des mots prononcés et l’action qui se joue au cœur de l’intrigue

nous tiennent en haleine. Les pièces qui sont jouées, comme des histoires animées, nous invite à voir, à entendre et tout autant à imaginer.

2-

Des personnages acteurs de leur histoire et narrateurs