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pour les collectivités et les acteurs de l’éducation populaire ?

Yves Guerre met en garde contre la disparition des espaces véritablement publics et contre leur pacification :

« L’espace de confrontation de l’expertise populaire porte un nom sauf qu’il n’existe quasiment plus : c’est l’espace public. Qui est garant de l’espace public ? Une collec- tivité territoriale tout comme l’État devrait être garante de l’espace public, mais pas pour le sécuriser. La seule manière dont on nous parle de l’espace public aujourd’hui est qu’il ne doit rien s’y passer. On installe des caméras, des policiers municipaux, des bancs, bientôt il y aura des chicanes, dans certains endroits il y a des miradors, et par- fois, il n’y a même plus d’espace public du tout parce que l’on veut qu’il ne soit por- teur d’aucune conflictualité. Mais une société dans laquelle l’espace public n’est porteur d’aucune conflictualité est une société morte ou totalitaire. Le totalitarisme n’est pas réservé aux anciens pays du bloc soviétique ou aux États-Unis. Cette forme de totalitarisme nous guette tous les jours car un certain nombre de personnes ne veut pas que l’espace public soit conflictuel dans la mesure où cela empêche de faire du commerce. »

Marc Lacreuse s’interroge sur la définition de l’espace public telle qu’elle a été évoquée dans les débats, qui lui semble trop restrictive et il souligne la nécessité pour les acteurs de l’édu- cation populaire de s’interroger sur ce qui fait un espace public :

« J’ai l’impression que la définition de l’espace public est de plus en plus restrictive et nous comprenons bien pourquoi nous y sommes acculés. Ce serait donc aujourd’hui la rue, dans la mesure où elle est fréquentée par des publics plus ou moins divers. Mais il s’agit à mes yeux d’un véritable contresens : on pourrait tout aussi bien voir dans la rue aujourd’hui le lieu de l’exclusion, de la privatisation, de l’impossibilité de communication réelle, etc. Or, l’éducation populaire ne devrait-elle pas se poser la question de ce qui fait ou pas espace public aujourd’hui en tant que lieu de la délibé- ration citoyenne, du service public, etc. ? C’est ce qui fait qu’à mes yeux l’éducation populaire devrait être légitimée dans sa capacité à interpeller transversalement l’en- semble des politiques publiques (santé, éducation, urbanisme, culture, etc.). »

Yves Guerre précise sa vision de l’espace public, et revient sur l’urgence à recréer des espaces publics dans tous les lieux :

« L’espace public ne se réduit pas à la rue, mais il se trouve que les endroits où l’espace public existe encore aujourd’hui sont extrêmement rares. Ma définition de

PRATIQUES/ANALYSES

l’espace public n’est pas partagée par tout le monde. Je donne un autre nom à l’espace public : la laïcité. Tous les lieux devraient l’être mais les espaces publics aujourd’hui sont privés. L’école est un espace public privé, car si je veux entrer dans l’école, il faut une autorisation. Si je veux mettre un débat public à l’intérieur de l’école, je me fais sortir ; idem dans une salle d’attente de la Sécurité sociale ou dans la salle du conseil municipal au moment des délibérations. Ces espaces publics ne sont, en réalité, pas publics mais privés. Il faudrait aussi des espaces publics dans le monde de l’entre- prise, mais les lois Auroux qui pensaient cette dimension de l’expression des salariés ont été détournées et totalement inutilisées. »

Pour Yves Guerre, c’est à la puissance publique de garantir l’existence des espaces publics : « Il faudrait des espaces publics partout, chaque fois qu’une institution ou qu’une organisation existe. Essayez de mettre un espace de débat public au conseil général, vous n’y arriverez pas. Il faudrait alors que la puissance publique le décide. Il faudrait que les politiques comprennent qu’ils ne peuvent pas commettre un rapt sur la poli- tique. Leur rôle est de trancher et d’arbitrer mais, pour cela, il faudrait que le corps social respire et donc que les politiques permettent cette récupération de l’espace public. Récupération que nous ne pourrons pas réaliser si les politiques ne nous y aident pas, y compris dans les équipements. »

Jérôme Guillet donne un exemple d’une collectivité engagée dans cette dynamique de réap- propriation de l’espace public, la Ville de Genève :

« Genève propose depuis quelques années un événement assez exceptionnel qui s’ap- pelle “La ville est à vous”. Je vous donne lecture du début du dossier de presse dans la mesure où pour la première fois, je vois une Ville utiliser le vocabulaire des militants traditionnels. La “réappropriation de l’espace public” est le premier thème du dossier : “La ville est à vous vise à promouvoir, dans les différents quartiers de Genève, des manifestations festives et culturelles de proximité susceptibles de favoriser la convi- vialité et un mieux-vivre ensemble. Ces manifestations fonctionnent selon un principe simple : la réappropriation de l’espace public. La rue notamment, est transformée le temps d’un week-end en un lieu de fête et de rencontre avec diverses activités, ani- mations et happenings. Au centre de cette manifestation, l’expression libre du citoyen invité à participer comme acteur et animateur de la fête et non pas uniquement comme consommateur, ceci afin de favoriser le lien social, la cohabitation pacifique et l’inté- gration.” »