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Chapitre 1 Historique

3 Une influence sur l’absorption médicamenteuse

3.4 Des limites de l’effet du Coca-Cola® sur l’absorption médicamenteuse

3.4.1 Le Coca-Cola® et les antiépileptiques

3.4.1.2 Le Coca-Cola® et la phénytoïne

Une année plus tard, Kondal et Garg112 ont évalué l’influence d’une boisson acide, le Coca-Cola®, sur un autre antiépileptique, la phénytoïne commercialisée en France sous le nom de Di-Hydan®. Pour cela, ils ont administré à des lapins une dose de 30 mg/kg de phénytoïne par voie orale puis prélevé régulièrement des échantillons sanguins pendant un jour entier. Puis, après une semaine de sevrage, ils ont reçu une nouvelle dose de 30 mg/kg de phénytoïne associée cette fois à 5 mL/kg de Coca- Cola®. Des prélèvements sanguins ont été effectués dans les mêmes conditions. Ces mêmes lapins ont continué à recevoir du Coca-Cola® pendant une semaine et ont eu une nouvelle dose de phénytoïne le huitième jour. Les taux d’antiépileptique ont été mesurés et les paramètres pharmacocinétiques classiques ont été calculés.

Il en ressort qu’une administration de Coca-Cola® augmente significativement le degré d’absorption de la phénytoïne puisque la concentration maximale Cmax et l’aire sous la courbe ASC ont été plus

élevées avec le soda.

Tout comme la carbamazépine, la phénytoïne a une marge thérapeutique étroite : le taux thérapeutique correspond à des valeurs comprises entre 5 et 15 mg/L et la toxicité apparaît pour des concentrations supérieures à 20 mg/L.

122 Ces résultats entraînent la même conclusion qu’avec la carbamazépine, c’est-à-dire une prudence lors de l’association du traitement avec des boissons acides comme le Coca-Cola® nécessitant soit un arrêt de la consommation du soda en même temps que l’administration du médicament ou soit une réduction de la dose de phénytoïne administrée au patient lorsqu’elle est associé avec un verre de Coca-Cola® pour éviter tout risque de toxicité et avoir l’effet thérapeutique recherché.

3.4.2 Le Coca-Cola® et l’ibuprofène

L’effet du Coca-Cola® associé à l’ibuprofène a été étudié par différents auteurs. Une première étude de 1988 de Small, Johnson et Willis113 a analysé la biodisponibilité de l’ibuprofène dilué dans diverses boissons dont le Coca-Cola®. Ce test a été réalisé suite à la commercialisation de comprimés de 800 milligrammes d’ibuprofène, comprimés de grande taille donc difficile à avaler, qui sont plus faciles à ingérer après dilution. Pour cela, huit volontaires sains âgés de 25 à 37 ans ont ingéré le comprimé avec un verre d’eau puis en solution diluée dans du Coca-Cola® ou une autre boisson (jus d’orange, sirop de cerise…), puis des échantillons de sang ont été prélevés régulièrement pendant les 24 heures qui ont suivi. L’aire sous la courbe (ASC) concentration-temps a été calculée ainsi que la concentration maximale (Cmax) et le temps au bout duquel elle a été constatée (tmax) afin d’évaluer la

biodisponibilité de l’anti-inflammatoire. Les résultats sont :

 une diminution de l’ASC,

 une diminution de Cmax,

 un allongement de tmax.

La biodisponibilité d’un comprimé de 800 milligrammes d’ibuprofène est donc diminuée lorsqu’il est dissous dans un verre de Coca-Cola®. L’allongement du tmax peut être le résultat de la réduction de la

vidange gastrique par le Coca-Cola®. De plus, l’absorption de l’ibuprofène est ralentie lorsqu’il est pris au-cours d’un repas (données du Vidal®). Le Coca-Cola®, vu sa teneur calorique peut être associé à un pseudo-repas comparé à un verre d’eau. Ceci peut donc expliquer une partie de la diminution de la vitesse d’absorption de l’ibuprofène observée. La réduction de Cmax peut s’expliquer par un fait

qui n’a rien à voir avec le type de boisson utilisée pour dissoudre le comprimé. En effet, une partie du médicament peut être restée sur les parois du verre vu que le verre n’a pas été rincé au-cours du test. Mais la Cmax n’a quasiment pas été altérée avec le jus d’orange et le sirop de cerise donc le Coca-

Cola® diminuerait tout de même la quantité d’ibuprofène absorbée. L’effervescence du soda peut- elle avoir des conséquences sur la biodisponibilité de l’ibuprofène par rapport aux autres boissons ? L’absorption de l’anti-inflammatoire est altérée par sa dissolution dans le Coca-Cola® par rapport à l’administration du comprimé entier avec un verre d’eau : ne serait-ce donc pas le simple fait de la

123 préparation de cette solution extemporanée qui serait délétère à l’ibuprofène ? Un ouvrage114 suggère que la prise d'ibuprofène dans une suspension extemporanée est thérapeutiquement inférieure à la prise de l’ibuprofène sous forme d’un comprimé entier et devrait donc être évitée.

Les auteurs de cet article concluent que le Coca-Cola® n’est pas une boisson appropriée pour dissoudre un comprimé d’ibuprofène pour l’ingérer plus facilement. Mais les conditions de cette étude ne sont pas optimales et d’autres analyses existent sur le même sujet.

En 2010, une étude115 a été réalisée pour comparer le temps de désintégration de trois comprimés à libération immédiate indiqués pour le traitement de la douleur : l’ibuprofène, le tramadol et l’acétaminophène dans différentes boissons parmi lesquelles figurait le Coca-Cola®. Les résultats sont que le Coca-Cola® n’a pas allongé de façon significative le temps de désintégration du comprimé d’ibuprofène par rapport à la valeur témoin obtenue avec de l’eau.

Eau Coca-Cola®

Ibuprofène 7,08 ± 1,24 min 11,59 ± 3,53 min

Tramadol 6,49 ± 0,14 min 7,41 ± 0,88 min

Acétaminophène 9,99 ± 0,65 min 12,05 ± 1,63 min

Tableau 34 – Temps de désintégration d’un comprimé d’ibuprofène dans de l’eau ou du Coca-Cola®

Cependant, cette méthode peut ne pas être appropriée pour refléter la situation réelle à l’intérieur de l’estomac où règne un milieu acide permanent à cause de la sécrétion basale d’ions H+. Une solution hybride a été conçue pour étudier au mieux la réaction réelle mais elle n’a été utilisée qu’avec différents types de lait où il en résulte qu’il peut y avoir une modification probable de l’absorption de l’ibuprofène avec ce type de boisson.

Cette étude ne peut pas apporter d’éléments suffisants pour étudier l’effet de la prise d’ibuprofène avec du Coca-Cola® en situation réelle d’acidité gastrique. Elle montre juste qu’en situation externe, le soda n’influe pas de façon significative la vitesse de dissolution d’un comprimé d’ibuprofène par rapport à l’eau.

Garg qui a étudié l’effet du Coca-Cola® sur la biodisponibilité de la carbamazépine sur des volontaires sains et sur celle de la phénytoïne sur des lapins sains, a également étudié116 l’effet de la boisson gazeuse sur la pharmacocinétique de l’ibuprofène sur le même modèle animal que la phénytoïne. Pour cela, chaque lapin a reçu par voie orale une dose d’ibuprofène à raison de 56 mg/kg en suspension dans du carboxy-méthyl-cellulose. De cette première expérience, des échantillons de sang ont été prélevés régulièrement sur une période de 12 heures après l’administration. Après un

124 sevrage d’une semaine, ces mêmes lapins ont reçu une dose identique d’ibuprofène mélangé à du Coca-Cola® à la concentration de 5 mL/kg. Des prélèvements de sang ont été effectués dans les mêmes conditions. Enfin, ces lapins ont continué à recevoir 5 mL/kg de soda pendant une semaine et le huitième jour, ils ont reçu 56 mg/kg d’ibuprofène mélangé à du Coca-Cola®.

Les paramètres pharmacocinétiques de l’ibuprofène ont été étudiés dans ces trois conditions : sans Coca-Cola®, après une dose unique ou après de multiples doses de soda.

Paramètres moyens Ibuprofène seul Ibuprofène + dose unique de Coca-Cola® Ibuprofène + doses multiples de Coca-Cola® Cmax (μg/mL) 24,85 ± 2,19 46,18 ± 4,89 62,05 ± 5,90 tmax (h) 1,18 ± 0,09 1,06 ± 0,11 0,93 ± 0,11 ASC (μg/mL.h) 75,14 ± 6,20 119,60 ± 16,54 153,75 ± 18,60 ½ vie d’élimination (h) 1,81 ± 0,08 1,63 ± 0,09 1,59 ± 0,08

Tableau 35 et Graphique 3 – Paramètres pharmacocinétiques de l’ibuprofène avec ou sans Coca-Cola®

Le taux plasmatique d’ibuprofène a significativement été augmenté entre une demi-heure et deux heures après une dose unique de Coca-Cola® et entre une demi-heure et quatre heures après de multiples doses de Coca-Cola® comparé à l’ibuprofène seul. La concentration maximale Cmax est

significativement plus grande avec le Coca-Cola® : 1,85 et 2,50 respectivement fois plus élevée après une dose unique ou des doses multiples de soda. Le Coca-Cola® a réduit le temps tmax.

125 L’acidité et le taux du sucre du Coca-Cola® peut expliquer la modification significative de la pharmacocinétique de l’ibuprofène chez le lapin en agissant sur la vidange gastrique, le temps de contact entre le médicament et l’estomac, le volume du pH gastrique… Mais cette étude nécessite la poursuite des travaux sur des volontaires humains. Si des résultats similaires sont obtenus, la fréquence et la posologie de l’ibuprofène pourraient être réduites ce qui améliorerait l’observance du patient car en conservant le même rythme d’administration avec les mêmes posologies, les effets indésirables et la toxicité de l’ibuprofène augmenteraient lors d’une administration avec du Coca- Cola®. Des précautions seraient finalement à prendre.

3.4.3 Le Pepsi-Cola® et la théophylline

Elouzi117 et ses collaborateurs ont étudié en 2012 l’effet des boissons acides, en particulier le Pepsi- Cola®, sur la biodisponibilité de la théophylline. Pour cela, des lapins sains ont reçu par sonde gastrique une suspension de théophylline dosée à 100 mg/kg. Des prélèvements sanguins ont été effectués régulièrement durant les 24 heures qui ont suivi. Puis, après une période de sevrage d’une semaine, les mêmes lapins ont reçu la même dose de théophylline mais administrée avec du Pepsi- Cola® à raison de 10 mL/kg. De nouveaux échantillons sanguins ont été prélevés. Les concentrations plasmatiques de théophylline ont été mesurées ce qui a permis de calculer des paramètres pharmacocinétiques. Les résultats obtenus sont les suivants :

126 Deux pics de concentration plasmatique ont été observés après l’administration de la théophylline avec et sans le Pepsi-Cola® associé. Le premier pic se produisant environ une heure et demie après correspond à l’absorption stomacale tandis que le deuxième pic (deux heures et demie après pour la théophylline seule) correspond à l’absorption au niveau du côlon. Le creux entre les deux pics est sûrement dû à une mauvaise absorption entre les deux sites.

Une augmentation significative des paramètres pharmacocinétiques de la théophylline est observée avec le Pepsi-Cola® : l’aire sous la courbe et la concentration maximale sont plus élevées et le tmax est

prolongé. Le premier pic constaté avec le Pepsi-Cola® correspond à une concentration maximale plus élevée qu’avec l’administration de la théophylline seule, ce qui peut être expliqué par le pH acide du Pepsi-Cola® qui augmente l’acidité de l’estomac et conduit donc à une amélioration de l’absorption de la théophylline.

La théophylline est une base xanthique, tout comme la caféine contenue dans le Pepsi-Cola®, donc la caféine pourrait par hypothèse réduire l’élimination de la théophylline et donc augmenter son effet. Cependant, les résultats ne montrent aucune différence significative entre les demi-vies d’élimination et les constantes de vitesse d’élimination (Ke) de la théophylline seule ou prise avec le

Pepsi-Cola®. La caféine ne jouerait donc pas un rôle dans les changements pharmacocinétiques de la théophylline lorsqu’elle est prise avec le soda.

La théophylline est un bronchodilatateur puissant commercialisée sous la forme de comprimés ou de gélules sous le nom de Dilatrane®, Euphylline®, Tédralan®, Théostat® ou Xanthium® en France pour le traitement de fond des crises d’asthme et des bronchopneumopathies chroniques obstructives. La théophylline est une molécule retrouvée dans les fèves de cacao par exemple (Chapitre 2 ; 2.1.2) qui a un index thérapeutique étroit compris entre 5 et 20 mg/L. Lorsque la concentration plasmatique est supérieure à 20 mg/L, la toxicité est atteinte et de nombreux symptômes peuvent apparaître85. Son utilisation est limitée du fait ce cette marge thérapeutique étroite et de nombreuses interactions médicamenteuses. Il est réservé en cas d’intolérance aux β2-mimétiques.

Paramètres Théophylline seule Théophylline + Pepsi-Cola®

ASC0-24 (μg/mL.h) 128 ± 11 190 ± 10 ASC 0-(μg/mL.h) 142,19 210,09 Cmax (μg/mL) 129,20 ± 10,30 133,44 ± 19,27 tmax (h) 2 4 ½ vie d’élimination (h) 1,5 1,61 Ke (h-1) 0,46 0,43

127 De nombreux facteurs interviennent sur la biodisponibilité de la théophylline : la maladie, l’obésité, l’âge, le tabagisme, les médicaments et l’alimentation, ce qui rend difficile le calcul de la dose nécessaire pour obtenir une concentration plasmatique thérapeutique chez les patients. Ainsi, toute augmentation importante du taux sérique pourra entraîner des effets indésirables et/ou toxiques alors que toute diminution pourra conduire à une perte d’efficacité thérapeutique.

La théophylline est un acide faible avec un pKa de 8,8 qui a une solubilité insuffisante dans l’eau mais qui est soluble en milieu acide ce qui peut expliquer l’augmentation de l’ASC et de la Cmax de la

théophylline administrée avec le Pepsi-Cola® qui est une boisson gazeuse acide. Le Pepsi-Cola® peut, comme le Coca-Cola®, ralentir la vidange gastrique à cause de sa composition en acide phosphorique et en sucres, ce qui joue également sur la biodisponibilité de la molécule. Une petite modification est sans importance pour des médicaments ayant un index thérapeutique large mais peut avoir de graves conséquences pour ceux qui ont une marge thérapeutique étroite comme la théophylline.

Cette étude, du début des années 2000, a été réalisée sur des lapins et demande donc à être approfondie chez des volontaires humains sains. Des résultats similaires devraient être attendus et demanderaient alors des précautions à prendre lors de l’association de la théophylline avec des boissons gazeuses acides. Les médecins devront donc avec leurs patients:

ajuster la dose nécessaire de théophylline ou

recommander d’éviter de consommer de telles boissons.

3.5 Conclusion

Le Coca-Cola® influence l’absorption médicamenteuse en raison de son pH et de sa teneur en sucre qui modifie le pH gastrique, le volume du liquide stomacal ainsi que la vitesse de la vidange gastrique. Cet effet est favorable lorsqu’il est associé aux antifongiques comme l’itraconazole, le posaconazole, le voriconazole ou le kétoconazole notamment quand ils sont prescrits chez les immunodéprimés qui sont souvent atteints de mycoses systémiques. Cela permettrait de diminuer les échecs thérapeutiques de ces traitements antifongiques dus à une mauvaise absorption de la molécule à cause de l’hypochlorhydrie ou de l’achlorhydrie présente chez ces patients et donc d’éviter l’emploi du fluconazole réservé aux champignons résistants.

Le Coca-Cola® permet également de préparer des solutions extemporanées de sétrons (granisétron ou ondansétron) à partir de solutions injectables de ces molécules ce qui permet la prévention et la prise en charge des nausées et vomissements au domicile des patients cancéreux recevant une chimiothérapie émétisante.

128 Des précautions sont cependant à prendre avec l’association du Coca-Cola® ou du Pepsi-Cola® avec les antiépileptiques comme la carbamazépine et la phénytoïne ou les bronchodilatateurs comme la théophylline dont la biodisponibilité est augmentée par la prise simultanée du médicament avec le soda, ce qui pourrait permettre de diminuer les posologies et les prises journalières lors d’une consommation quotidienne du soda, mais qui peut entraîner une toxicité lorsqu’il est pris occasionnellement, car ces médicaments ont une marge thérapeutique étroite. Le même constat serait à faire et à approfondir avec l’ibuprofène (et les autres anti-inflammatoires ?) même si ce dernier a un index thérapeutique plus large.

Ces études ont été réalisées, soit avec le Coca-Cola®, soit avec le Pepsi-Cola®, mais tous les autres sodas à base de cola qui ont une teneur en sucre et une acidité comparables pourraient avoir les mêmes conséquences et donc seraient à associer ou au contraire à éviter suivant le traitement.

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