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Chapitre I : Introduction Générale

1. Addiction

2.6. La neurobiologie de la cocaïne : focus sur le glutamate

2.6.2. Les neuroadaptations glutamatergiques induites par la cocaïne

2.6.2.1. Cocaïne et métaplasticité

La métaplasticité est un changement dans la capacité du cerveau à induire une plasticité synaptique (LTP et LTD). Il est maintenant bien connu que la cocaïne induit une métaplasticité. Il a été démontré qu’une seule injection de cocaïne provoque une LTP des neurones dopaminergiques de l’ATV, recevant principalement des afférences glutamatergiques du tegmentum dorsolatéral (LDT), et projetant dans le Nacc (Lammel et al., 2011; Lammel et al., 2012). Cette LTP est causée par l’insertion de récepteurs AMPA-CP. En effet, chez des animaux naïfs à toute drogue, tous les récepteurs AMPA des neurones dopaminergiques de l’ATV sont

imperméables au calcium (Luscher, 2016). Par ailleurs, alors que des récompenses naturelles, telles que de la nourriture, induisent une LTP des neurones dopaminergiques de l’ATV de façon transitoire, l’auto-administration de cocaïne provoque une LTP durable, pouvant subsister au moins trois mois après l’arrêt de la consommation (Chen et al., 2008a). Ainsi, des neurones qui ont déjà été potentialisés par la cocaïne, ne peuvent pas subir une nouvelle LTP : c’est le phénomène d’occlusion. Ce phénomène d’occlusion se produit également au sein du Nacc. En effet, de façon similaire à l’ATV, la cocaïne induit une LTP au niveau des MSNs recevant des afférences glutamatergiques du CPF (Luscher, 2016). Ainsi, il a été montré qu’une exposition chronique à la cocaïne (contingente et non-contingente), suivie d’une période de sevrage provoquent une incapacité du cerveau à induire une nouvelle LTP (Moussawi et al., 2009; Luscher, 2016). La période de sevrage entraîne également une incapacité du cerveau à induire une LTD-mGluR5 dépendante (Martin et al., 2006; Moussawi et al., 2009; Huang et al., 2015).

En considérant l’importance de la plasticité synaptique dans les processus mnésiques, d’apprentissages et d’adaptations du comportement en fonction des changements de l’environnement, la capacité de la cocaïne à induire une métaplasticité pourrait refléter l’incapacité des toxicomanes à réfréner leur consommation de drogue, en dépit des conséquences néfastes de celle-ci (Moussawi and Kalivas, 2010).

C’est en tenant compte de l’ensemble des neuroadaptations glutamatergiques induites par la cocaïne, que les recherches se sont intéressées à toutes les molécules pouvant restaurer l’homéostasie glutamatergique. Ainsi, il a été montré que l’utilisation d’antagonistes AMPA, d’agonistes des mGluR2/3s, ou d’antagonistes des mGluR5s était capable d’atténuer la vulnérabilité à la rechute pour la cocaïne (Gass and Olive, 2008). Cependant, ces molécules ne

corrigent temporairement que certaines conséquences de la cocaïne sur l’homéostasie glutamatergique, à savoir la perte du tonus glutamatergique sur les récepteurs mGluR2/3 ou encore la surexpression des récepteurs AMPA. Une molécule qui serait capable de restaurer l’homéostasie glutamatergique dans son ensemble, et de façon durable, serait alors un candidat idéal pour traiter l’addiction à la cocaïne. C’est ainsi que depuis plus de 10 ans la recherche sur l’addiction se focalise sur la N-acétylcystéine.

3. La N-acétylcystéine

3.1. Généralités

La N-acétylcystéine (NAC) est une molécule dérivée de l’acide aminé L-cystéine, comprenant un groupe acétyle attaché à l’atome d’azote (Arakawa and Ito, 2007). Sa formule chimique est représentée dans la figure 16. Il s’agit d’un médicament utilisé dans le traitement de plusieurs maladies, telles que la mucoviscidose ou la bronchite chronique (Kory et al., 1968; Decramer and Janssens, 2010). L’utilisation de cette molécule a été approuvée chez l’homme en 1963, par l’agence Américaine des produits alimentaires et médicamenteux : la Food and

Drug Administration (FDA) (McClure et al., 2014). En effet, elle est relativement bien tolérée

par l’organisme, et ne présente que très peu d’effets secondaires, tels que des démangeaisons, des nausées et des vomissements (Atkuri et al., 2007). La NAC peut être administrée par voie orale (comprimé, sirop), par voie intraveineuse (réservée à l’usage hospitalier), ou par voie intranasale (Samuni et al., 2013). Par voie orale, ce médicament est absorbé rapidement, mais possède une biodisponibilité comprise entre 4 et 10% (Borgstrom et al., 1986; Olsson et al., 1988). Cette faible biodisponibilité s’explique par le fait que la NAC est rapidement désacétylée dans la lumière intestinale, et par un effet de premier passage hépatique. La demi-vie de la NAC chez l’homme est de 6.25h (Holdiness, 1991).

Figure 16. Structure chimique de la NAC

Adapté de (McClure et al., 2014)

3.2. Propriétés

3.2.1. Agent mucolytique

Cette molécule est à l’origine un agent mucolytique utilisé chez des patients souffrant de maladies pulmonaires telles que la bronchite chronique, ou encore la mucoviscidose. La NAC est également utilisée pour traiter la toux grasse. En effet, grâce à son groupe sulfhydryle, la NAC a la capacité de rompre les ponts disulfures des glycoprotéines composant le mucus. Cette action a pour conséquence de fluidifier les mucosités, et ainsi faciliter l’expectoration (Holdiness, 1991).

3.2.2. Anti-inflammatoire

La NAC a aussi des propriétés anti-inflammatoires (Figure 17) (Dean et al., 2011). Il a notamment été montré que la NAC diminue la production d’interleukine-6 (IL-6), une cytokine pro-inflammatoire, chez des patients hémodialysés (Nascimento et al., 2010). La NAC atténue également la production du facteur de nécrose tumorale TNF-α et d’IL-1β, qui sont également des cytokines pro-inflammatoires, chez les patients subissant des opérations chirurgicales, et chez des patients sévèrement brulés (Mahmoud and Ammar, 2011; Csontos et al., 2012). En outre, dans des modèles animaux de lésions, ou d’ischémie cérébrales, la NAC diminue également la surproduction des cytokines pro-inflammatoires (Khan et al., 2004; Chen et al., 2008b).

Figure 17. Propriété anti-inflammatoire de la NAC

Adapté de (Berk et al., 2011b)

3.2.3. Antioxydant

La majorité des effets bénéfiques de la NAC provient de ses propriétés antioxydantes. En effet, la NAC est un précurseur du glutathion, qui est l’antioxydant endogène principal du corps et du cerveau. Le rôle du glutathion est de maintenir l’homéostasie oxydative de l’organisme en

neutralisant les espèces réactives oxygénées (ROS de l’anglais reactive oxygen species) et les espèces réactives azotées (RNS de l’anglais reactive nitrogen species). Les ROSs et les RNSs ont la capacité d’oxyder les lipides, les protéines et l’ADN, ce qui entraîne une mort cellulaire lorsqu’elles sont en excès.

3.2.3.1. En toxicologie

Depuis plus de 40 ans, la NAC est le traitement de référence contre les overdoses de paracétamol (Prescott et al., 1977; Scalley and Conner, 1978). En effet, une overdose de paracétamol/acétaminophène entraîne la production de N-acétyl-p-benzoquinone imine (NAPQI), une molécule oxydative puissante et extrêmement toxique pour le foie, pouvant causer la mort du patient (Bateman et al., 2014). La NAC, en favorisant la production de glutathion, neutralise la NAPQI et protège ainsi le foie.

3.2.3.2. En neurologie/psychiatrie

Les propriétés antioxydantes de la NAC sont également utilisées dans les domaines de la neurologie et de la psychiatrie. La figure 18 représente de façon simplifiée le mécanisme par lequel la NAC induit la formation de glutathion dans le cerveau.

Figure 18. Synthèse du Glutathion dans le cerveau à partir de la NAC

1) La NAC est désacétylée en cystéine. 2) La cystéine est ensuite oxydée en cystine (il s’agit de

deux molécules de cystéine reliées par un pont disulfure). 3) La cystine pénètre alors dans la cellule gliale par l’échangeur cystine/glutamate. 4) Une fois dans la cellule, cette cystine est réduite en cystéine. 5) L’enzyme glutamate-cystéine ligase lie le glutamate à la cystéine pour former le γ-glutamylcystéine. 6) Le γ-glutamylcystéine est par la suite lié à une molécule de glycine par la glutathion synthétase pour former le glutathion.

Le cerveau est un organe possédant une forte activité métabolique, de ce fait il génère une grande quantité de radicaux libres. En effet, en utilisant de l’oxygène pour créer de l’énergie, les mitochondries produisent de façon constante des ROSs (Raichle and Gusnard, 2002; Herculano-Houzel, 2011). Les mitochondries sont d’ailleurs les sources principales de radicaux libres dans le cerveau. En outre, la neurotransmission elle-même génère des radicaux libres. La dopamine par exemple, s’auto-oxyde en peroxyde d’hydrogène (H202), un ROS très puissant (Hastings, 2009). L’excitotoxicité produit par un excès de glutamate est également une source de radicaux libres dans le cerveau (Sattler and Tymianski, 2001). L’accumulation de ces

radicaux libres dans le cerveau, combinée à la diminution du glutathion, est impliquée dans un grand nombre de physiopathologies, incluant les maladies neurodégénératives telles que les maladies de Parkinson et d’Alzheimer, ainsi que les maladies psychiatriques comme la schizophrénie, les troubles bipolaires, les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), ou encore la dépression (Dean et al., 2011; Berk et al., 2013). La diminution du glutathion dans le cerveau est d’ailleurs l’un des plus anciens biomarqueurs de maladies psychiatriques (Berk et al., 2013). De nombreuses études cliniques ont démontré l’efficacité de la NAC dans le traitement de l’ensemble des maladies psychiatriques et neurodégénératives précédemment citées (Tableau

Maladie Résultats Références Troubles bipolaires Diminution des symptômes de dépression

(Berk et al., 2008a; Berk et al., 2011b; Berk et al., 2014)

TOC Améliore la résistance à la compulsion

(Lafleur et al., 2006; Paydary et al., 2016; Ghanizadeh et al., 2017)

Schizophrénie Réduction des symptômes négatifs

(Berk et al., 2008b; Bulut et al., 2009; Berk et al., 2011a)

Parkinson Diminution des

Symptômes (Monti et al., 2016)

Alzheimer

Amélioration des performances

cognitives

(Adair et al., 2001; McCaddon and Davies, 2005; Remington et al., 2009)

Trichotillomanie Diminution des symptômes

(Grant et al., 2009; Rodrigues-Barata et al., 2012; Taylor and Bhagwandas, 2014) Onychophagie Abstinence complète (Berk et al., 2009; Ghanizadeh et al., 2013)

Autisme

Diminution de l’irritabilité et de la

stéréotypie (Hardan et al., 2012; Nikoo et al., 2015) Anxiété Réduction subjective

de l’anxiété (Strawn and Saldana, 2012)

Tableau V. Effets de la NAC sur les maladies psychiatriques et neurodégénératives

3.3. Rôle de la NAC dans le traitement de l’addiction à la