Ses soutiens sont au premier chef l’armée (Armée Nationale Populaire depuis 1962) devenue
professionnelle mais disposant de ramifications dans l’administration et l’économie.
L’ancienne bourgeoisie foncière et commerçante, vilipendée par Ben Bella, va également se
joindre à la nouvelle bourgeoisie issue de l’armée pour offrir son soutien à cette coalition
adverse au sein du FLN. La coalition du colonel Boumediene, ministre de la défense dans le
premier gouvernement Ben Bella puis vice-président du conseil dans le second gouvernement,
pris l’ascendant lorsque le président Ben Bella voulu rééquilibrer son pouvoir et réduire
l’influence des militaires dans les organes de pouvoir. Cette tentative eu pour conséquence de
déclencher le coup d’État du 19 juin 1965 initié par le clan de Tlemcen qui mit fin aux
fonctions présidentielles de Ben Bella. Le clan Boumediene devint la coalition dominante au
pouvoir et dût pour se stabiliser intégrer au conseil de la révolution du FLN les anciens chefs
de maquis des wilayas. Le coup d’État, désigné comme « redressement » ou « sursaut
révolutionnaire », signifiait le retour au pouvoir du clan soutenu par l’armée, seule force
légitimée par la révolution et la défense la nation. Le nouveau gouvernement était-il pour
autant devenu un pouvoir politique plus dépendant des militaires ?
Le coup d’État du 19 juin 1965, n’a pas produit une scission entre la nation et son armée,
d’autant qu’il s’est produit sans effusion de sang ni guerre civile. L’armée devenue
professionnelle reste aux yeux de l’opinion populaire la force révolutionnaire de libération
nationale. De plus, le nouveau régime du président Boumediene fit en sorte que le conseil de
la révolution constitué majoritairement de militaires ne se confonde pas avec le conseil des
ministres (Leca et Vatin, 1975). La distinction entre l’armée et le pouvoir politique civil
n’empêche néanmoins pas d’anciens officiers d’obtenir des promotions et d’exercer des
métiers ou fonctions dans les secteurs économiques et politique. L’armée est considérée
comme une institution de promotion et d’ascension sociale. Sur le plan économique, elle
occupe une place de premier plan puisqu’elle se montre pleinement entrepreneur : elle produit
des biens et des services et gère des coopératives industrielles et agricoles. Elle dispose de
compétences techniques pour répondre à des appels d’offres dans le génie civil, les
constructions et travaux publics. Cela incite à penser que le pouvoir politique bien qu’il
s’appuie sur la force militaire pour asseoir son pouvoir et sa légitimité, s’est émancipé de
l’armée révolutionnaire devenue une armée de métier.
De quel poids politique dispose le FLN ? Parti « d’avant-garde » ou chambre
d’enregistrement des décisions politiques du gouvernement ? Avant l’indépendance, les textes
fondateurs du FLN lui octroyaient un rôle majeur après l’indépendance comme parti « guide »
et « organisateur » de la nation algérienne. En 1962-1965 est confirmé dans les textes son
rôle d’ avant-garde et d’orientation de l’État pour la construction d’un régime politique
socialiste. En effet, le président de la république Ben Bella également secrétaire général du
FLN en 1963, conféra au parti un rôle prééminent en mesure de contrebalancer le pouvoir
d’influence de l’armée et du clan de Tlemcen. Mais les rôles de guide et d’organisateur
conférés au FLN sur un plan idéologique ne se sont pas traduits par la direction effective de
l’État par le parti. Moins évident sur la période 1962-1965 en raison de la direction par Ben
Bella de l’État et du parti, la distinction entre les deux se fera plus claire après le coup d’État
de 1965 à la suite duquel Boumediene déclarera le 5 juillet 1965 que le FLN « aura pour tâche
(…) d’élaborer et d’orienter, d’animer et de contrôler et non de gérer ou de se substituer à
l’État ».
12Le FLN va ainsi être associé aux instances du pouvoir que sont le conseil des
ministres (auquel participe un membre du secrétariat exécutif du parti), le conseil national
économique et social (CNES), aux pouvoirs législatif et judiciaire, sans pour autant détenir un
pouvoir d’initiative réel qui revient en fait au conseil de la révolution. En 1965, Les membres
du conseil de la révolution dont le président est Houari Boumediene, sont essentiellement
constitués de militaires (anciens chefs d’État-major de l’ALN et de wilayas) qui occupent
aussi pour certains, comme Kaid Ahmed, Khatib Youcef, Boubnider ou Mohand ou El Hadj,
des fonctions de direction au sein du secrétariat exécutif du parti. Dès lors, le pouvoir du parti
se confond avec celui des membres du conseil de la révolution. Le FLN constitue donc moins
un centre du pouvoir politique qu’une institution chargée de faire des propositions
d’orientation de la politique, sans pour autant diriger ni gouverner.
Quelle est alors l’étendue du pouvoir d’influence du parti sur l’ensemble des institutions ? Il
dispose d’un rôle consultatif au niveau du conseil des ministres, participatif plutôt qu’une
fonction d’initiative et d’orientation dans la politique menée par le gouvernement., Il ne
participa pas à la rédaction des statuts du secteur public fixés dans l’ordonnance 66-33 du 2
juin 1966 et son décret d’application, même s’il eut en héritage le rôle de contrôler sa mise en
application. il eut notamment un rôle consultatif dans la nomination des hauts fonctionnaires
dont la liste des emplois publics est décrite par le même décret n°66-140 du 2 juin 1966. Plus
généralement la fonction de contrôle du parti sur l’administration publique s’est
institutionnalisée par la présence de ses représentants au sein du Conseil Supérieur de la
Fonction Publique, en parité avec ceux du personnel de l’administration. L’objet fut d’offrir
au parti en perte de vitesse dans l’exercice du pouvoir, un pouvoir de contrôle du personnel
administratif grandissant et donc plus difficilement contrôlable. De fait le parti fut habilité par
la même ordonnance de 1966 à donner son avis sur toutes questions émises par les
fonctionnaires à l’adresse du Conseil. Le FLN participe aussi au pouvoir judiciaire par sa
présence au sein de différentes cours de justice (selon les modalités fixées par l’ordonnance
66-180 du 24 juin 1966) et du Conseil supérieur de la magistrature composé de 10 membres
dont 3 appartenant au parti. Le pouvoir judiciaire des magistrats est sous tutelle du pouvoir
politique et sous le contrôle du parti légitimé par son statut révolutionnaire. L’ordonnance du
13 mai 1969 relative à l’organisation du statut de la magistrature indique à cet effet que la
magistrature est au service du peuple et de la révolution. Déjà la constitution de 1963 dans
son article 62 précisait que « les juges n’obéissent qu’à la loi et aux intérêts de la révolution
socialiste ». L’ordonnance de 1969 affirme une forme d’indépendance des magistrats, non
vis-à-vis du pouvoir politique, mais des influences extérieures à l’Algérie, contraires à la
révolution et donc à la souveraineté nationale.
Le pouvoir législatif est aussi sous la dépendance du pouvoir exécutif. En effet, lors de la
préparation des textes législatifs, le parti est consulté dans la phase finale précédant la
procédure de vote à l’assemblée. Pour le vote des plans de développement économique, le
parti a même créé une commission chargée d’étudier les textes de loi avant leur passage au
conseil des ministres. Selon Mohammed Tahar Ben Saada (1992) le pouvoir effectif du parti
s’est manifesté aussi lors de la constitution des textes de loi relatifs aux communes de 1966.
Néanmoins il a fallu attendre la directive du parti du 24 janvier 1968 pour voir afficher la
volonté du pouvoir de rehausser le rôle politique du FLN par une rénovation du parti pour lui
redonner son statut de parti d’ « avant-garde ». Que signifiait politiquement cette relance ?
Pourquoi avoir attendu cette date ?
Le texte de la directive du FLN s’inscrit dans la continuité de l’élection des assemblées
Dans le document
Économie politique de l'industrialisation en Algérie : analyse institutionnelle en longue période
(Page 145-148)