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PARTIE II. A travers les échelles : la niche d'habitat influe sur la niche

A- Climat et habitat, filtres des distributions spatiales…

vulnérabilité des espèces et de leurs assemblages à des changements environnementaux temporels rapides, son objectif initial, dans la vision de Joseph Grinnell, était plutôt de formaliser l'observation que chaque espèce occupe une aire de distribution distincte contrainte par un ensemble de conditions environnementales (Grinnell, 1914; Grinnell, 1917a). Expliquer les distributions géographiques, en particulier en fonction de celle des conditions biotiques et abiotiques, est, de fait, presque par définition, l'un des objectifs premiers de la biogéographie (Blondel, 1995). Dans ce contexte, la niche devient un ensemble de filtres hiérarchisés qui définissent les zones de présence potentielle – les enveloppes (Huntley et al., 1995; Woodward & Beerling, 1997; Berry et al., 2002) – à diverses échelles spatiales (Fig. 15).

Parmi ces filtres, le climat reçoit une attention particulière. En premier lieu, il apparait comme le meilleur prédicteur des distributions à large échelle pour de nombreux groupes tant végétaux qu'animaux (Grinnell, 1917; Gaston, 2000; Gaston & Blackburn, 2000; Araùjo et al., 2009). Les conditions climatiques sont supposées refléter la distribution spatiale et temporelle de l'apport d'énergie sur Terre (approche d'ailleurs critiquée par Clarke & Gaston, 2006), et ainsi influencer directement la végétation et les cortèges faunistiques associés. D'autre part, les changements climatiques en cours sont à la fois une source de vulnérabilité pour la biodiversité qu'il faut comprendre, quantifier et prédire (Chapin et al., 2000; Parmesan, 2006; Lavergne et al., 2010), et une opportunité de tester "in natura" les mécanismes qui sous-tendent la dynamique des distributions spatiales à larges échelles (Gaston & Blackburn, 2000).

Schématiquement, la hiérarchisation des filtres liés à la niche écologique fait donc intervenir le climat comme principal facteur limitant des distributions à l'échelle spatiale la plus vaste, à laquelle se structurent les gradients climatiques (Fig. 15,

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"secondaires", c'est à dire qu'ils déterminent les zones de présence d'une espèce à petite échelle (Root, 1988; Luoto et al., 2007; Pigot et al., 2010). A une perspective multispécifique, cela revient à dire que le climat détermine la composition régionale du pool d'espèces, les communautés se répartissant ensuite selon des gradients de ressources plus fins (Willis & Whittaker, 2002). Cependant, tout habitat favorable à une espèce n'est pas nécessairement occupé à partir du moment où il se situe à l'intérieur de l'enveloppe climatique. Une diversité de facteurs (hasard, barrières à la dispersion, activités humaines…) est susceptible de créer des inadéquations entre les distributions prédites par les modèles de niche et celles effectivement réalisées (appelées "déséquilibres de niches" par Araùjo & Pearson, 2005). Ces absences non prédites, en conjonction avec la complexité difficilement modélisable des interactions biotiques locales et des variations intraspécifiques de la niche, contribuent alors à diminuer le pouvoir prédictif des modèles de distribution des espèces et, par voie de conséquence, de leurs assemblages (Baselga & Araújo, 2010).

La question des processus qui sous-tendent les patrons issus de modèles de distribution des espèces (Species Distribution Models, SDM, voir par exemple Guisan & Zimmermann, 2000; Elith et al., 2006; Thuiller et al., 2009) reste généralement en suspens : les réponses distributionnelles aux gradients climatiques sont-elles directes (physiologiques) ou indirectes (auquel cas le climat est une proxy de facteurs plus bruités)? En l'absence d'approche expérimentale, pratiquement infaisable à l'échelle de tels modèles (continentale, voire au-delà), une réponse possible réside dans la recherche de patrons d'interaction entre niche d'habitat et niche climatique, qui fait l'objet de cette partie.

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B- …en interaction du fait de l'histoire évolutive et des

patrons biogéographiques actuels

MANUSCRIT 3: Relating habitat and climatic niches in birds.

Barnagaud, J.Y.; Barbet-Massin, M.; Jiguet, F.; Devictor, V.; Le Viol, I.; Archaux, F. soumis à PLoS One.

1- Contexte

Dans ce manuscrit, nous explorons le lien entre niche d'habitat et niche climatique à l'échelle spécifique – la plus fréquente dans les SDM. La question est simple: comment covarient ces deux dimensions de la niche écologique? A l'image de la première partie, nous décrivons chaque axe de manière binaire, à travers la position et la spécialisation (que par commodité nous exprimons ici en termes de largeur de niche) de chaque espèce. Les hypothèses émises sont de deux natures:

Biogéographique : les habitats sont essentiellement formés par des

assemblages végétaux eux-mêmes sous influence climatique. Les distributions des espèces animales (et en particulier avifaunistiques) doivent coïncider avec celles de leurs habitats (Hewitt, 1999), créant de facto un lien entre optimum climatique et préférence pour la structure de végétation qui prédomine à cet optimum.

Evolutive : les axes d'habitat et de climat peuvent se contraindre

mutuellement, particulièrement s'ils sont covariants, comme suggéré dans l'hypothèse précédente. CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

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2- Questions posées

► Comment la position climatique est-elle reliée à la position d'habitat? Compte tenu des histoires climatique et biogéographique sur le continent européen, on s'attend à ce que les espèces forestières soient majoritairement liées à des climats froids.

Les spécialistes climatiques sont-ils spécialistes d'habitat? Deux hypothèses alternatives sont possibles : un compromis évolutif rendant impossible la spécialisation simultanée sur deux axes majeurs de la niche écologique; ou une niche globalement large ou restreinte (voir Chapitre 1).

DONNEES

Données avifaunistiques :

74 espèces de l'avifaune française. Niche d'habitat :

►indices basés sur un gradient

d'ouverture des habitats en 8 classes à partir des données du STOC EPS (Fiche Méthode 5 et manuscrit 5). Niche climatique (acquisition des données et calculs: M. Barbet Massin, Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris):

►numérisation des cartes de

distribution à échelle du Paléarctique Occidental de chacune des 74

espèces (à partir de Cramp & Simmons, 1977), et couplage à des grilles de température de résolution 0.5×0.5°C provenant de la base Worldclim (www.worldclim.org).

METHODES

Indices de niche :

►Niche d'habitat: la position est le barycentre des densités sur le gradient d'habitat en 8 classes ; la largeur de niche est donnée par l'indice de spécialisation SSI (indices présentés plus exhaustivement dans le Chapitre 3)

►Niche climatique: la position est la température moyenne sur l'aire de distribution d'une espèce ; la largeur de niche correspond à la différence de température entre les 5% de cellules Worldclim les plus chaudes et les 5% les plus froides (Jiguet et al., 2007). Analyses: deux relations sont testés : entre positions d'une part, entre

largeurs de niche d'autre part. Les analyses font appel à des GLS

intégrant les relations phylogénétiques entre les 74 espèces (Fiche Méthode 4). CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

2 4 6 8 2.2 2.3 2.4 2.5 2.6 2.7 2.8 2.9 position - habitat p o s it io n c li m a t fr o id c h a u d Du Hr Ma Mf Pd Pp Sd St a forêt ouvert -2.5 -2.0 -1.5 -1.0 2.4 2.6 2.8 3.0 3.2

largeur de niche - habitat

la rg e u r d e n ic h e c li m a t Du Hr Ma Mf Pd PpSd St b

Figure 16. Relation entre niche climatique et niche d'habitat: (a) positions, (b) largeurs. positions et largeurs de niche climatique sont log transformées. Les droites sont ajustées par régressions phylogénétiques. Les espèces qui contrastent avec le patron en (b) sont indiquées: Du Delichon urbicum, Hr Hirundo rustica, Mf Motacilla flava, Ma

Motacilla alba, Pd Passer domesticus, Sd Streptopelia decaocto, Pp Pica pica, St Streptopelia turtur. CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

3- Résultats

a/ Les espèces forestières privilégient les climats froids (Fig. 16a). Le patron observé

est cohérent avec la distribution post-glaciaire des habitats européens : les habitats ouverts sont essentiellement restreints aux zones chaudes (à l'exception des zones boréales dont l'avifaune n'est pas représentée dans notre jeu de données) du fait de la conjonction entre contraintes climatiques et activités humaines; la forêt ayant recolonisé l'essentiel du continent après la dernière glaciation (Hewitt, 1999; Olson et

al., 2001; Sanderson et al., 2002).

b/ Les espèces spécialistes d'habitat sont aussi spécialistes climatiques (Fig. 16b).

Un changement dans la distribution d'une espèce dépend de son aptitude à s'adapter localement aux conditions en marge d'aire de distribution et de sa capacité de dispersion (Gaston, 2009; Holt, 2009; Mcinnes et al., 2009). De ce fait, les spécialistes d'habitat sont contraints aux exigences climatiques de leur habitat optimal.

c/ Huit espèces ont des niches climatiques plus larges que les autres, et se situent

de ce fait nettement au-dessus du nuage de point. Six d'entre elles (à l'exception de la Tourterelle des bois, Streptopelia turtur et de la Bergeronnette printanière,

Motacilla flava) sont nettement anthropophiles. CemOA

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Figure 17. Différences entre populations centrales et marginales. En centre d'aire, une population est alimentée par une immigration multidirectionnelle, dans un environnement relativement stable. En marge d'aire, le flux d'immigration est unidirectionnel, et la population se situe dans un environnement temporellement plus variable (Sexton et al., 2009).

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4- Principales conclusions

La niche climatique est probablement contrainte par la niche d'habitat. Les

espèces urbaines ont une niche climatique plus large que les autres, quelle que soit leur niche d'habitat. Le climat aurait peu d'influence directe sur la distribution de l'avifaune, mais plutôt de manière indirecte à travers les structures de végétation ou ressources alimentaires par exemple.

L'influence de la niche d'habitat sur les aires de distribution pourrait avoir été sous-estimée. L'inadéquation des variables d'habitat utilisées, le bruit élevé à

larges échelles spatiales, la variabilité interspécifique, les covariations liées à l'histoire biogéographique peuvent conduire à confondre les effets du climat et de variables plus locales.

La prétention de ces résultats n'est évidemment pas de démontrer un quelconque processus, mais de chercher à dépasser le clivage entre facteurs influant exclusivement à grande ou à petite échelle spatiale. Il est en effet bien admis que les limites géographiques des espèces sont avant tout liées à la capacité à coloniser localement des îlots d'habitats dans un contexte environnemental plus variable qu'en

cœur d'aire (Fig. 17, Holt & Keitt, 2000; Holt, 2003; Sexton et al., 2009).

Dès lors, mettre en compétition habitat et climat dans le cadre des modèles de distribution a-t-il un sens? Oui, lorsqu'il s'agit de trouver des variables qui prédisent efficacement les distributions présentes (et par hypothèse, futures) à une résolution

spatiale donnée (voir par exemple Huntley et al., 2007). Identifier et tenir compte des

variables relatives à des grains plus fins a cependant un apport prédictif non

négligeable (Luoto et al., 2007) et constitue une étape de plus vers la clarification

des processus qui sous-tendent les aires de distributions.

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Figure 18. Tendance temporelle du CTI en France, préférence thermique moyenne des communautés locales d'oiseaux communs (Devictor et al, 2008a).

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C- Inverser les filtres: le rôle de l'habitat dans la

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