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Claude et sa relation avec les Juifs et les Grecs

Avec cet édit qui appelle au calme, le nouvel empereur put sans doute apaiser les tensions et les deux partis obtinrent partiellement ce qu’ils visaient. Comme le souligne A. Harker, Claude agit habilement en acceptant quelques-uns des honneurs votés par les Grecs, mais en en déclinant d’autres. Il acquiesça à certaines de leurs demandes subordonnées, mais refusa de créer une boulê et de tenir une enquête sur les émeutes de 41. En mentionnant la guerre contre les Juifs, il mit également en garde les Grecs contre toute méchanceté vis-à-vis des Juifs. Claude ne blâma guère ces derniers quant à leurs récentes émeutes et restaura leurs privilèges religieux, sociaux et légaux d’avant 3898. Néanmoins, il leur stipula une série d’interdictions, notamment en les avertissant de ne plus chercher à améliorer leur sort, car ils bénéficiaient déjà de nombreux privilèges dans une ville qui n’était même pas la leur. Aussi, qu’ils n’envoient plus deux ambassades, qu’ils ne tentent plus d’obtenir la citoyenneté en prenant part aux jeux des gymnasiarques et qu’ils n’invitent plus des Juifs de Syrie comme ils l’avaient fait pendant les émeutes de 41. Et s’ils désobéissaient, Claude écrit qu’il les châtierait comme s’ils propageaient une maladie dans tout le monde entier. On le sait, l’Égypte était une province d’importance vitale, car c’est elle qui assurait la majorité du ravitaillement de Rome en blé. Il était donc primordial pour Claude de rétablir le statu quo le plus rapidement possible, et ce, de façon impartiale et ferme.

De la même manière que les œuvres de Philon ont une valeur inestimable pour les historiens, ce texte livre des renseignements uniques sur plusieurs importantes questions et surtout, offre un témoignage unique sur la politique claudienne en Égypte. A. Momigliano écrivait un jour que l’analyse de la politique religieuse de l’empereur Claude révélait le mieux les idéaux qui gouvernaient son administration durant tout son règne. Il ajoutait même que par la nature des sources que nous possédions, cette politique religieuse s’appréciait le mieux par la clarification de l’attitude de Claude vis-à-vis des Juifs et de leur religion (cf. Annexe III)99. Ainsi, pour mieux saisir l’élaboration des politiques de Claude, l’étude de sa relation avec les Juifs –

98 A. HARKER, Loyalty and Dissidence in Roman Egypt, The Case of the Acta Alexandrinorum, Cambridge,

Cambridge University Press, 2008, p. 21-22.

99 A. MOMIGLIANO, Claudius, the Emperor and his Achievment, transl. by W. D. Hogarth, Cambridge UK,

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essentiellement connue par la Lettre de Claude aux Alexandrins – ouvre une voie singulière de recherche et d’examen. Par là, l’empereur devient plus transparent et en identifiant le contexte impérial dans lequel il évolue, cela permet de connaître davantage ses prédécesseurs Auguste, Tibère et Caligula.

On a déjà soulevé les édits qui auraient précédé cette Lettre de Claude. À ce titre, Aryeh Kasher fait remarquer que les passages « une fois encore, je conjure les Alexandrins de se conduire avec douceur et bienveillance envers les Juifs » et « Quant aux Juifs, je leur ordonne fermement de ne pas chercher à obtenir plus qu’ils avaient avant, de ne plus m’envoyer une seconde ambassade » indiquent clairement que la lettre fut précédée d’un autre document qui aurait également appelé les deux partis à la réconciliation et au calme. D’ailleurs, le premier édit contenu dans les écrits de Flavius Josèphe (AJ, XIX, 280-285 ; cf. p. 28) s’en assure en précisant « j'ordonne aux deux partis de veiller avec la plus grande attention à ne provoquer aucun trouble après la publication de mon édit ». Un autre passage de la Lettre offre également un autre indice : « j’amoncelle en moi une fureur impitoyable contre ceux qui recommenceraient ». Ceci, comme le souligne A. Kasher, indique que le conflit judéo-alexandrin avait déjà été rapporté aux autorités et que l’empereur Claude avait rendu sa décision avant même d’envoyer sa Lettre100. De plus, A. Momigliano avançait le fait que si Claude employa un ton dur dans sa lettre, c’est parce que les évènements à Rome (cf. discussion sur l’expulsion des Juifs de Rome à l’Annexe III) l’avaient dégoûté, ou encore parce qu’il était obligé de s’occuper des mêmes troubles reliés aux Juifs dans deux parties distinctes de l’Empire101.

À la lumière de ce qui a été esquissé dans ce chapitre, on remarque que des tensions longtemps palpables entre les Grecs – peut-être même aussi les Égyptiens – et les Juifs se mêlèrent à des besoins politiques qu’exigeait désormais la position précaire du préfet Flaccus. Ce dernier priva même publiquement les Juifs de leurs droits civiques et politiques, ce qui occasionna de violentes attaques contre les Juifs que les spécialistes ont du mal à expliquer. Y

100 A. KASHER, The Jews in Hellenistic and Roman Egypt, The Struggle for Equal Rights Tübingen, Mohr Siebeck,

1985, p. 269-270.

101 A. MOMIGLIANO, Claudius, the Emperor and his Achievment, transl. by W. D. Hogarth, Cambridge UK, W.

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avait-il un ressentiment à l’égard de Rome, une jalousie quant aux privilèges accordés aux Juifs ou encore une agressivité longtemps refoulée par le peuple égyptien? Difficile à dire. Ce que l’on sait, c’est que deux ambassades grecques et juives se rendirent devant un empereur hostile aux Juifs, car ceux-ci n’osaient pas reconnaître sa nature divine. Lorsque ce dernier mourut, c’est Claude qui monta finalement sur le trône impérial. Avec cet espoir de renouveau, les Juifs prirent les armes et Claude ordonna au préfet de réprimer la révolte. Pour Claude, comme pour tous les autres empereurs, le maintien de la paix en Égypte était nécessaire au bon fonctionnement et surtout au bon ravitaillement de la capitale en blé. Il démontra ensuite toute son humilité et sa bonté dans un édit qui exigeait d’une part, que les Juifs puissent conserver leurs coutumes ancestrales et d’autre part, qu’il ne devait pas y avoir de figure de l’empereur ailleurs que dans les temples lui étant dédiés. Puis, en ce qui concerne les évènements d’Alexandrie, Claude ne s’acharna guère sur les instigateurs, mais il ordonna aux deux partis de cesser les hostilités, et ce, à travers une Lettre qui témoigne d’une réelle considération et d’une participation active dans la gouvernance provinciale.

Non seulement ce conflit demeure complexe par ses différentes causes, mais il est aussi l’élément déclencheur d’une étude approfondie sur la politique réactive ou pragmatique de Claude envers la périphérie de l’Empire et la remise en question de tout son règne. On avait autrefois des témoignages épigraphiques qui pouvaient donner du crédit à son programme politique, mais les récits des Anciens venaient toujours faire contrepoids en rappelant qu’il n’était en rien le cerveau de telles décisions. C’est donc cette Lettre qui a occasionné toute cette remise en question. Cependant, elle est l’un des seuls témoignages en Égypte d’une politique active et apparemment pragmatique de Claude, et si l’on veut cerner plus clairement le caractère et la politique de celui-ci à l’égard de cette province, il faut à présent se tourner vers ses réalisations ailleurs dans l’Empire. Une œuvre à elle seule ne peut dresser le portrait d’un homme, car certains n’y verraient là qu’une étrange coïncidence. Or, trop de coïncidences tuent parfois la coïncidence.

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CHAPITRE III

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