• Aucun résultat trouvé

Ces cas concrets prouvent clairement que le personnel des tribunaux seigneuriaux, tout comme les seigneurs justiciers eux-mêmes et/ou leurs représentants (procureurs), ont

pleinement conscience des réalités judiciaires de l’époque, de l’importance que représente la

possession de droits de justice ainsi que la hiérarchie, les contours et les nombreuses

dépendances qui existent entre leurs juridictions respectives

29

. Il semble d’ailleurs très bien

institutions, Bruxelles, t. 52, 1990, p. 221.

27

ADS, E264, f°30 et f°30v°.

28

ADML, 8J14, f°206v°.

29

Voir par exemple le cas très intéressant relaté à travers l’amende suivante, ADM, 138J43, f°131-f°132 :

« Aujourd’uy penultieme jour du moys d’octobre l’an mil IIII

c

IIII

xx

et neuf, par davant nous Jehan Poisson,

chastelain de Lassay et lieutenant de monseigneur le bailly dudit lieu, c’est comparu et presenté Raoullet Morin

ou chastel de cyens lequel ou nom et comme procureur de damaiselle Catherine de Crertimy, veusve de defunct

noble homme Anthoine de Choursses, en son vivant escuier, sieur de Maigne et comme aiaint le bail, tutelle et

gouvernement de Anthoine de Choursses, son filz mineur d’ans, lequel Morin par vertu de ladite procuracion

dont la collacion d’icelle est dessus inscripte nous a sommé et requis de luy rendre Jehan Legoue lesné, Melot

Legoue, Michel Legoue ses filz et Jehan Pare detenuz prinsonniers syens sur ce que l’on dit contre eulx et

chacun d’eulx qu’ilz ont meurdry et octis ou estez causes, consentans et participans de la mort et octission de

deffunct Mathurin Fourneau lesquelx Gouez et Pare ledit Morin dit estre subiectz et estaigers de ladite

damaiselle et sondit filz à cause et par raison de leur terre et seigneurie de Boydemainne et de Merton ensemble

luy rendre le procès et informacion faiz par la court de cyens contre les dessusdits pour yceulx estrez pugniz par

leur court et juridicion selon l’exigence du cas. Apres laquelle requete ouye et sommacion faicte pour ce que

nous avons esté informez que lesdits Goue et Pare sont subiectz et estaigers de ladite seigneurie du

Boysdemainne et que en ycelle ont haulte justice pour les pugniz lesdits Gouez et Pare avons renduz audit Morin

procureur dessusdit avecques les cas et informacions faictes contreulx pour yceulx pugniz ainsi que au cas

appartient et de ce ledit Morin ou nom que dessus en a prins le fes et charge aux perilz qui y appartiennent et

oblige touz les biens meubles et heritaiges de sadite procuracion en garder et garantir monseigneur et touz les

officiers de cyens envers touz et contre touz de touz dommaiges et interestz presens nobles hommes Jehan

Margerie lesné, Franczoys Pantet, signour du Tertre, Estienne Laigneau, sergent du roy notre sire, messire

manipuler et maîtriser les classifications juridiques à l’intérieur desquelles cette panoplie de

droits s’organise. On notera que, ni les uns, ni les autres, ne prennent la peine, même

exceptionnellement au détour d’une affaire, de détailler le contenu des concepts de « haute

justice », « moyenne justice », « basse justice » ou bien encore « justice foncière ». Il semble

évident que tacitement chacun connaît la réalité à laquelle il souhaite renvoyer lorsqu’il utilise

de telles expressions. Sans doute est-ce là aussi une façon pour eux d’attester leur culture

juridique et de montrer qu’ils connaissent parfaitement les coutumes en application dans les

provinces où ils exercent et pourquoi pas d’ailleurs, en règle générale, la littérature normative

et théorique traitant de telles questions

30

.

2. « Fief et justice sont tout un » ou « fief et justice n’ont rien de commun » ?

De longue date, nombreux sont les historiens et les juristes à s’être intéressés à la

question de savoir si « fief et justice sont tout un » ou « fief et justice n’ont rien de commun ».

La première conclusion à laquelle ils arrivent à peu près tous unanimement est qu’il n’y a pas

une situation qui prévaut pour l’ensemble du royaume

31

. Si originellement, le fief désigne la

terre que le vassal reçoit, à partir de laquelle il est tenu de tirer suffisament de revenus pour lui

permettre de répondre aux exigences auxquelles il doit faire face dans le cadre du lien

féodo-vassalique établi avec son seigneur

32

, les rédacteurs des coutumes de l’Anjou et du Maine en

donnent, à la fin du Moyen Âge, une définition beaucoup plus large à savoir que « fié est une

manière de bienfait que seigneur donne à aucun où l’en en eust en seigneurie prouffitable,

pour le tenir de luy à certain service ou devoir »

33

. Comme le remarque Annie Antoine pour

l’époque moderne, « le terme de fief est susceptible d’un grand nombre de significations : il

peut désigner une seigneurie toute entière (l’expression « terre, fief et seigneurie » s’abrège

[souvent] en fief), la totalité de la mouvance ou bien seulement les parties nobles de la

Guillaume Roger pretre et aultres plusieurs. Comme Jehan Legoue, clerc de la parroisse de Genestay, et estaiger

du sieur du Boisdemaienne comme demourant au lieu de la Guiberdiere en ladite parroisse eust esté amené ès

prinsons du chastel de ceans sur ce qu’il estoit dit contre luy qu’il avoit esté cause conscentant et participant de

la mort et octision de deffunct Mathurin Fourneau lequel Legoue estoit requis estre rendu comme clerc à

monseigneur du Mans pour estre justissié dudit cas et aussi estoit requis par le procureur du sieur du

Boisdemaienne leur estre rendu comme leur estaiger et juridiciable sur le differend a esté appoincté que icelluy

Legoue poiroit une simple amende sans riens jugez en cause à la somme de dix livres tournois de laquelle

somme ledit sieur du Boisdemaienne ou son procureur en a eu la somme de cent solz tournois et monseigneur ou

son receveur cent solz sauf reservé le droit et action de la femme et heritiers dudit deffunct Mathurin Fourneau a

avoir et poursuir contre ledit Jehan Legoue ainsi qu’il est promis de devoir et raison fait le XXVIII

e

jour

d’octobre mil IIII

c

IIII

xx

et neuf, cens sols ».

30

Certains présidents d’audience ont d’ailleurs participé à la réformation des coutumes, voir la deuxième partie,

le chapitre VI consacré au personnel judiciaire.

31

Voir par exemple F-L. GANSHOF, Qu’est-ce que la féodalité ?, Saint-Estève, 1961, rééd. 1982, p. 260.

Toutefois, Jean-Marie Pardessus fait une démonstration intéressante visant davantage à prouver qu’à l’origine

fief et justice sont clairement séparés, voir Essai historique sur l’organisation judiciaire…op. cit., p. 321-323.

32

Bien sûr à la fin du Moyen Âge, le service armé effectué pour les seigneurs a presque totalement disparu.

Notons, que dans le cadre du contrat féodo-vassalique le fief peut revêtir de nombreuses formes telles une dîme,

des droits de ban seigneurial ou bien encore une fonction. En ce qui nous concerne, nous ne nous intéressons

qu’au fief entendu au sens de terre. Pour plus de détail, voir R. FOSSIER, « Fief », C. GAUVARD, A. LIBERA

(de), M. ZINK (dir.), Dictionnaire du Moyen Âge…op. cit., p. 529-531.

33

Ch-J. BEAUTEMPS-BAUPRÉ, Coutumes et institutions…, Coutumes et styles…op. cit., t. 2, Partie F,

Dixième partie, Titre premier : « Des fiez », §1445, p. 521.

mouvance »

34

. Au vu des registres audienciers, on peut en toute vraisemblance penser que la

situation telle qu’elle la décrit s’adapte parfaitement aux réalités de terrain de l’Anjou et du

Maine de la fin du Moyen Âge. Gustave d’Espinay pense quant à lui que « la langue des

chartes confondit ces deux termes différents [de fief et de seigneurie] ; souvent on lit dans les

textes que telle terre était située dans le fief de x ou faisait partie du fief de x, ce qui signifie

seulement que ce domaine était situé dans le ressort de telle ou telle seigneurie, il pouvait

malgré cela être tenu en pure aumône ou en alleu ou ne relever que roturièrement de la

seigneurie ; ces mots n’indiquent pas nécessairement que le domaine en question fût

lui-même tenu en fief par son possesseur »

35

.

Dans son Traité des fiefs, au chapitre consacré à « l’origine des fiefs », Claude

Pocquet de Livonnière aborde précisément la question du lien existant entre le fief – et l’on

pourrait donc ajouter la seigneurie - et la justice. Il note ainsi que sous « Hugues Capet, les

ducs et les comtes s’emparèrent aussi de la justice, qu’ils firent rendre en leur nom. Ils

établirent pour cet effet des baillifs ou sénéchaux, des prévôts ou châtelains ; s’attribuèrent le

pouvoir de concéder le droit de justice à leurs vassaux, lesquels, par succession de temps, en

firent part à leurs arrière-vassaux : de là s’est formée cette multiplicité des divers degrés de la

juridiction seigneuriale, qui s’est rendue héréditaire et patrimoniale, qui se trouve quelquefois

attachée au fief, comme en Anjou et au Maine, où il n’y a point de fief sans justice, et

quelquefois en est distincte et séparée, comme dans la plupart des autres provinces du

royaume, où l’on tient pour maxime que fief et justice n’ont rien de commun »

36

. Sur ce point,

il n’y a aucun doute dans son esprit puisqu’il réitère un peu plus loin dans son œuvre des

propos du même genre soutenant cette fois-ci ouvertement que « dans nos coutumes d’Anjou

et du Maine, nous tenons pour maxime […], que fief et justice sont tout un, c’est-à-dire, que

les droits du fief et de la justice sont confondus ; que ce qui appartient naturellement à l’un est

attribué à l’autre ; et qu’il n’y a point de fief sans justice, ni de basse justice sans fief »

37

.

Décrivant d’anciennes juridictions à Angers à la fin de l’Ancien Régime, M. Métivier

reprend les mêmes arguments en soulignant que « directement issues de la puissance féodale

et incessamment amoindries en nombre et en autorité par le pouvoir royal, [elles] étaient

restées cependant fort multipliées en Anjou, en vertu de l’adage coutumier « point de fief sans

justice » »

38

. En clair, il apparaît que la justice foncière serait, en Anjou et dans le Maine, en

34

A. ANTOINE, « La seigneurie, la terre et les paysans… », RHMC…op. cit., p. 18. Pour certains historiens,

« la notion de seigneurie est [d’ailleurs] aussi abstraite que celle de féodalité », voir E. CARPENTIER, M. LE

MENÉ, La France du XI

e

au XV

e

siècles…op. cit., p. 66.

35

G. ESPINAY (d’), Les cartulaires angevins…op. cit., p. 61-62.

36

C. POCQUET de LIVONNIÈRE, Traité des fiefs…op. cit., p. 3-4.

37

Ibid., p. 22. L’auteur précise d’ailleurs, p. 567 « que les seigneurs de fief en Anjou aient une justice attachée à

leur fief, ce n’est pas une nouveauté qu’on puisse soupçonner d’usurpation. C’étoit l’ancien usage des fiefs de

France, dont il est resté des vestiges dans cette province, comme a remarqué Dumoulin sur la coutume de Paris

[…]. Loin que cette prérogative des seigneurs fasse aucun préjudice aux droits du roi, il y a peu de provinces en

France où l’autorité du roi et de ses officiers soit plus étendue qu’elle l’est en celle-ci : car premièrement, notre

coutume, en parlant de la justice des seigneurs, commence par faire une réserve expresse des droits royaux qui

consistent dans les droits de souveraineté et de ressort et dans les cas royaux ».

38

M. MÉTIVIER, « Des anciennes juridictions à Angers », Revue de l’Anjou, t. 2, 1852, p. 154. L’auteur note en

effet qu’il « il y avait encore à Angers, en 1790 seize justices seigneuriales [dont pour certaines d’entre elles,

nous avons des registres audienciers attestant du fonctionnement de la justice seigneuriale]. Toutes étaient au

clergé à cause des fiefs qu’il possédait. Ces justices appartenaient à l’Évêché, à la cathédrale Saint-Maurice, à la

quelque sorte inhérente au fief (c’est le minimum de prérogatives détenues sur un fief ou dans

Documents relatifs