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Le cinéma américain en réponse à la Seconde Guerre mondiale

Welky indique, lui, que lors de la Seconde Guerre mondiale, Hollywood a pris conscience de l'ampleur de son impact sur le public américain. A l'appel du gouvernement pendant la guerre, l'industrie du cinéma s'est mobilisée pour créer des films destinés à influencer l'opinion publique, isolationniste à l'époque35.

Foreign Affairs relève que dans les années qui ont suivi l’attaque de Pearl Harbor,

Hollywood a produit plus de 200 films de guerre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, 65% des Américains ont vu au moins un film par semaine, et les cinémas ayant programmé des "Newsreels" avec de la musique patriotique avant les séances ont de cette façon à la fois diverti et informé le public tout en boostant le soutien à la guerre36.

Ces films ont permis au public d’intégrer l'idée que l'engagement américain dans la Seconde Guerre mondiale était bienvenu et nécessaire. Cela a été une des raisons de l'entrée de l'armée américaine dans l'action et dans la poursuite de cette action.

Comme Chambres l’écrit, désespérés par l'inclinaison grandissante vers la guerre et par l’influence du cinéma, les isolationnistes du Congrès et de l’America First Committee ont

35 Welky, D., 2008. The moguls and the dictators: Hollywood and the coming of World War II. Johns

Hopkins University Press, Baltimore, p. 19.

36 "Theaters showed newsreels with patriotic music prior to the feature film, delivering both information

and entertainment to the American public to boost the collective commitment to winning the war". Groundhog War, 2011. Foreign Affairs. URL https://www.foreignaffairs.com/reviews/review-essay/2011- 09-01/groundhog-war.

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fait peser une pression énorme sur Hollywood, l'accusant de faire de la "propagande pro- Alliés"37.

Dans The Best War Ever : America and World War II, Michael C. C. Adams a argumenté que grâce, ou bien à cause du cinéma, les années de la Seconde Guerre mondiale ont été perçues par le public américain comme un âge d'or, où tout a été simple et où tout le monde

s’est uni pour une cause commune sans conflits de race, genre ou classe38.

Même bien après sa fin, la Seconde Guerre mondiale a été perçue dans la société américaine comme une guerre tout à fait nécessaire. Par conséquent, même si le cinéma national a exprimé des critiques à propos de certaines démarches ou fait preuve d'une volonté d'exposer le choc des soldats à leur retour et le dommage (réversible) que la société américaine a subi à cause de la guerre, le cinéma n'a jamais critiqué le fait même d'entrer dans la guerre. Fussel, qui a lui-même combattu sur le front, a ainsi déclaré qu’Hollywood s’était compromis en faisant de la propagande au service de l'industrie militaire et du gouvernement et avait "vendu" la guerre au peuple américain, tout en masquant les côtés laids, immoraux et avides de la réalité du conflit39.

Chambres rapporte que le porte-parole de l'industrie, Will Hays, a annoncé un changement dans la politique d'Hollywood en 1939, en comprenant que le divertissement pur ne suffisait pas en temps de crise et en insistant sur l’obligation de l’industrie d'informer le

37 Chambers, John, 2006. The Movies and the Antiwar Debate in America, 1930-1941. Film & History: An

Interdisciplinary Journal of Film and Television Studies Volume 36.1 (Fall 2006). p. 44-57.

38 "The war years have come to seem a golden age, an idyllic period when everything was simpler and a

can-do generation of Americans solved the world’s problems. In this mythic time of the Good War, everyone was united: there were no racial or gender tensions, no class conflicts". Adams, M.C.C., 2015.

The best war ever: America and World War II. Johns Hopkins University Press, Baltimore, p. 13.

39 Fussell, P., 1991. Wartime, understanding & behavior in the Second World War. Oxford University

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public. Dès 1939, les studios Warner Bros ont décidé de produire une dizaine de films de guerre patriotiques et d'autres studios ont suivi. Les théâtres se sont également mis à jouer l'hymne américain avant chaque séance, et il y a eu de plus en plus de films pro-guerre et de moins en moins de films anti-guerres, jusqu’à ce que ces derniers ne deviennent une exception. Le plus grand film de ce type, La Grande Illusion (1937), a été produit en France et a bénéficié d’une toute petite distribution aux États-Unis, dans une version sous-titrée et

sans doublage ce qui l’a cantonné à des projections très confidentielles40.

En abordant le sujet de la Seconde Guerre mondiale, la plupart des films américains ont relaté l'histoire des équipes de combat opérant dans les champs de bataille, entrant ainsi dans la catégorie des films de combat. Mais même lorsqu'il s'agissait de soldats rentrant blessés chez eux, les films n'ont pas exprimé une position claire contre la guerre. Winchell, par exemple, souligne dans son analyse de l'un des films les plus canoniques à ce sujet, The

Best Years Of Our Lives (1946) que même si le film décrit en détail les difficultés

rencontrées par les soldats suite à leur participation à la guerre, aucune déclaration critique n'est prononcée contre l'engagement dans la guerre ou les événements de celle-ci. Bien qu'il traite de la relation entre la société et l'armée américaines, il ne relie jamais la structure de la société américaine et le militarisme du pays. Conformément à la politique du cinéma

américain de la Seconde Guerre mondiale, il adopte une approche favorable à la guerre41.

Ainsi, Winchell note que dans le film de Wyler, il n'est jamais question de la justification de la guerre dont reviennent les soldats. Même quand un homme qui n'a pas combattu

40 Chambers, J, 2006. The Movies and the Antiwar Debate in America, 1930-1941. Film & History: An

Interdisciplinary Journal of Film and Television Studies Volume 36.1 (Fall 2006). p 44-57.

41 Winchell, M.R., 2008. God, man & Hollywood: politically incorrect cinema from "The birth of a nation"

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suggère qu'il est stupide de s’engager, il est puni, sans ambiguïté car Wyler savait alors qu’il pouvait compter sur l'empathie du public, qui ne remettait pas non plus en question

cet engagement42. Cet exemple illustre le fait que, bien que le cinéma américain autour de

la Seconde Guerre mondiale ait pris bien soin d'indiquer le prix que la société a dû payer, il n'a jamais douté un instant des raisons de la participation au conflit, et n’a surtout jamais montré les failles fondamentales de l'État.

Qu’en est-il des films dits anti-guerre ? Comme Chambres l’écrit, la plupart des "films anti- guerre" au début des années 30 se sont uniquement focalisés sur l'horreur permanente des champs de bataille. Mais parce que l'industrie fonctionnait alors sur la base de scénarios génériques, ces films ne proposent pas de questionnements profonds sur la raison même de la guerre, ni de véritables questions morales43.

Le cinéma sur la Seconde Guerre mondiale, d’après Boogs et Polard, a fonctionné comme de la pure propagande en véhiculant la notion d’une nation fondée sur le sacrifice des jeunes et d’une masculinité définie par le combat44. Même les films de guerre les plus

42"In Wyler's Film, there is no question about the righteousness of the conflict from which the men return.

When a non-veteran suggests that Homer has been a fool to join the military, a brawl ensues, because Wyler could be certain that the overwhelming sympathies of his audience would be with Homer and against his antagonist, this confrontation scene is not the least bit problematic". Ibid, 152.

43 "Most of the antiwar films of the early 1930s merely encouraged excitement and revulsion against the

horrors of warfare. Few of them explored in any depth the causes of wars or the moral issues raised by aggression. Admittedly the chances for more complex explorations either way were slim…because the movie industry was organized in a system that encouraged the use of generic plot structures". The movies

and the antiwar debate in America, 1930-1941. n.d.. The Free Library. URL

https://www.thefreelibrary.com/The movies and the antiwar debate in America, 1930-1941.

44 Boggs, C., Pollard, T., 2016. The Hollywood war machine: U.S. militarism and popular culture.

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réalistes et violents ont insisté sur la nécessité et la productivité de la guerre, comme le montre Schatz45.

Kaes écrit à propos de All is Quiet on the Western Front que cette version américaine de l'expérience militaire allemande est devenue le prototype d'un nouveau genre : un film à gros budget, réaliste et anti-guerre, qui glorifie le combat. La fraternité entre hommes et l'héroïsme n’empêchent pas la mort tragique du héros. L'efficacité du montage classique fait en sorte que le public soit fasciné et ému par l’action sans chercher à comprendre le

véritable contexte et les conséquences profondes de la guerre46.

Hollywood a donc adopté ce prototype entre les deux guerres et l’a d’une certaine manière maintenu par la suite, un constat que ce travail cherchera à démontrer.

45 Schatz, T. "Old War/New War: Band of Brothers and the Revival of the WWII War Film." Film &

History: An Interdisciplinary Journal of Film and Television Studies, vol. 32 n°. 1, 2002, p. 75.

46"This Hollywood version of the German war experience became the prototype for a new genre: the

realistic big-budget antiwar film that often glorified combat, male camaraderie, and heroic action, only to end melodramatically with the tragic death of the protagonist. The narrative appeal and emotional impact of Hollywood's classical editing made it hard to comprehend war's deeper meaning beyond the fate of the protagonists". Kaes, A., 2011. Shell shock cinema: Weimar culture and the wounds of war. Princeton University Press, Princeton, N.J, p. 214.

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2. La réponse du cinéma américain

à la guerre du Vietnam

La réponse du cinéma américain à la guerre du Vietnam s’est distinguée de sa réaction à la Seconde Guerre mondiale de trois façons : d'abord, contrairement à la Seconde Guerre mondiale qu'il a considéré comme une guerre inévitable, le cinéma a fait référence à la guerre du Vietnam comme étant une guerre de choix, considération partagée par la société américaine dans son ensemble. Deuxièmement, depuis la guerre du Vietnam, le cinéma américain a commencé à se concentrer sur la réalité à l'arrière avec des films abordant le retour des soldats du champ de bataille à leur domicile, ou des films sur des personnages restés à l'arrière pendant que leurs proches combattent (ou meurent) sur les champs de bataille. Enfin, contrairement à ce qu’on a pu voir pour la Seconde Guerre mondiale, le cinéma américain ne s’est pas créé concomitamment au conflit, bien au contraire.

Film Comment écrit ainsi en 1979 que même si certains réalisateurs ont voulu véhiculer

des messages anti-guerre, ils l'ont fait près d’une décennie après le conflit, soit trop tardivement, à un moment où plus personne, y compris les activistes les plus farouchement hostiles à la guerre, ne s’intéressait au sujet47. On voit ici qu’on est très loin de la réponse

immédiate à la guerre en Irak, ce qui constitue une différence fondamentale.

47 "While the filmmakers clearly intended that the movie make an anti-Vietnam statement, the message

became lost somewhere along the way. Most obviously, the message came at least ten years too late. No one in the country, even those who most strongly protested the war, really cared about the conflict in 1978, at least as a cause". Hollywood and Vietnam. Film Comment. URL

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Les cinéastes américains œuvrant dans les années soixante-dix comme Michael Cimino, Martin Scorsese ou encore Francis Ford Coppola parlent du Vietnam dans leurs premières œuvres, mais ne le font pas simultanément à la guerre ni immédiatement après le cessez- le-feu officiel signé en 1972.

La seule exception a été The Green Berets (1968) qui était en fait un film de propagande soutenant l'armée américaine, réalisé pour renforcer le soutien public à cette guerre controversée. Le film est inhabituel, non seulement par la chronologie de sa sortie mais aussi parce que même quarante ans après sa production, il reste l'un des rares films américains montrant l'engagement militaire au Vietnam d'un point de vue positif. Cet unilatéralisme caractérise les films traitant de l'Irak. La grande majorité des films abordés dans ce travail peuvent en effet être définis comme des films anti-guerre. Bielakowsk explique que les critiques ont négligé The Green Berets en ne se rendant pas compte que ce film se réappropriait les mythes prévalant dans le cinéma sur la Seconde Guerre mondiale, ce qui a satisfait un certain public48.

Pendant cette période, par exemple, Cimino et Coppola ont réalisé deux road movies, respectivement Thunderbolt and Lightfoot (1974) et The Rain People (1969), qui ne parlaient pas du Vietnam. Ceux qui ont choisi de s'engager dans des films sur la guerre à cette époque avaient à choisir entre deux modes d'expression qui émoussaient l'intensité et l'efficacité de leurs déclarations : soit ils discutaient du Vietnam allégoriquement, comme

48 "Films critics have failed to acknowledge that Wayne’s film was showing Middle America its preferred

myth about itself. The Green Berets operated under an older system of myths, which had been used for World War II films and Westerns". Bielakowski, A. "Green Berets and 'Born Killers': Myth-Making and

the Vietnam War in American Film" Published in Quarterly Journal of Ideology 23:3/4 (Spring-Summer

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le fait Robert Altman dans son satirique film anti-guerre Mash (1970), qui se déroule pendant la guerre de Corée, soit ils s’appuyaient sur un autre ressort, apparu suite au manque de volonté et de capacité à agir directement, à savoir une vietnamisation de la Seconde Guerre mondiale via la satire militaire, comme en attestent Catch 22 (1961) et

Slaughterhouse Five (1969). Bien que ces deux films aient lieu pendant la Seconde Guerre

mondiale, ils apparaissent clairement, et notamment aux yeux des spectateurs, comme une critique du conflit vietnamien. D’autres encore ont créé des films traitant du Vietnam directement, et se sont alors fait censurer, comme le film documentaire Winter Soldiers (1972), dans lequel des soldats témoignent des crimes de guerre qu'ils ont vécus. Les chaînes de télévision ont refusé de diffuser ce film pendant la guerre, et il n’a obtenu une distribution cinématographique que trente ans après son montage, au moment où les médias américains ont commencé à faire face aux crimes de guerre en Irak.

Même quand le cinéma américain a commencé à s'engager directement sur le sujet du Vietnam, il n'a pas mis la guerre au centre des films. The Deer Hunter (1978) et Taxi Driver (1976), par exemple, ne relatent pas spécifiquement de ce qui s'est passé sur le champ de bataille, mais s’attardent plutôt sur les conséquences de la guerre sur la société américaine.

Film Comment a écrit à l’époque à propos de The Deer Hunter : "Les critiques se sont

précipités pour encenser le film…(mais)...le réalisateur passe à côté d’un point important

[…] The Deer Hunter échoue à capter l’essence de la tragédie américaine au Vietnam" 49.

Selig note ainsi que le cinéma sur le Vietnam ne s'occupe pas de questions politiques profondes mais essentiellement de questions personnelles. Ce cinéma ne se demande pas

49 Hollywood and Vietnam. Film Comment. URL https://www.filmcomment.com/article/hollywood-and-

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ce que la guerre dit sur l'identité de l’état ou de la société mais se limite à se demander ce que la guerre fait à l'identité du héros50.

En fait, il a fallu attendre Platoon en 1986 pour voir un film et un cinéaste, Oliver Stone, présenter les atrocités vues sur les champs de bataille du Vietnam. En ce qui concerne la génération d’auteurs qui a commencé à s'exprimer après la guerre du Vietnam, Brian De Palma a été le premier à s’attaquer à l’exercice critique en plaçant un crime de guerre au centre de son film Casualties of War (1989), sorti 17 ans après le retrait militaire américain du Vietnam.

Dans tous ces films, la guerre du Vietnam est considérée historiquement comme une guerre de choix et donc comme une guerre tout à fait évitable. Les auteurs à ce sujet ont valorisé une attitude critique à l'égard de l'entrée en guerre, de son développement et de ses résultats. Cependant, parce qu’elle a été la première guerre de ce genre dans l'histoire américaine, le cinéma l'a traitée comme une sorte de dysfonctionnement de l'appareil socio-politique– militaire et non pas comme la preuve qu'il existe des pannes importantes et éternelles dans ce mécanisme.

Ce point de vue, comme l’indique Maclear a aussi été partagé par l'ensemble du public

américain51. Même si une partie du public a étudié les erreurs de la guerre, elles n’ont pas

forcément été identifiées comme des défaillances enracinées dans le pays, et certainement

50 "In this sense, Hollywood's Vietnam films are something like a ‘talking cure’… As a result, U.S.

intervention in Vietnam is never confronted on the grounds in which it challenges political identity-as, for example, an ideological commitment to freedom and democracy. Instead, Hollywood representations of Vietnam are consistently limited to questions which focus on the threat Vietnam poses to personal identity". Selig, M. Boys Will Be Men: Oedipal Drama in Coming Home. From Hanoi to Hollywood. ed Linda Dittmar and Gene Michaud. Rutgers University Press: New Brunswick and London, 1990. p. 189- 203.

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pas dans la société. En revanche, l’opinion publique a considéré qu'il s'agissait d’erreurs spécifiques, commises par des dirigeants politiques et militaires, spécifiques eux aussi. Le meilleur exemple, souligné à la fois par Maclear et Allen, est l'hypothèse (dépourvue de fondement historique) selon laquelle si le président J.F. Kennedy et son frère, le candidat présidentiel démocrate Robert Kennedy, n'avaient pas été assassinés, la guerre au Vietnam aurait été terminée beaucoup plus en amont rendant la défaite américaine moins cinglante et le nombre de victimes conséquemment plus faible. Cette hypothèse est corroborée par Oliver Stone, souvent considéré comme le cinéaste le plus critique de la guerre du Vietnam dans son film JFK (1991).

Comment Hollywood se souvient du Vietnam ? Via trois paradigmes, répond Storey. Le premier s’appuie sur la faiblesse de la puissance du gouvernement de l’époque. le second sur la faiblesse de la puissance militaire et le troisième sur la trahison civile, sur ceux qui sont restés en arrière et n'ont pas suffisamment soutenu le front. Aucune de ces trois

approches ne prend en compte un éventuel malaise profond de la société52.

Storey ajoute que quand, avant la première guerre d’Irak, Bush a demandé aux Américains de se souvenir de la guerre en Vietnam, ils se sont souvenus de la guerre qu'ils avaient vécue au cinéma, et donc d’une guerre de courage et de trahison : "La vision hollywoodienne du Vietnam a fourni le matériel pour répéter, élaborer, interpréter et réécrire le souvenir américain largement dominant de la guerre au Vietnam". En se libérant du « Vietnam Syndrome », avec l'aide d’Hollywood, le public s'est libéré de ses démons et

52 "This is first a discourse about bad leaders. Second, it is a discourse about weak military leadership in the

field…Third, it is also a discourse about civilian betrayal…that the war effort was betrayed back home in America". Storey,J,. The articulation of memory and desire: from Vietnam to the war in the Persian Gulf, in: Grainge, P., 2008. Memory and popular film. Manchester University Press, Manchester, p. 108.

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