CHAPITRE I : LE CYCLE DU CARBONE ET LES COMPOSITIONS ISOTOPIQUES DES
III. Utilisation des isotopes stables du carbone
3. CID dans les fleuves
A ce jour, seulement une vingtaine d’études, utilisant le δ13C, ont permis de mettre en
évidence les sources et les processus qui contrôlent le CID dans les eaux de surface. L’ensemble de ces données est représenté sur la Figure 6 et les valeurs minimales et maximales pour chacun des bassins versants étudiés sont répertoriées dans le Tableau II. On observe que les valeurs de δ13C mesurées dans ces études couvrent la large
gamme de variations que nous venons de définir de façon théorique.
Figure 6 : Localisation des bassins sur lesquels des études du δ 13C
CID ont été réalisées.
Tableau II : Gammes de variations du δ13C
CID observées dans les eaux de surface
Numéro (figure 6) Fleuves δ13C min (‰) δ13C max(‰) références
1 Kalamazoo (USA) -11,4 -8,7 Atekwana et Krishnamurthy
Affluents -13,7 -9,3 (1998)
2 Owens Creek (USA) -15 -9 Kendall et al.
2 Shelter Run (USA) -20 -11 (1992)
3 Fraser (Canada) -8,24 -3,57 Cameron et al.
Affluents -10,2 -3,71 (1995)
4 Mackenzie (Canada) -22,2 -1,3 Hitchon et Krouse (1972) 5 Ottawa (Canada) -17,4 -7,3 Telmer et Veizer (1999) 6 Saint-Laurent (Canada) -4,7 0,7 Yang et al. (1996)
-1,8 0,3 Barth et al. (1998)
-1,7 2,2 Barth et Veizer (1999)
-6,83 0,11 Hélie et al. (2002)
Affluents -13,7 0,2 Barth et al. (1998)
-13,3 0,7 Barth et Veizer (1999)
-16,5 -6,7 Yang et al. (1996)
Ottawa -11,3 -4,08 Hélie et al. (2002)
Amériq
ue du N
ord
Mascouche -14,21 -9,19 Hélie et al. (2002)
7 Cobre (Jamaique) -14,4 -10,8 Andrews et al. (2001) 8 Amazone -28,5 -11,81 Longinnelli et Edmond (1983) 9 Lao, Tarapaca (Chilie) -7 7,3 Aravena et Suzuki (1990) 10 Orinoco (Venezuela) -20,1 -11,3 Tan et Edmond
Amériq
ue
du Sud
Affluents -23 -8,1 (1993)
11 Danube -11,4 0 Pawellek et Veizer
Affluents -11,1 -0,1 (1994)
12 Gange -Brahmapoutre -10,1 -8,2 Galy et France-Lanord (1999) Affluents -12,7 3,9
13 Indus -6,3 -1,1 Karim et Veizer
Affluents -9,6 0,6 (2000)
14 Lagan (Irelande N) -15,1 -2,6 Barth et al. (2003) 15 C. de la Turance (France) -15,9 -11,9 Dandurand et al. (1982)
16 Rhin -10,7 -4,4 Buhl et al. (1991)
Affluents -14,4 -5,6 Buhl et al. (1991)
-17,1 -4 Flintrop et al. (1996)
17 Rhône -11,3 -4,1 Aucour et al.
Affluents -13 -2,2 (1999)
Eurasie
18 Strengbach -24,4 -9,3 Amiotte-Suchet et al. (1999)
19 Waimakiriri (N. Zélande) -8,78 -5,55 Taylor et Fox
Océani
e
Affluents -15,94 -6,9 (1996)
Hitchon et Krouse (1972) furent les premiers à caractériser la signature isotopique du CID dans les eaux du bassin versant du Mackenzie, au Canada. Les valeurs observées
sur l’ensemble de ce bassin montrent de très larges variations (entre –22,2‰ et –1,3‰) qui indiquent la complexité de cette signature. Les études sur le Saint-Laurent
et ses affluents (Yang et al., 1996 ; Barth et al., 1998 ; Barth et Veizer, 1999 ; Telmer et Veizer, 1999 ; Helie et al., 2002) permettent de caractériser les différentes sources de CID mais aussi les processus dans le fleuve qui contrôlent la signature isotopique du CID. Yang et al. (1996) montrent que le Saint-Laurent est principalement contrôlé par les
grands lacs. Dans les lacs, dont le temps de résidence de l’eau est assez long, le CID est en équilibre isotopique avec le CO2 atmosphérique. Donc le CID du fleuve est contrôlé
par le CO2 atmosphérique. Les affluents montrent des valeurs de δ13C plus négatives que
dans le chenal principal.
En effet, Telmer et Veizer (1999) dans une étude sur le bassin du fleuve Ottawa, obtiennent des valeurs de δ13C comprises entre –17.4‰ et –7,3‰. Dans ce fleuve, le
δ13C est contrôlé par deux pôles : (1) la respiration et la dégradation de la matière
organique (avec un δ13C de –17‰) et (2) la dissolution de roches carbonatées (δ13C =
-8,5‰). Et malgré la faible superficie des carbonates sur ce bassin (8%), ils contribuent pour 39% au flux de CID. Sur ce même fleuve, Helie et al. (2002) donnent des valeurs moins négatives (entre –11,3‰ et –4,08‰) et indiquent que dans les zones silicatées du bassin, là où les concentrations de CID sont faibles, le δ13C est assez fort, indiquant
une contribution de CO2 atmosphérique. De plus, la présence de lacs et barrages sur ce
fleuve permet un meilleur équilibrage avec le CO2 atmosphérique.
Dans un autre affluent du Saint-Laurent, dont le bassin versant est de taille plus réduite que celle du bassin de l’Ottawa et dont la proportion de carbonates est plus importante, le δ13C indique des valeurs plus négatives. Ces valeurs correspondent à du
CID issu de la dissolution de carbonates à partir de CO2 des sols, sans contribution de
CO2 atmosphérique.
Barth et Veizer (1999) ont montré que le δ13C est différent entre le chenal
principal du Saint-Laurent et les écosystèmes côtiers. En effet, comme dans les autres études, dans le chenal principal du Saint-Laurent, le δ13C indique un fort contrôle par le
CO2 atmosphérique (du à la contribution des grands lacs) alors que dans les écosystèmes
côtiers, le δ13C est plus négatif, les pCO
2, les concentrations en COD sont plus élevées.
Dans ces écosystèmes, le contrôle de la signature du CID est principalement du aux processus de respiration et photosynthèse. Cette hypothèse est confirmée par la relation observée entre la teneur en COD dans les eaux et le δ13C
CID. En effet, lorsque les teneurs
en COD sont élevées, le δ13C
CID atteint des valeurs plus négatives, indiquant que le CID
provient d’une source biogénique (dégradation de matière organique ou respiration) et non pas d’un équilibrage avec le CO2 atmosphérique.
Cette observation d’un signal isotopique plus négatif dans les affluents que dans le fleuve principal, indiquant que les échanges isotopiques avec le CO2 atmosphérique sont
plus efficaces dans les grands fleuves, est aussi observée sur le bassin de l’Amazone (Longinelli et Edmond, 1983), du Rhin (Buhl et al., 1991) , du Waimakiriri, en Nouvelle-
Zélande (Taylor et Fox, 1996) du Kalamazoo, dans le Michigan aux USA (Atekwana et Krishnamurthy, 1998).
Kendall et al. (1992) montrent sur deux petits bassins versants aux USA que le δ13C
CID permet de tracer la contribution du CID venant de la dissolution des carbonates
par le CO2 de celui provenant de l’hydrolyse des minéraux silicatées. Cette contribution
des carbonates sur la signature isotopique du CID a été mise en évidence sur différents bassins (Dandurand et al., 1982 ; Pawellek et Veizer, 1994 ; Aucour et al., 1999 ; Barth
et al., 2003). Citons aussi l’étude sur un petit versant monolithologique de roche mère
silicatée, le Strengbach, dans les Vosges (Amiotte-Suchet et al., 1999).
En milieu tropical, sur les deux grands bassins de l’Amazone (Longinelli et Edmond, 1983) et de l’Orénoque (Tan et Edmond, 1993), le δ13C
CID indique, avec des
valeurs de l’ordre de –20‰, un très fort contrôle par les processus de respiration et de dégradation de matière organique. Sur l’Amazone, Longinelli et Edmond (1983) montrent que le δ13C