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Nous venons de dresser un récapitulatif des méthodes s’offrant au cher- cheur désireux de s’essayer à la reconstruction de traits de vie ancestraux et avons insisté sur la grande force supposée des données de séquences. Dans cette partie, nous nous attacherons à scruter un peu plus en détail les diffé- rents types de données moléculaires disponibles et les résultats qu’elles ont pu fournir, en mettant l’accent sur la dichotomie gènes nucléaires versus gènes mitochondriaux.

3.3.1 L’apport des gènes nucléaires chez les mammi-

fères placentaires

À l’exclusion du taux de GC ribosomique des procaryotes utilisé comme prédicteur des températures terrestres à la base du vivant (Galtier et al.,1999; Boussau et al.,2008), l’emploi de données moléculaires pour la reconstruction s’était basé à l’entame de cette thèse exclusivement sur les gènes nucléaires eucaryotes et ne considérait que le clade des mammifères. Disposant sur le plan pratique d’un bon échantillonnage taxonomique en termes de génomes complets et ayant exhibé sur le plan théorique de fortes relations entre traits d’histoire de vie et patrons d’évolution moléculaire, les mammifères avaient en effet tout du groupe idéal. Une base de données telle qu’OrthoMaM (version 9 ) (Douzery et al., 2014) permet par exemple de récupérer jusqu’à 15,000 gènes orthologues partagés par pas moins de 43 espèces. En complément du dN/dS,

les gènes nucléaires offrent de plus la possibilité de faire usage des variations de composition en bases pour reconstruire les traits de vie ancestraux ; l’inten- sité de la gBGC étant elle aussi influencée par la taille efficace.

Plusieurs études ont ainsi été menées chez les mammifères (Romiguier et al.,2013;Lartillot and Delsuc,2012) avec l’objectif affiché de retracer l’évo- lution de leurs traits d’histoire de vie ; lesquelles tirent profit de deux des ap- proches précédemment présentées (mapping des substitutions et méthode in- tégrative). Ces travaux ont ainsi révélé une bonne performance des données moléculaires pour aborder ces problématiques et ont fait émerger plusieurs ré- sultats marquants dans le clade des mammifères [FIGURE3.6].

FIGURE3.6 –Évolution de la longévité maximale chez les mammi- fères placentaires.

La reconstruction se fait sur la base du marqueur dN/dS et des patrons

de taux de GC3 inférés sur plusieurs milliers de gènes nucléaires or- thologues. L’ancêtre placentaire est représenté à la base de l’arbre par unP. D’aprèsRomiguier et al.(2013).

Parmi eux, on peut citer le cas passionnant de l’origine des placentaires. Le registre fossile est en partie muet au sujet de ses lignées basales, mais serait plutôt suggestif d’animaux de taille très réduite, proches des petits rongeurs actuels (à quelques exceptions près tel le Repenomamus giganteus et ses 15 kg,Hu et al. (2005)). Une vision largement relayée auprès du grand public à travers la fresque des dinosaures massifs dominant un écosystème où les pe- tits mammifères timorés préféraient se terrer à l’abri de leurs prédateurs. Les résultats moléculaires renvoient quant à eux une image de l’ancêtre placen- taire en complet désaccord avec la paléontologie, en le dotant d’une longévité d’une trentaine d’années, ce qui suppose un animal d’assez grande taille pour un mode de vie terrestre. Bien que le chemin soit encore long avant qu’un tel résultat ne trouve sa place dans les manuels, les données moléculaires ont au moins eu le mérite de questionner notre perception des origines du groupe et nous poussent à ne pas nous reposer uniquement sur le registre fossile.

3.3.2 Le génome mitochondrial : forces et faiblesses

En dépit des résultats encourageants générés par l’ADN nucléaire en ma- tière de reconstruction ancestrale, les séquences mitochondriales n’ont de leur côté bénéficié d’aucune attention. Tester la robustesse du marqueur mitochon- drial dans ce contexte, en intégrant les forces et les faiblesses résultant de son mode d’évolution particulier, a constitué l’un des objectifs de cette thèse.

Chez les mammifères, le génome mitochondrial mesure environ 17 kilo- bases et se présente sous forme circulaire à l’intérieur de la mitochondrie [FI-

GURE 3.7]. Aujourd’hui élément central du métabolisme énergétique, la mi- tochondrie résulterait de l’endosymbiose il y a deux milliards d’années d’une α-protéobactérie dans une cellule proto-eucaryote, intégration qui a été suivie par la migration vers le noyau de la quasi-totalité des gènes.

Sur le plan évolutif, la mitochondrie fait état de plusieurs spécificités no- tables à commencer par une taille efficace réduite d’un facteur quatre par rapport aux marqueurs autosomaux, résultat combiné de son génome ha- ploïde et d’une transmission uniquement maternelle. À ceci s’ajoute une quasi- absence de recombinaison (Dawid and Blackler,1972;Hutchison et al.,1974) qui amène l’ensemble du génome à être sélectionné comme un bloc et le pré- serve de processus tels que la conversion génique biaisée - bien que le génome conserve une composition en bases atypique [FIGURE3.8]).

Jouissant d’une inégalable disponibilité, le marqueur mitochondrial a connu un immense succès dans les études de phylogénie à bas niveau taxonomique, de phylogéographie, de génétique des populations ou de diversité où il sert no- tamment au barcoding des espèces à travers une portion de son gène COXI

FIGURE 3.7 –Composition du génome mitochondrial (A) et chaîne respiratoire (B).

Chaque cellule contient plusieurs centaines de mitochondries avec cha- cune un génome présent en quelques dizaines de copies.

A. Le génome mitochondrial comprend un total de 37 gènes dont 13

séquences codantes, 22 ARN de transfert et deux ARN ribosomiques. Les gènes sont dénués d’introns et les régions intergéniques sont ex- trêmement réduites, ce qui en fait un génome compact.

B. Réparties en quatre familles (ND, COX, ATP et CytB), les 13 cis-

trons assurent avec l’aide d’autres gènes nucléaires la respiration cel- lulaire au sein des cinq complexes intégrés dans la membrane interne. L’opération permet la production d’ATP (adénosine tri-phosphate) qui apportera par hydrolyse l’énergie nécessaire à l’ensemble des fonctions métaboliques.

FIGURE 3.8 –La réplication mitochondriale.

Le brin précoce est copié en premier à partir de la première origine de réplication (OH) jusqu’à ce que la seconde origine de réplication (OL), si-

tuée aux deux tiers du trajet, soit atteinte. La réplication démarre alors dans l’autre sens pour le brin tardif (Clayton, 1982). Le brin tardif va ainsi subsister un certain temps à l’état simple brin, ce qui le rend par- ticulièrement vulnérable aux mutations (C vers T étant le changement le plus fréquent). Il sera donc enrichi en T mais aussi en G tandis que le brin précoce contiendra davantage de bases A et C ; ce qui constitue une violation de la seconde loi de Chargaff qui postule une proportion similaire des quatre bases entre les deux brins. L’autre conséquence est la formation d’un gradient de GC le long du chromosome avec un taux plus faible à proximité de OH (là où le brin tardif demeure le plus

longtemps à l’état simple brin). Le gène ND6, situé sur un brin différent des autres séquences codantes, affiche à ce titre une composition en bases très distincte.

D’aprèsBrown et al.(2005).

(Ratnasingham and Hebert, 2007). Les raisons de son succès dans ces do- maines tiennent notamment sur le plan pratique à sa facilité d’extraction et d’amplification. Sur le plan théorique, son intérêt réside avant tout dans son hypermutabilité avec un taux dix à vingt fois supérieur aux marqueurs nu- cléaires. Celui-ci résulterait d’une réplication moins fidèle (liée notamment à l’absence du gène de réparation RecA, Lin et al. (2006)) et du fort potentiel mutagène des radicaux libres oxydatifs produits par la respiration.

Dans le contexte de la reconstruction des traits de vie ancestraux, la ré- ponse de l’ADN mitochondrial à la taille efficace s’est également illustrée par l’existence d’une corrélation entre masse corporelle et dN/dS (Popadin et al.,

2007) ; ce qui en fait à priori un marqueur pertinent. Cependant, ces avantages doivent être balancés par plusieurs écueils potentiels. En effet, bien que son taux de mutation élevé permette une accumulation rapide de signal de sub- stitution, celui-ci ne se répartit que sur treize gènes codants, ce qui reste peu en comparaison de ce que peuvent offrir les marqueurs autosomaux. De plus, ce fort taux d’évolution forme le terreau de la saturation où les substitutions répétées à un même site vont perturber les estimations des modèles phylogé- nétiques.

En définitive, il n’est pas aisé de prévoir si l’ADN mitochondrial est apte à réaliser la mission de reconstruction que l’on voudrait lui confier, et si tel est le cas, quelle est la gamme de conditions, en termes d’échelle de temps ou d’effort d’échantillonnage, qui lui sied le mieux.

3.4 L’ordre des cétartiodactyles comme groupe

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