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Le développement de modèles animaux est nécessaire pour saisir non seulement les divers aspects de la pathologie humaine, comme les changements physiologiques ou comportementaux, mais aussi pour comprendre la dynamique des effets thérapeutiques et leur mécanisme d’action. La création et la validation de modèles animaux en psychiatrie restent difficiles en raison de la difficulté à modéliser certains symptômes (pensées négatives, suicide). Willner entre autres, a proposé certains critères à l’établissement d’un bon modèle animal de pathologie (Willner, 1984) : les modèles doivent répondre à une validité de face (isomorphisme), une validité prédictive (corrélations pharmacologiques) et une validité de construction (homologie et similitude dans les mécanismes neurobiologiques). Un petit nombre de modèles animaux d’anxiété et de dépression sont fréquemment utilisés pour cribler de nouveaux composés ayant un potentiel antidépresseur. Les différentes approches de modélisation animale en neuropsychologie peuvent être regroupées par approche génétique, pharmacologique, comportementale ou par lésion (Nestler and Hyman, 2010). Le Tableau 9 ci-après présente différents protocoles de stress chronique fréquemment utilisés dans les études précliniques en neuropharmacologie. Dans la suite de ce chapitre, seul le stress induit par une administration chronique de corticostérone exogène (modèle CORT) sera détaillé.

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Tableau 9: Modèles chroniques d'anxiété/dépression chez le rongeur.

Type de stress Nom du modèle Durée du stress Forces Faiblesses Références

Stress environnementaux

Stress prénatal 1 à 4 semaines

-étude de l’impact du stress pendant période de gestation sur individu

adulte

-validité prédictive et de construction

(Maccari and Morley-Fletcher, 2007)

Résignation

apprise ≈10 jours

-validité prédictive, faciale et de construction

-grande variabilité d’exécution -disparition du phénotype après

arrêt des chocs

(Chourbaji et al., 2005; Hajszan et al., 2009) Stress imprédictible modéré chronique 3 à 4 semaines

-stress légers et aléatoires -conservation des altérations induites après l’arrêt du protocole

-validité prédictive, faciale et de construction -manque de reproductibilité -protocole contraignant (Mineur et al., 2003; Pothion et al., 2004; Willner, 2005) Interaction sociale

Défaite sociale Au moins 3

semaines -validité faciale et prédictive

-protocole non réalisable chez les femelles (Buwalda et al., 2005; Krishnan et al., 2007) Séparation maternelle 24h au 9ème jour ou 3-4h par jour, plusieurs jours consécutifs

-étude de l’impact des évènements stressants en début de vie sur

individu adulte

-validité de construction (Finamore and Port, 2000)

Pharmacologique CORT 28 jours

-facilité de mise en place du protocole

-bonne reproductibilité -validité faciale et prédictive

Matériel et Méthodes

110 1.1.1 Modèle d’administration chronique à la corticostérone

Les stress sociaux ou le stress chronique induisent des perturbations de l’axe HPA chez le rongeur se matérialisant par une augmentation des concentrations plasmatiques en glucocorticoïdes (corticostérone pour les Rongeurs) (Grippo et al., 2006). Ainsi, le modèle développé à partir de l’augmentation des concentrations en glucocorticoïdes par l’apport de corticostérone exogène (CORT) soit par injection sous-cutanée, pompe osmotique ou plus simplement par l’intermédiaire de l’eau de boisson ou dans la nourriture, permet d’étudier directement l’influence des glucocorticoïdes sur le développement du phénotype anxio/dépressifs (Figure 14).

1.1.1.1 Conséquences phénotypiques comportementales d’un régime chronique de corticostérone chez le rongeur

1.1.1.1.1 Modifications du comportement d’anxiété et de dépression

L’administration répétée de CORT semble inhiber le comportement sexuel (Gorzalka et al., 2001), provoque une diminution de la prise de saccharose (Gourley and Taylor, 2009), mais également une diminution de la réponse à un renforcement alimentaire (Gourley et al., 2008) ainsi que du toilettage (David et al., 2009), tous ces paramètres étant indicateurs d’une anhédonie. En plus de l’anhédonie apparente, il apparaît que les animaux développent un phénotype anxio/dépressif à travers l’évaluation comportementale dans le labyrinthe en croix surélevée (Pego et al., 2008), la

Figure 14 : Système de réponse au stress via l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien.

Les glandes surrénales produisent du cortisol chez l’Homme et de la corticostérone chez la souris. CRH :

corticotropin-releasing hormone ; ACTH : adrenocorticotropic hormone Glandes surrénales ACTH Système immunitaire Hypothalamus Hypophyse Hippocampe Cortex STRESS GLUCOCORTICOIDES CRH

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double enceinte éclairée (Murray et al., 2008), le test d’odeur de prédateur (Kalynchuk et al., 2004), ou encore dans le test d’hypophagie induite par la faim, et le test du champ ouvert(David et al., 2009; Gregus et al., 2005). L’apparition d’un phénotype de dépression sans phénotype anxieux est rarement référencée chez les patients (Mineka et al., 1998), ce qui renforce les résultats obtenus par ce modèle. D’autres marqueurs physiologiques d’anxiété/dépression sont également altérés, notamment la dérégulation des fonctions et des concentrations des acteurs de l’axe HPA, la prise de poids et l’atrophie des glandes surrénales (Gourley et al., 2008; Murray et al., 2008). Cependant, de réelles données relatives aux constituants neurobiochimiques de l’axe HPA durant le protocole de stress restent à ce jour peu renseignées. Par ailleurs, la majorité des comportements induits par ce modèle est corrigée par l’administration chronique d’antidépresseurs (Ago et al., 2008; David et al., 2009; Rainer et al., 2012), supportant la validité prédictive de modèle préclinique de la dépression humaine.

1.1.1.1.2 Modifications comportementales des capacités cognitives

En plus des modifications comportementales modélisant les symptômes de la pathologie de la dépression, l’administration de CORT ainsi que de nombreux modèles d’anxiété/dépression provoquent également des changements au niveau de la plasticité synaptique, souvent révélés par des déficits comportementaux d’apprentissage et de mémoire. Les modifications comportementales induites par le modèle CORT sont présentées dans la Revue “Cognitive dysfunction in major depressive disorder : A translational review in Animal models of the disease » disponible dans la partie introductive de cette thèse et seront développées dans la partie Discussion.

1.1.1.2 Conséquences structurelles et moléculaires d’un régime chronique par de la corticostérone

Au-delà des modifications comportementales induites par l’administration chronique de CORT, ce modèle provoque également des modifications structurales liées à la plasticité et notamment la diminution du processus de prolifération cellulaire et de la neurogenèse dans l’hippocampe (David et al., 2009; Malberg et al., 2000). Plusieurs études ont pu mettre en évidence que les atteintes de la plasticité se localisent dans les régions cérébrales clefs impliquées dans la dépression. En effet, il a été observé un remodelage dendritique induit par la CORT dans

112 l’hippocampe (Magarinos et al., 1999; Southwick et al., 2005; Watanabe et al., 1992), l’amygdale (Mitra and Sapolsky, 2008), et le cortex préfrontal (Seib and Wellman, 2003). Ces résultats sont également retrouvés après des études post mortem de patients souffrant de dépression (Konarski et al., 2008). En particulier, il est connu que l’exposition prolongée à la CORT induit une atrophie dendritique des cellules pyramidales de l’hippocampe, et une perte de volume des dendrites apicaux des régions CA3 et CA1 (Magarinos et al., 1999). D’autre part, bien qu’étant également le siège de la neurogenèse chez le rongeur adulte, les effets des glucocorticoïdes dans le bulbe olfactif adulte restent moins étudiés. Néanmoins, une étude récente a mis en évidence la présence de déficits olfactifs chez les animaux traités chroniquement par de la corticostérone, partiellement restaurés par un traitement chronique par de la fluoxetine (Siopi et al., 2016).

L’administration de CORT chez l’Animal et chez l’Homme est associée à une réduction du facteur de transcription de l’élément de réponse liant l’AMPc appelé CREB (Pittenger and Duman, 2008). Fait intéressant, l’activation de CREB induit la neurogenèse alors que son inhibition la réduit (Nakagawa et al., 2002), faisant de CREB un acteur important de la stabilité neuronale associée au stress et à la dépression. Entre autres, CREB contrôle des gènes effecteurs, eux aussi impliqués dans la stabilité de la plasticité synaptique. L’un de ces gènes est celui codant pour le « brain derived neurotrophic factor » (BDNF), qui joue un rôle critique sur la plasticité dans le développement, dans la survie et la fonction des neurones (Pittenger and Duman, 2008). Chez l’animal, l’exposition aux glucocorticoïdes altère aussi bien CREB que le BDNF dans les différentes régions limbiques (Gourley et al., 2008; Jacobsen and Mork, 2006), également chez les patients atteints de dépression (Dwivedi et al., 2003; Sen et al., 2008).

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