• Aucun résultat trouvé

Notre premier choix s’est arrêté sur Scotstown, de Fabien Cloutier. Jouée en 2008, cette pièce met en scène un personnage masculin qui ne sera jamais nommé. Ce dernier vient de Scotstown, petite ville de l’Estrie, région rurale du Québec. Il cherche son chum, Chabot. Rapidement, le protagoniste, dont la langue est crue et vulgaire, nous raconte l’histoire derrière cette disparition, résultat d’une virée à Montréal assez rocambolesque. La pièce, divisée en plusieurs « contes », se poursuit avec le récit des mésaventures du protagoniste, maintenant devenu complice avec le public. Le monologue se termine sur des retrouvailles inattendues et

une fête extraordinaire réunissant tous les personnages ayant pu intervenir dans les histoires du protagoniste. Cette pièce est intéressante en vertu du fait qu’elle propose un personnage s’identifiant clairement à la vie rurale québécoise, mais dont les opinions et perceptions qu’il a de lui-même et des autres changent et se contredisent au fil des rencontres et des projets qu’il a pu faire. La pièce a aussi ceci de particulier qu’elle joue avec différents genres, soit le monologue, le conte et le récit comique. À travers ces récits disjoints, la réalité se mêle au fantastique ou au rêve, et le monologue est continuellement marqué par le bris du quatrième mur. Ce que Scotstown propose, c’est une lecture à plusieurs niveaux d’un personnage à l’identité en apparence claire, mais en réalité beaucoup plus complexe qu’elle n’y paraît. Si le chum à Chabot tente de convaincre le public d’une opinion ou d’une réalité, il a tôt fait de la contredire d’une façon ou d’une autre. Sous cette langue vulgaire se cachent plusieurs discours identitaires qui s’entrechoquent, révélant ainsi un personnage à l’identité profonde et complexe. Cette exploration de la ruralité québécoise et de l’urbanité montréalaise ne permet pas de sortir d’un univers typiquement québécois. Il faut, pour cela, que nous passions à l’exil avec Yukonstyle de Sarah Berthiaume. Contrairement aux deux pièces précédentes de Sarah Berthiaume, cette œuvre se joue sans Québec et sans Québécois «de souche». Yukonstyle offre différentes formes d’altérité : une Japonaise fuyant sa famille, un métis aux prises avec un père alcoolique lui cachant ses origines, une voyageuse habillée à la mode Harajuku. Ces personnages iconoclastes cohabitent dans un Yukon qui mélange passé et présent, temps et espace et qui agit en quelque sorte comme une terre promise, un lieu spirituel dans lequel les êtres perdus peuvent confronter leurs démons intérieurs. Analyser Yukonstyle pose le défi intéressant d’identifier des marqueurs de québécité dans un texte qui semble tout faire pour fuir les clichés identitaires québécois. Cette œuvre devrait aussi nous permettre de comprendre les

27

différents rapports qui existent entre les manifestations de l’altérité. Enfin, la dimension spatiale de cette pièce joue sur différents plans, car le Yukon y joue le rôle de terre mythique. Nous pourrions, en quelque sorte, voir en ce territoire un autre personnage qui vient déplacer les référents spatiaux et temporels. Outre cela, l’œuvre force les dédoublements identitaires chez les personnages, qui sont tantôt narrateurs, tantôt autres qu’eux-mêmes. Ces jeux identitaires, mis en parallèle avec les autres œuvres, devraient permettre de mieux comprendre la dynamique des identités qui peuvent habiter un personnage.

Enfin, avec Félicité, d’Olivier Choinière, nous sortons de la dimension territoriale de l’identité pour entrer dans un véritable conflit des discours. En effet, chaque personnage, dans cette pièce, est appelé à jouer deux ou trois rôles liés à des univers différents : sa vie réelle, la vie idyllique de Céline Dion et l'horreur vécue par une jeune fille née dans une famille incestueuse. Ces trois vies se chevauchent, se contaminent mutuellement, dédoublent les discours et les incohérences dans une dynamique qui tantôt cherche à affronter l'horreur et tantôt tente de la fuir en se réfugiant dans un paradis imaginaire. Ce texte a ceci d'intéressant qu'il fait intervenir une figure issue de la culture populaire comme figure salvatrice, et ce, même si cette figure entre profondément en conflit avec la réalité.

Ce mémoire privilégie une approche comparative entre les divers éléments du corpus de façon à bien montrer que les conflits identitaires, quoiqu’évidemment traités de façon différente dans chaque pièce, relèvent tous sensiblement des mêmes thématiques (temps, lieu, individualité, altérité, mise en scène), des mêmes enjeux et des mêmes fondements. Ces thématiques reprennent, à leur façon, l’approche abordée par ce cadre théorique, soit une approche hybride, fortement inspirée par la mythanalyse, qui permet de relever les différentes manifestations rationnelles et émotionnelles des thématiques mentionnées et qui permet de

combiner les éléments théoriques relevés par les auteurs cités jusqu’à présent et empruntés à différentes disciplines (historiographie, mythocritique, sociologie, littérature, etc.). Nous nous intéresserons au traitement de l’identité dans chaque pièce en analysant les constructions mythiques qui appuient ces démarches identitaires. Nous allons relever les éléments de ces constructions mythiques qui permettent que soit posé un regard sur la québécité, conçue comme la mise en place d’une ambivalence identitaire, par le dialogue entre différentes constructions mythiques. Ces dernières peuvent être observées selon trois axes essentiels au déploiement d’un dialogue identitaire : la spatio-temporalité, soit le rapport à l’espace et au temps qu’entretient le mythe ; la dynamique identitaire opposant le Soi à l’Autre, dynamique essentielle au développement identitaire ; enfin, les stratégies para-conflictuelles utilisées pour contourner « l’immunité » du mythe.

29

La spatio-temporalité du mythe social dans l’écriture