Pertes estimées : 100 à 150 M€/an*
E. Consommation d’énergie fossile
2. Chiffrage économique
a) Impact des émissions
Concernant l’usage des engrais azotées à l’échelle de la France, le CGDD a proposé fin 2015 un chiffrage additionnant des externalités environnementales allant au‐delà des coûts relatifs à l’eau qui avaient était identifiés en 2011 (cf. supra), et intégrant notamment un poste pollution de l'air (Tableau 10). Cependant, il nous semble difficile d’indiquer un pourcentage de moindre pollution de l’air par l'AB et donc un bénéfice chiffré de l’AB.
Tableau 10. Ensemble des externalités environnementales liées à l’usage des engrais azotés Source : CGDD 2015‐ Echelle France
b) Actions pour atténuer le réchauffement climatique
Dans le rapport d'étude INRA 2013 « Quelle contribution de l’agriculture française à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Potentiel d'atténuation et coût de dix actions techniques », Pellerin et al. retiennent l’action « réduire le recours aux engrais minéraux de synthèse, en les utilisant mieux et en valorisant plus les ressources organiques ». Les auteurs indiquent que le potentiel de cette action est a priori important, qu’elle est convergente avec d'autres objectifs agri‐ environnementaux et qu’elle peut être mise en place rapidement. Cette action est estimée avoir un potentiel d'atténuation annuel de 1,88 en Mt CO2e par an en 2030.
L'action suivante (avec deux sous‐actions) mise en avant par Pellerin et al. vise également une réduction du recours aux engrais azotés de synthèse, par un accroissement de la culture des légumineuses. Il s'agit de : 1) Accroître la surface en légumineuses à graines en grandes cultures (potentiel d’atténuation estimé à 0,91 Mt CO2e par an en 2030). 2) Augmenter et maintenir des légumineuses dans les prairies temporaires (potentiel d’atténuation estimé à 0,48 Mt CO2e par an en 2030). Ces deux actions prônent donc des pratiques qui sont mises en œuvre par l'AB.
F.
Biodiversité et services écosystémiques
Si l’on se réfère aux « urgences » par rapport aux limites des ressources et aux seuils identifiés comme problématiques parmi les neuf « limites » (« Planetary Boundaries » de Rocktröm et al., 200910) l’érosion de la biodiversité est placée comme l’une des premières urgences (richesse spécifique et abondances…). Mais il reste encore de vastes questions méthodologiques de fond en ce qui concerne l’évaluation de la biodiversité, qui ne peut être abordée par une « unité commune », comme le rappellent Chevassus‐au‐Louis et al. (2009).
Certains auteurs essaient de proposer des « indicateurs » de biodiversité, mais il s’agit surtout d’initiatives visant à comptabiliser la biodiversité. Il est en effet possible de caractériser, en un lieu donné et par rapport à une préoccupation donnée, l’état de la biodiversité à partir d’une batterie d’indicateurs pertinents, cependant il est plus beaucoup plus complexe d’évaluer les processus liés à la biodiversité. Ceux‐ci (comme la régulation biologique, la pollinisation, la minéralisation de la matière organique) sont en effet très imbriqués (synergies, boucles de rétro‐action, …), et les difficultés méthodologiques de quantification des services sont grandes.
Les observations se concentrent sur quelques groupes taxonomiques : la flore, l'avifaune et certains arthropodes. Elles ont mis en évidence un net déclin des populations d'oiseaux spécialistes des milieux agricoles (passées d'un indice 100 en 1989 à 55 en 2013). De nombreux facteurs et effets directs et indirects interfèrent : toxicité des intrants, destruction des milieux semi‐naturels, moindres disponibilités alimentaires dans les champs… Les pesticides eux‐mêmes ont des impacts multiples, avec des effets directs létaux et non létaux (affectant les comportements, la reproduction…), et des effets indirects, notamment trophiques. L'exemple du déclin des abeilles domestiques illustre la complexité des facteurs et des interactions : des synergies délétères entre un insecticide (néonicotinoïde) et un bio‐agresseur (varroa, nosema) ont été montrées. ). Le taux de mortalité des abeilles est passé de 5 à 30 % en une dizaine d'années. Il est difficile d’attribuer un poids au facteur « pesticides » pour lui affecter un pourcentage de la sur‐mortalité des abeilles, en raison de paramètres imbriqués, tels que les stress alimentaires, pathologiques et chimiques. Par ailleurs, au‐
10 Les neufs « limites environnementales » de la planète identifiées par les auteurs sont les suivantes : érosion de la biodiversité, cycles
biochimiques, changement climatique, acidification des océans, pollution chimique, et aérosols, trou d’ozone, consommation de la ressource foncière, consommation en eau.
delà de la mortalité, il faut tenir également tenir compte des non retours à la ruche (perturbations du repérage, et des vols, même à faibles doses).
Au‐delà de l'absence de pesticides de synthèse, plusieurs éléments plaident pour un effet favorable de l'AB sur la préservation de la biodiversité (espèces et écosystèmes) : le surcroît de prairies et d'infrastructures écologiques, des rotations plus diversifiées offrant des abris et des ressources alimentaires plus variées et continues… Toutefois, la grande étude européenne "BIOBIO", comparant les exploitations en AB et en AC, a montré que, dans l’ensemble, la diversité d’espèces est à peine supérieure en AB, et que la présence d’espèces rares ou menacées ne dépend pas tant du mode de production (AB/AC) que des pratiques culturales mises en œuvre et de la diversité des habitats non cultivés ou semi‐naturels présents.
L'évaluation des services rendus par la biodiversité de régulation biologique des ravageurs des cultures et de pollinisation se heurte à plusieurs limites. La plupart des travaux s'en tiennent à une quantification des organismes susceptibles de rendre le service (arthropodes prédateurs, pollinisateurs), sans quantification de leur action et de ses bénéfices. Seules quelques études proposent des évaluations monétaires de ces services, mais elles sont réalisées à des échelles extrêmes (la parcelle ou le monde). Pas ou peu de travaux distinguent spécifiquement l'AB, et l’on manque ainsi de références pour définir son effet d'exacerbation de ces services. Les milieux semi‐ naturels, qui sont déterminants pour les organismes assurant ces services, ne sont pas pris en compte dans les études à la parcelle ou dans l'attribution aux surfaces cultivées des estimations mondiales. Toutes les productions ne sont pas concernées au même titre par ces services, y compris parmi les grandes cultures : la fécondation des céréales ne dépend par exemple pas des pollinisateurs. Les productions fruitières et légumières, en sont le plus tributaires, et parmi ces dernières, il peut y avoir au sein d’une espèce des variétés plus ou moins dépendantes de la zoogamie.
1. Quantification des impacts négatifs sur la biodiversité liés à l’usage des
pesticides et des nitrates
a) Pesticides chimiques L’environnement humain se dégrade et la biodiversité est particulièrement en crise (Barnoski et al. 2012) : l’empreinte de l’activité humaine sur le milieu naturel s’accroit et menace la biodiversité, elle‐ même source de grandes fonctions régulatrices. La préservation des systèmes de régulation du capital naturel est en jeu (de Perthuis et Jouvet, 2013).La faune est en particulier soumise à de multiples pressions : pesticides, mais aussi micropolluants ; plus de 100 000 molécules synthétiques sont produites par l’industrie pour des usages les plus variés (solvants, plastifiants, médicaments, cosmétiques, retardateurs de flamme…). Environ un millier de nouvelles molécules sont mises sur le marché chaque année. Certaines de ces substances sont présentes dans les eaux à des doses très faibles (d’où le terme de micropolluants), certaines peuvent s’accumuler dans les organismes. Elles sont soupçonnées d’avoir des effets toxiques (mutagènes, tératogènes ou perturbateurs endocriniens). Dans ce contexte de pollution diffuse, il est difficile de distinguer la contribution spécifique des pesticides et de cerner les effets de synergie entre ces types de polluants.
Déclin des abeilles et lien avec les pesticides
Des études estiment que la mortalité des abeilles, et le déclin corollaire du service de pollinisation (abeilles domestiques qui ne sont pas les seules pollinisatrices, et pas les seules affectées), sont liés, au moins en partie, à l'usage des pesticides chimiques (et en particulier ceux de la famille des
néonicotinoïdes, qui représentent aujourd'hui 25 % du marché (
van der Sluijs, 2013
). On peut citer notamment les travaux de Henry et al. (2012) qui, étudiant l’exposition non létale d’abeilles au thiaméthoxame, mettent en évidence un déclin des abeilles non par toxicité directe mais du fait d’une orientation perturbée (impact sur le système cérébral de géolocalisation) induisant des difficultés à retrouver la ruche.Mais d'autres facteurs peuvent jouer, comme le réchauffement climatique, des parasites et pathogènes, des ressources alimentaires peu variées, ainsi que des interférences/synergies entre les facteurs perturbateurs (Potts et al., 2010). Blanken et al., (2015) soulignent des synergies d’impacts entre le varroa et l’usage de l’imidaclopride sur la réduction des capacités de vols des abeilles. Par conséquent, tout en notant l’effet des pesticides chimiques sur le déclin des abeilles, il n'est donc pas possible, dans l'état actuel des connaissances, de quantifier leur strict impact à la diminution du service de pollinisation rendu. Cependant, parmi les facteurs et les combinaisons de facteurs mis sur la sellette, les insecticides sont en train de prendre la tête (Smart et al., 2016). Les néonicotinoïdes étaient déjà les plus suspectés en Europe du fait de la synchronisation entre leur arrivée sur les grandes cultures et les effondrements de productions et les mortalités d’abeilles.
En ce qui concerne les impacts de ces néonicotinoïdes en particulier, les données de toxicologie démontrent des impacts larges pour les divers groupes taxonomiques non‐cibles, d'invertébrés terrestres et aquatiques. Certaines espèces de vertébrés comme les poissons ou les oiseaux, sont apparus affectés, que les effets soient directs et/ou en cascade (Van der Sluijs et al., 2015). Bourguet Guillemaud (2016) indiquent que des travaux ont cherché à évaluer les effets des pesticides sur l’ensemble de la biodiversité, notamment en termes de pertes sur la biodiversité spécifique (en particulier oiseaux, poissons), mais aussi sur la diversité des écosystèmes. Il est souvent très difficile d’imputer un pourcentage de mort d’oiseaux et de poissons aux pesticides, si ce n’est dans certains cas bien décrits. En effet, par exemple, Mineau (2005), cité par Bourguet et Guillemaud, a travaillé sur les morts d’oiseaux en lien avec certaines formulations de pesticides (sous forme de granulés enrobés) très appétentes pour les oiseaux granivores, et ayant eu des conséquences très importantes en termes de mortalité (fourchette de 17 à 91 millions d’oiseaux morts estimés fin des années 1980, lors de l’usage de ces pesticides). Bourguet et Guillemaud indiquent que selon l’auteur lui‐même cette très forte mortalité a sans doute été la pire, et que ces pesticides ont ensuite été interdits. Pour autant, dans le calcul qu’ils proposent, ils partent sur une hypothèse de 100 millions d’oiseaux morts en lien avec l’usage des pesticides chimiques. Nous proposerons de retenir, comme fourchette basse, pour tenir compte de la remarque de Mineau (2005), une hypothèse de 50 millions d’oiseaux tués (cf. tableau récapitulatif). Un cas lointain, mais emblématique de l’impact environnemental : la barrière de corail australienne Bourguet et Guillemaud soulignent que cet écosystème, classé patrimoine de l’humanité, subit une forte contamination par les pesticides : c’est sans doute l’une des situations les plus étudiées quant à la pression exercée sur le milieu naturel. Ainsi, Kroon et al. (2012) estiment que plus de 30 tonnes de pesticides par an arrivent dans le lagon. Malgré la dilution, des concentrations dépassant 1 μg/l ont été enregistrées. Les auteurs indiquent que la résilience de ce vaste écosystème qui subit également la pression du changement climatique pourrait être réduite en lien avec les taux élevés de pesticides enregistrés (impacts sur les communautés de plantes marines et sur coraux). b) Nitrates et ammonium
L'enrichissement en éléments azotés et en phosphore des écosystèmes aquatiques conduit à leur disfonctionnement et à la perturbation des populations animales ou végétales qui y sont naturellement inféodées. Cette eutrophisation se traduit notamment par des proliférations de végétaux (marées vertes…), dont la décomposition, dans un second temps, appauvrit le milieu en
oxygène ; elle peut également conduire au développement de micro‐organismes pathogènes ou sécrétant des toxines qui rendent l'eau impropre à divers usages (récréatifs, production d’eau potable). Le peuplement piscicole est l’un des meilleurs indicateurs de la qualité des eaux (Agence Seine Normandie, 2010) : les poissons sont très sensibles à l’excès d’ammonium et au manque d’oxygène. Camargo et al. (2005) indiquent que la toxicité des nitrates pour les animaux aquatiques augmente avec la concentration et la durée d’exposition. Diverses études ont aussi mis en évidence des corrélations entre les teneurs en nitrates dans l’eau ou les quantités d’engrais azotés épandus et le déclin des populations d’amphibiens (Bishop et al., 1999 ; Rouse et al., 1999).
2. Les bénéfices de l’AB en termes de biodiversité
Les pratiques d'agriculture biologique ont généralement recours à des rotations plus longues et plus diversifiées, avec davantage de prairies (avec leurs externalités positives) et l'absence de pesticides chimiques (moindres externalités négatives) : ces éléments ont des effets positifs directs sur la biodiversité. Guyomard et al. (2013) soulignent qu’un grand nombre d’études présentent pour l’AB, de meilleurs résultats que l'AC par hectare, que ce soit en termes de diversité ou d'abondance des espèces (par exemple Bengtsson et al., 2005 ; Hole et al., 2005 ; Stockdale et al., 2006). Une méta‐analyse (Rahman, 2011) réalisée sur 396 publications indique que 327 articles rapportent de meilleurs résultats en faveur de la bio, 56 (14%) une absence de différences observées, et 14 (3%) des résultats moins bons (en particulier liés aux invertébrés du sol). Sabatier (2013) souligne l’importance de la mosaïque paysagère, qui est prépondérante par rapport au mode de production de la bio quant à l’impact sur la diversité (projet BIOBIO) ; pour optimiser la biodiversité, il s’agit de combiner mosaïque paysagère et bio. Actuellement, un projet en cours ("BIOSERV", soutenu par le métaprogramme ECOSERV de l’INRA) va tenter de préciser et quantifier l'effet du taux d'AB dans un paysage sur la biodiversité.Par ailleurs, la diversité des ressources utilisées (en lien avec la diversité génétique) et la complexité des systèmes permettraient une meilleure adaptation aux évolutions du climat (Borron, 2006 ; Altieri and Koohafkan, 2008 ; Chappell and LaValle, 2011). (cf. interaction entre services)