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Au chevet des classes moyennes lors des crises de 1993 et 2008 7.

La crise économique de 1993 a déclenché une vaste controverse sur le bien-fondé de la sécurité sociale. Tout au long du débat, les classes moyennes étaient prises à témoin pour prendre position contre la défense de la conception française de la sécurité sociale fondée sur le principe assuranciel et financée par des contributions sociales63. Les cotisations sociales sont, alors, de plus en plus identifiées comme à la « charge » d’une seule classe sociale : les personnes cotisant à la sécurité sociale par leur travail, assimilées pour l’occasion aux « classes moyennes » par les différents partenaires sociaux. Le besoin exprimé est celui du réformisme et de la modernisation du régime de protection sociale tout en soulignant la crainte qu’un manque de réactivité à l’égard des conséquences de la crise, qui pourrait se traduire par un « risque de

57 A la capitale s’applique un calcul spécifique ; voir LEROY Marc, « Le territoire comme référentiel de la justice fiscale »

In NEMERY Jean-Claude (dir.), Le renouveau de l’aménagement du territoire en France et en Europe, Paris, Economica, 1994, p. 463-487.

58 Ibid.

59 DELALANDE Nicolas, SPIRE Alexis, op. cit., 2008.

60 AUBERGER Philippe, L’Allergie fiscale, Paris, Calmann-Lévy, 1984.

61 NB : Le titre du livre d’Auberger s’inspire du concept « d’allergie fiscale » de l’économiste Arthur Laffer, en lien avec la

formule plus connue « Trop d’impôt tue l’impôt » (voir par exemple BUCHANAN James M, DWIGHT R. Lee, « Politics, Time, and the Laffer Curve » In The Journal of Political Economy, vol. 90, n°4, août 1982, p. 816-819).

62 PIKETTY Thomas, op. cit., 2001, p. 333 et suiv.

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dépossession »64 des classes moyennes. La « dépossession » étant entendue comme le possible

effondrement des structures publiques qui assurent en grande partie la reproduction sociale des classes moyennes.

Lors de l’élection présidentielle de 2007 et dans le quinquennat qui s’est ensuivi, le malaise des classes moyennes a régulièrement été mis au centre des débats politiques et médiatiques, générant dans la foulée une abondante littérature sociologique et économique (Bigot 2008, Bigot 2009, Bigot et Langlois 2011, Peugny 2010, Vittori 2011, Bonnefoi 2011, Bigot, Croutte, Muller et Osier 2011, Goux et Maurin 2012, etc.). Beaucoup de ces travaux abordaient, comme souvent, les problématiques du déclassement, du déclin, de l’impression de perte de pouvoir d’achat, mais également le rôle de l’État dans la situation des classes moyennes.

Dans le débat politique, deux thèses ont souvent été mises en avant : celle que les classes moyennes seraient suffisamment riches pour payer des impôts, mais pas assez pour bénéficier des aides de l’État, subissant une forte pression fiscale, mais oubliées par l’État providence. Dans le débat politique, cette position a notamment été défendue par Laurent Wauquiez :

« Depuis 30 ans, la France est le seul pays à avoir fait reculer la barre de la richesse nationale qui va aux classes moyennes. Les plus riches ont capté beaucoup plus avec la mondialisation. Les plus pauvres ont vu un renforcement considérable de la solidarité, voire de l’assistanat. Les seules qui ont reculées sont les classes moyennes. (...) Si l’on veut rééquilibrer les choses, il s’agit donc de lutter contre les profiteurs d’en haut, corriger les dérives de l’assistanat et remettre les classes moyennes au cœur du contrat social. (...) Nos propositions s’attaquent également aux profiteurs du haut : tous nos artistes et grandes fortunes se sont expatriés en Belgique ou en Suisse mais continuent à travailler et vivre en France ? (...) Les classes moyennes devraient être au cœur de la société, mais au final elles ne sont que des « cochons payeurs » : on ne pense à elles que pour payer. (...) Ça suffit ! Ce n’est pas aux classes moyennes de payer !65 ». Dans ce discours, la solidarité publique envers les plus démunis est

assimilée à une forme d’assistanat qui serait essentiellement financée par les classes moyennes.

Dominique Goux et Eric Maurin (2012) indiquent que les classes moyennes étaient, par le passé, largement bénéficiaires des politiques fiscales redistributives, car « les pauvres d’hier » sont « les classes moyennes d’aujourd’hui ». Bigot, Croutte, Muller et Osier (2011) rappellent en effet que les pays dans lesquels les prélèvements obligatoires sont les plus élevés sont également ceux dans lesquels les classes moyennes sont les plus nombreuses : la redistribution socio-fiscale nivelant les inégalités et ramenant plusieurs catégories de la population au centre de la distribution des revenus. Il reste que, pour Goux et Maurin, « au fondement du

64 Emmanuel TODD revient dans une analyse publiée dans le Nouvel Observateur du 9 juin 2005 sur cette controverse

qui constitue, selon Todd, le départ d’une vaste réflexion sur la réforme de la sécurité sociale. Le titre du texte mérite d’être rappelé : « La fureur des classes moyennes ».

65 WAUQUIEZ Laurent, « Arrêtons de traiter les classes moyennes en cochons payeurs », Interview publié le 16

novembre 2011, http://www.atlantico.fr/decryptage/laurent-wauquiez-arretons-traiter-classes-moyennes-cochons-

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ressentiment des classes moyennes (se trouve) une large fraction de la population (qui) ne peut aujourd’hui survivre que grâce à une aide sociale financée en grande partie par les classes moyennes66 ». Ils suggèrent notamment d’imposer davantage les revenus du capital et du

patrimoine, thèse défendue également par Landais, Piketty et Saez (2011).

En contre-point : un débat qui dépasse les frontières