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CHAPITRE10: LES PRINCIPES CONSTITUTIFS DU DÉVELOPPEMENT/SOUS DÉVELOPPEMENT SONT SCIENTIFIQUEMENT FONDÉS ?

Finalementt comme nous l’avons vu, la mission de développement de la Banque mondiale dans les PED ne relève pas directement de sa Charte ou de ses textes fondateurs de la Conférence des Nations-Unies de Bretton Woods de 1944, mais plutôt elle doit aux travaux et démarches du tandem Harry S. Truman et W.W. Rostow. C’est grâce à l’apport intellectuel et politique conjugué et complémentaire de ce tandem que naît la théorie du développement/sous-développement et qui sera en même temps l’objet et la mission du PDBM dans les PED.

Le PDBm tire donc ses principes constitutifs de cette théorie, et il s’agira ici d’interroger dans leur bien-fondé rationnel et scientifique certains de ces principes.

La principale interrogation au cœur de ce passage critique est la suivante : le système d’idées ou théorie du sous-développement qui apparaît historiquement du fait de l’apport complémentaire de Harry S. Truman et de W.W. Rostow et qui sera ensuite reprise en charge dans le PDBm de la Banque mondiale, répondait-elle à un besoin de « scientifisation » de la vie sociale dans les PED ?

En somme cela revient à établir si ou non la théorie du sous-développement est une idéologie au sens également connotatif de ce terme. En parlant de cet apport intellectuel issu du tandem Truman/Rostow dans l’édification du développement/sousdéveloppement, nous avons en effet utilisé l’expression « idéologie libérale de développement »; nous avons cependant précisé que ce qualificatif ne valait ici que dans son sens dénotatif et neutre. À présent il s’agira d’établir s’il ne vaut pas aussi dans l’autre sens du mot idéologie, celui connotatif. Idéologie avec une certaine connotation au sens par exemple de la définition qu’en donne Perry Anderson, c’est-à-dire, « un corps de doctrines cohérent, militant, visant

de façon lucide à changer le monde avec une ambition de transformation structurelle à une échelle internationale » (1996) ?

Pour ce faire nous allons d’abord commencer par isoler les principes qui à nos yeux incarnent le mieux cette filiation entre Banque mondiale et Truman/Rostow, pour ensuite demander des principes scientifiques de quelle « scientificité » sont-ils ?

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10-1-L’IDÉOLOGIE LIBÉRALE DU DÉVELOPPEMENT : PERMANENCE D’UN ESPRIT

Le développement compris dans le PDBm n’est pas un développement en général, abstrait et sui generis, mais comme nous l’avons vu, un certain développement qui est en lui-même à la fois institution et pratique historique, qui naît et s’enracine dans un histoire déterminée et qui de ce fait est tributaire de certains soubassements philosophiques et idéologiques qui lui sont propres et spécifiques. Conçu et mis en œuvre dans les PED par la Banque mondiale dans le cadre du développement\sous-développement, le PDBm a d’abord été directement bâti sur l’idéologie libérale de développement. Nous avons signalé que pour cette raison, la Banque mondiale emprunte à cette idéologie la plupart de ses concepts et instruments de développement dans les PED, et avons ullistré une telle filiation par l’exemple du PIB par tête d’habitant, qui est un instrument de mesure économique et statistique du développement, et en même temps un outil à la fois technique et conceptuel central du PDBM et de la logique du développement.

Mais la filiation entre Banque mondiale et idéologie ne se limite pas à l’emprunt de ce seul coefficient économique, elle se retrouve directement dans les grandes idées surlesquelles repose sa démarche de développement dans les PED. Le grand enseignement de cette idéologie disions-nous, est que les PED sont des sociétés comme toutes les autres, sauf qu’à la différence des autres, elles sont sous-développées. Ainsi comme pays et sociétés, le sous-développément est leur marque distinctive; un trait permanent de leur état général, à la fois inhérent et intrinsèque. Cette marque constitutive, les sous-développés la manifestent doublement : au plan quantitatif et au plan qualitatif, ou si l’on veut, celle-ci

comporte deux dimensions : l’une objective et matérielle et l’autre subjective et intellectuelle. La première s’identifie à l’état et la situation économiques généraux des PED et que revèle et mesure un outil comme le PIB\habitant, qui permet aux économistes et statisticiens de la Banque mondiale de déterminer leur niveau de développement en établissant leur degré et niveau de croissance économique. L’autre dimension du sous-développement comme marque à la distinctive et constituve des PED est l’état général de leur culture (ou de leur inculture), leur mentalité. Beaucoup moins directement mesurable que la première, cette dimension ne peut qu’être observée empiriquement et déduite à partir de certains traits propres aux sociétés sous-développées; en particulier à partir de l’état général manifeste de leur culture. Pour le PED, le « sous-développement » ainsi n’est pas seulement dans la poche ou dans le ventre; il est également et avant tout dans la tête. Tel est le sous-enseignement de l’idéologie libérale du développement et principe justificatif de base de sous-développement des PED.

Quelle est donc cette mentalité des PED génératrice de sous-développement; et qui expliquerait et justifierait « scientifiquement » leur état de sous-développement, auquel le PDBm a pour mission de remédier ?

10-1-1-TRUMAN : DES SOCIÉTÉS ATTARDÉES, DONC NATURELLEMENT RETARDÉES

Dans son Discours-programme de 1949 Harry S.Truman se servait de l’expression de régions à « vie primitive et stationnaire » pour qualifier l’état général qui règne dans ces « régions sous-développées » du monde. Se situant hors de tout progrès, ces sociétés sont structurellement dépendantes des conditions naturelles : « leur

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nourriture est insatisfaisante. Ils sont victimes de maladies. Leur vie économique est primitive et stationnaire » expliquait Truman. Ceci n’est pas sans

rappeler « l’état de nature » des philosophies des Lumières, mais surtout, la fameuse thèse sur la « mentalité primitive » de Lévi-Bruhl. Selon cet ethnologue français, « les peuples sans écritures » sont caractérisés par une « mentalité

primitive » qui est une mentalité prélogique (du niveau des enfants à l’âge

préscolaire) et qui les distingue des peuples notamment d’Occident et à écriture, lesquels possèdent une mentalité moderne fondée sur la rigueur intellectuelle et les canons de la rationalité et de la science.

W.W. Rostow va reformuler la mentalité « primitive et stationnaire » de Harry S. Truman dans sa célèbre théorie de « sociétés immobiles ». Avant d’être conviés au développement à partir des années 50, quasiment l’ensemble des PED se trouvait selon lui au stade premier et indifférencié de l’existence des sociétés humaines : la « société traditionnelle » qui se définit comme, « le degré zéro de l'histoire (…) et

correspond à un état naturel de “ sous-développement » (1960, p14) et ces

sociétés sans Histoire, hors du temps et de l’évolution historiques, sont sous- développées naturellement parce que ce sont des sociétés « immobiles ». C’est-à- dire, principalement marquées par un état et une disposition mentaux réfractaires au changement et qui mènent une existence qui s’enroule sur elle-mêm dans un contexte de vie végétative et répétitive, stationnaire et anhistorique de l’éternel registre du même. Le changement n’y a pas cours, mieux il est même proscrit : toute forme d’évolution en effet est perçue comme un danger car susceptible de remettre en cause l’équilibre ancestral que ces sociétés cherchent à perpétuer. Selon W.W. Rostow cet état d’ « immobilité » se traduit mathématiquement par un double cercle vicieux de croissance : 1- pas de progrès pas de croissance pas