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2.5. Habitudes de vie affectant la production vocale

2.5.1. Le chant

Le chant se définit comme la production de sons musicaux (ou tonalités musicales7) à partir de la voix

humaine (“Singing,” 2016). Le chant se distingue de la phonation normale sur plusieurs points. En effet, afin de produire du chant, il est nécessaire d’augmenter le volume d’air des poumons afin d’augmenter l’amplitude de la voix, en plus d’étendre l’expiration et ainsi faire vibrer les plis vocaux plus longtemps (Troup, 1981). L’expiration doit être contrôlée attentivement et être synchrone avec le rythme d’une chanson, par exemple. Une autre distinction entre le chant et la phonation habituelle est le contrôle accru des mouvements du larynx dont les chanteurs font preuve afin d’atteindre des hauteurs précises (“Singing,” 2016; Titze, 2008).

Les effets du chant sur le corps humain sont multiples. Sans en faire un portrait exhaustif, notons que le chant a entre autres inspiré de nombreux programmes de réadaptation basés sur la musique, dont le plus célèbre est certainement le « Melodic Intonation Therapy » (Albert, Sparks, & Helm, 1973; Sparks, Helm, & Albert, 1974). La répétition mélodique de phrases a ainsi été utilisée avec succès chez des patients atteints d’aphasie aiguë (Van der Meulen, Van de Sandt-Koenderman, Heijenbrok-Kal, Visch-Brink, & Ribbers, 2014) et chronique (Lim et al., 2013) afin d’améliorer la performance lors de tâches de dénomination, de répétition ainsi que la communication verbale dans la vie quotidienne. Les programmes de réadaptation musicaux sont d’ailleurs considérés comme prometteurs pour le traitement de nombreux troubles du langage (pour une revue exhaustive, voir Stahl & Kotz (2014) et Altenmuller & Schlaug (2015)).

Les performances musicales vocales peuvent stimuler la production des protéines du système immunitaire (par exemple, les taux salivaires d’immunoglobuline A sécrétoire) (Beck, Cesario, Yousefi, & Enamoto, 2000; Kreutz, Bongard, Rohrmann, Hodapp, & Grebe, 2004) chez des chanteurs de chorale de tous âges, alors qu’une réduction des taux salivaires de cortisol (une hormone associée au stress émotionnel) est observée lors de séances de chant choral (Beck et al., 2000). D’autres auteurs ont également observé que le chant a

7 La tonalité est le langage musical utilisé en occident qui se définit comme une gamme de sept notes et leur

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des effets positifs supérieurs à d’autres activités sociales lorsqu’évalués avec des questionnaires autorapportés de qualité de vie (Lord et al., 2012).

L’entraînement vocal en situation de chant entraîne également des changements dans le système respiratoire (Mendes, Brown, Sapienza, & Rothman, 2006). En particulier, l’entraînement vocal provoque une augmentation de l’inspiration et du flux d’air, et une tension laryngée réduite contribuant à une hausse marquée de l’amplitude de la voix chez les chanteurs assidus (McHenry, Evans, & Powitzky, 2016). Il est entre autres utilisé avec succès en combinaison avec des thérapies traditionnelles pour améliorer les conditions de vies des patients atteints d’obstruction pulmonaire chronique (Canga, Azoulay, Raskin, & Loewy, 2015; Lord et al., 2012).

En plus des effets physiologiques, l’exercice du chant entraîne également des changements acoustiques. Des études démontrent que la voix des chanteurs diffère de celles des non-chanteurs, notamment en terme de l’amplitude maximale atteinte à différentes fréquences (Awan, 1991; Hunter, Svec, & Titze, 2006; Wolf, Stanley, & Sette, 1935). L’exercice du chant est également associé à une plus grande stabilité de la voix (Awan & Ensslen, 2010), une étendue phonatoire plus importante (Awan, 1991; Awan & Ensslen, 2010; Maruthy & Ravibabu, 2015; Mendes, Rothman, Sapienza, & Brown, 2003), et un temps maximal de phonation plus grand (Maruthy & Ravibabu, 2015; Tay et al., 2012). De plus, il a été démontré que l’apprentissage du chant a un effet positif et quantifiable sur le contrôle de la voix des enfants et des adolescents (Barlow & Howard, 2005; Fuchs et al., 2009). Quelques auteurs ont examiné l’effet du vieillissement sur la voix des chanteurs et ont observé que la voix des chanteurs d’âge moyen (de 40 à 55 ans) et âgés (de 65 à 85 ans), lorsqu’on la compare à la voix de non-chanteurs du même âge, est plus stable et d’une plus grande amplitude (Brown et al., 1993; Prakup, 2012). De plus, alors que la fréquence fondamentale des non-chanteurs lors d’une tâche de lecture d’un texte standardisé tend à diminuer avec l’âge, quelques études démontrent qu’au contraire, celle des chanteurs d’âge moyen (de 40 à 55 ans) et ceux âgés de 60 ans et plus ne diminue pas (Brown et al., 1993; Brown, Morris, Hollien, & Howell, 1991; Brown, Morris, & Michel, 1990).

Différents exercices vocaux fréquemment utilisés par les chanteurs, tels que le programme d’exercice connu sous le nom de « vocal function exercise (VFE) », démontrent également des effets intéressants sur la voix. Les VFE sont constitués d’exercices légers de l’appareil vocal qui sont réalisés à deux reprises quotidiennement, dont des trilles (vibrations volontaires de la langue et des lèvres), des voyelles soutenues, et des glissements de sons graves à sons aigus (Stemple, 1993). Des auteurs ont observé une amélioration du temps maximal de phonation ainsi que des valeurs de jitter, de shimmer et d’HNR grâce aux VFE chez un groupe de chanteurs de chorale âgés (Tay et al., 2012). Les exercices vocaux tels que les VFE sont souvent utilisés dans les milieux cliniques ainsi que par des chanteurs professionnels afin de renforcer les muscles du

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larynx et de faciliter la vibration efficiente des plis vocaux. Les VFE ont également augmenté l’étendue de phonation chez des enseignants (Pizolato et al., 2013) et amélioré le bruit et les mesures aérodynamiques chez de jeunes chanteurs (Wrycza Sabol, Lee, & Stemple, 1995).

Les chanteurs apprennent également à modifier la configuration de leur appareil vocal afin de produire différentes hauteurs et tonalités vocales (Echternach, Traser, & Richter, 2014; Kochis-Jennings, Finnegan, Hoffman, & Jaiswal, 2012). Une tendance à produire des configurations articulatoires uniques a été observée chez les chanteurs (par exemple, un élargissement des lèvres et du pharynx, une ouverture de la mâchoire, et une élévation de la partie dorsale de la langue) (Echternach et al., 2010, 2014). De plus, certains échauffements précis sont reconnus pour influencer les mesures aérodynamiques et électroglottographiques des chanteurs, dont les trilles (vibrations volontaires) des lèvres et le fredonnement (Dargin, Searl, & City, 2015). En somme, l’exercice du chant semble permettre d’améliorer le contrôle respiratoire, la phonation et les mécanismes de résonance afin d’obtenir une vibration stable et sans effort des plis vocaux (Echternach et al., 2010, 2014; Kochis-Jennings et al., 2012; Pizolato et al., 2013).

De nombreuses études rapportent que certaines habitudes de vie, telles que l’activité physique quotidienne et l’entraînement cognitif, peuvent contribuer à atténuer l’impact négatif de l’âge sur le corps, les fonctions cognitives et le fonctionnement cérébral (Bherer, 2015; Bherer, Erickson, & Liu-Ambrose, 2013; Langlois et al., 2013). Puisque le chant semble avoir de nombreux effets positifs sur la voix, il serait important de vérifier si l’exercice du chant peut modérer (et donc possiblement réduire) l’effet du vieillissement sur les propriétés acoustiques de la voix, au même titre que d’autres habitudes de vie bénéfiques. À ce jour, l’effet de l’exercice du chant sur la production de la voix dans le vieillissement est très peu étudié et son potentiel thérapeutique demeure méconnu.