• Aucun résultat trouvé

Les changements du système de protection sociale provenant de la société civile

Dans le document Revisiter les solidarités en Europe (Page 124-127)

destructive ou constructive ? L’absence de narration constructive et positive ?

Chapitre 4 – Nouveaux pauvres et réfugiés : les deux pôles de la solidarité en Grèce

A. Le problème de la solidarité dans la crise de la dette grecque, du point de vue des politiques et du cadre institutionnel de l’UE

4. Les changements du système de protection sociale provenant de la société civile

En tout état de cause, la contribution la plus importante de la crise économique dans le domaine de la protection sociale en Grèce consista dans le renforcement du volontariat, modifiant ainsi significativement le rôle des organisations issues de la société civile. La société civile grecque présentait toujours une image maigre et atrophiée, en raison du clientélisme exacerbé, de la dominance des partis dans la sphère publique et du rôle joué par les réseaux familiaux et parentaux dans la reproduction sociale. Cependant, la crise fit que les choses changèrent. De nouvelles formes de solidarité virent le jour, tandis que les organisations non gouvernementales (ONG) classiques se mobilisèrent également pour prêter main forte aux victimes de la crise3.

Pendant la crise, la solidarité sociale émanant « du bas », adopta deux formes. La première était celle des organisations officielles, c’est-à-dire, des associations de volontaires et des ONG enregistrées. Et, la seconde, fut celle des réseaux et groupes informels d’entraide, non dotés de personnalité juridique et ne souhaitant pas l’acquérir. En comblant le vide laissé par le retrait de l’état de prévoyance, les deux types d’organisations de volontaires contribuèrent fortement au renforcement de la solidarité sociale en Grèce.

Traditionnellement, les organisations officielles de volontaires et, notamment, les ONG, dépendaient de financements publics que les divers ministères leur accordaient, parfois, selon des modalités plutôt opaques. Toutefois, en août 2012, le gouvernement grec gela tous les fonds publics qui étaient destinés à ces organisations. Celles-ci se trouvèrent,

1 V. A. Stergiou, op.cit., n.39, p.172. 2 V. A. Stergiou, op.cit., n.39, p.1 . 3

V. D. Sotiropoulos, La société civile hellénique et la crise économique ; Ed : Potamos, Athènes, 2017 (en grec); D. Sotiropoulos, D. Bourikos, « Economic Crisis, Social Solidarity and Voluntary Sector in Greece », Journal of Power, Politics & Governance, 2014, p.p. 35-53; Th. Rakopoulos, «Solidarity tensions informality, sociality and Greek crisis», Social Analysis, 2015, p.p. 85- 104; idem, «Resonance of solidarity: meanings of a local concept in anti-austerity Greece», Journal of Modern Greek Studies, 2014, p.p. 313-317

Chapitre 4 – Nouveaux pauvres et réfugiés : les deux pôles de la solidarité en Grèce

125

momentanément, en état de faiblesse. Toutefois, elles ne suspendirent pas leur action : elles changèrent d’objet et d’orientations.

En effet, le besoin d’atténuer les impacts de la crise donna lieu à une augmentation du nombre d’organisations de volontaires en Grèce, tandis que les antennes grecques d’ONG internationales, ainsi que l’Église orthodoxe, se mobilisèrent également pour venir en aide aux personnes dans le besoin. Grâce à la mobilisation de la population grecque, elles purent offrir aux couches les plus pauvres de la population des denrées alimentaires, mais aussi des services médicaux et sociaux. En outre, entre 2010 et 2018, de grandes fondations sans but lucratif fournirent aux ONG des fonds et de l’assistance technique1.

En tout état de cause, dès le tout début de la crise, les ONG coexistèrent avec des réseaux et des groupes sociaux informels. Par exemple, après 2010, ces groupes informels mirent en place des réseaux d’échanges, dans le cadre desquels l’on commença à échanger des biens et des services moyennant des coupons ou des crédits en ligne. En 2012, il existait au moins 22 réseaux d’échanges de ce type, dans 17 villes2. Ces réseaux furent créés par des volontaires. Mais, par la suite, ils ont attiré un public plus large. Ainsi, dans diverses villes de Grèce, des « Systèmes commerciaux d’échanges locaux » furent créés, ainsi qu’une devise locale, le « TEM »3.

Une autre forme de solidarité sociale est celle des réseaux de distribution informels qui furent créés par des agriculteurs afin de contourner les intermédiaires qui achetaient leurs produits à des prix bas afin de les revendre aux épiceries et aux supermarchés à des prix élevés. Plusieurs municipalités cédèrent également des bâtiments municipaux où furent établies des « épiceries sociales » où des volontaires distribuaient des denrées alimentaires aux citoyens qui n’étaient pas en mesure de les acheter4.

Dès 2010, les sans-emploi et les travailleurs indépendants, qui avaient cessé de verser leurs cotisations aux caisses d’assurance et, de ce fait, perdu l’accès au système de santé public, commencèrent à s’adresser aux antennes grecques d’ONG internationales telles que Médecins sans frontières et Médecins du monde, pour obtenir des soins médicaux. Dans le passé, ces organisations s’occupaient de réfugiés et de migrants5. Mais, depuis que la crise économique a éclaté, elles ont commencé à fournir leurs services à des citoyens Grecs6.

En outre, des médecins, soignants et travailleurs sociaux volontaires ont créé des réseaux informels de soins médicaux ainsi que des cliniques montées de toutes pièces, les « Centres médicaux sociaux », hébergés dans des locaux mis à leur disposition par

1 V. D. Sotiropoulos, D. Bourikos, op.cit. n 59 2

V. Ibid 3 V. Ibid

4 Th : Rakopoulos, Economie de solidarité officieuse et informelle dans le cadre de la protection sociale secrète de la crise, Sygchrona Themata, 2014, 36 (124) pp. (en grec); idem, “Food cooperativism as labour”, in D. Dalakoglou, G. Agelopoulos (eds), Critical Times in Greece: Anthropological Engagements with the Crisis, Routledge, 2018, p.p. 202-216.

5 V : K Rozakou, Par amour et solidarité, Travail bénévole avec les réfugiés à Athènes au début du 21ème siècle, Editions Alexandria 2018 (en grec).

6V. H. Cabot, “The European Refugee Crisis and the Crisis of Citizenship in Greece”, Greek Left Review, https://greekleftreview.wordpress.com/2016/11/27.

Revisiter les solidarités en Europe 126

les autorités municipales. En 2012, il existait 33 cliniques de ce type dans 29 villes de Grèce. En même temps, les pharmaciens créèrent des « Pharmacies sociales »1.

Certaines sociétés privées collaborèrent avec des organisations de volontaires pour offrir des denrées alimentaires aux personnes dans le besoin, perturbant ainsi la distinction entre le marché et la société civile. Par exemple, de grands supermarchés se sont entendus avec des organisations de volontaires afin d’approvisionner des cuisines sociales, des refuges, des orphelinats, des maisons de retraite et d’autres établissements philanthropiques. Tous les midis, l’Église orthodoxe offre la soupe, dans le centre d’Athènes et d’autres villes grecques. Des pratiques similaires virent également le jour dans les quartiers les plus pauvres d’Athènes et du Pirée où des volontaires préparent quotidiennement plusieurs centaines de repas.

Depuis 2010, étant donné que plusieurs familles aux revenus faibles n’étaient pas en mesure de financer la préparation de leurs enfants aux examens d’entrée à l’université, ce travail fut assumé gratuitement par des groupes de professeurs volontaires de l’enseignement secondaire, qui créèrent les « écoles sociales d’accompagnement » (koinonika frontistiria)2.

Mais, comment toutes ces nouvelles organisations de solidarité sociale sont-elles nées et ont pu se développer en Grèce ? De toute évidence, une explication a trait au fait de la restriction de l’État social qui amena les citoyens à occuper l’espace public disponible. Mais, au fur et à mesure que la crise évolua et que des groupes de plus en plus importants de la population étaient touchées, la présence de ces organisations s’établit. Dans le passé, les ONG étaient étroitement liées à l’État et dépendaient financièrement des ministères. Plusieurs citoyens ne leur faisaient pas confiance en raison des relations clientélistes qu’elles avaient développées avec les instances étatiques. Depuis le début de la crise, les activistes ont voulu aider la population, en gardant leurs distances par rapport au pouvoir étatique. Ainsi, il était normal pour eux d’éviter de fonder des ONG officielles et, au contraire, de créer des groupes informels de solidarité sociale dans diverses régions de Grèce. L’émergence de ces groupes présentait un aspect politique clair. En participant à des organisations volontaires informelles, plusieurs activistes voulurent exprimer leur contestation des politiques gouvernementales et promouvoir des conceptions alternatives en matière de mode d’organisation de la vie sociale et économique3.

Toutefois, alors que les organisations de solidarité sociale officielles s’adressent principalement aux réfugiés et aux migrants, aux groupes ethniques socialement exclus ainsi qu’aux personnes handicapées, les organisations informelles ne protègent pas de catégories spéciales de personnes : elles s’adressent à tous ceux qui ont besoin de protection en raison de la pauvreté ou de leur impossibilité d’accéder aux services de prévoyance sociale4.

1 V : H. Cabot, «Contagious solidarity configuring care and citizenship in Greece’s social clinics», Social Anthropology, 2016, p.p .152-166.

2 V. Jon Henley, «Greece on the breadline: pooling resources to provide an education», 2012 The Guardian ttps://www.theguardian.com/world/blog/2012/mar/14/greece-breadline-pooling-education-resources

3

V. D. Sotiropoulos, D. Bourikos, op.cit., n 59. 4 V. Ibid

Chapitre 4 – Nouveaux pauvres et réfugiés : les deux pôles de la solidarité en Grèce

127

Les organisations officielles, d’ailleurs, cherchent à être financées par des fondations sans but lucratif grecques, l’UE et les organismes internationaux. En revanche, les organisations informelles ne cherchent aucun financement : elles s’efforcent de convaincre les volontaires actifs dans leur contexte de consacrer leur temps et leurs compétences à la réalisation des objectifs de l’organisation. Comme l’indiquent les récentes études sociologiques, les organisations informelles actives au sein de la société civile grecque s’appuient quasi-exclusivement sur le travail bénévole1. Mais, elles incluent également les bénéficiaires de la protection sociale dans le cercle de leurs volontaires, ce qui rend ceux-là socialement actifs et atténue le risque de stigmatisation2. Au contraire, outre les bénévoles, les organisations officielles disposent également de personnes qui renforcent leur travail sur le plan financier sans en être membres ou sans travailler en leur sein en tant que volontaires.

Il convient, en tout état de cause, de relever que les organisations officielles et informelles actives en Grèce dans le domaine de la protection sociale ne peuvent en aucun cas se substituer à l’État social qui devra, à un moment donné, être reconstitué. Cependant, la contribution de ces organisations est particulièrement importante car, en étendant leur action auprès de groupes élargis de la population, elles ont permis de développer dans le cadre de la société grecque une conception plus universelle en matière de solidarité sociale qui se manifesta de la façon la plus remarquable en été 2015, lorsqu’éclata en Grèce et en Europe la crise des réfugiés.

III. La crise des réfugiés et les fluctuations de la solidarité

Dans le document Revisiter les solidarités en Europe (Page 124-127)