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Quels sont les changements suscités par l’intégration de cette stratégie dans la

Chapitre 6. Discussion et conclusion

6.1 Contributions à l’avancement des connaissances

6.1.2 Quels sont les changements suscités par l’intégration de cette stratégie dans la

Les données issues du groupe de pratique réflexive ont largement contribué à notre réponse à cette question. Si certains auteurs considèrent que le développement des communautés est une pratique déjà habituelle dans les CSSS et leurs services d’organisation communautaire (Bourque et Lachapelle, 2010; Comeau, 2009; Favreau et Larose, 2007), le groupe que nous avons accompagné a fourni des informations empiriques permettant de préciser et de nuancer une telle affirmation. Le deuxième volet de la thèse révèle qu’effectivement, l’actualisation de la stratégie de soutien au développement des communautés soulève des défis significatifs. Le fait d’entendre le point de vue des organisateurs communautaires sur l’influence de la stratégie en regard de leur pratique a permis non seulement d’en cerner l’intérêt, mais aussi, les difficultés. Les trois principaux défis identifiés sont : le besoin de clarifier le rôle des organisateurs communautaires dans les démarches de développement des communautés; la difficulté à susciter et soutenir la participation citoyenne; et enfin, les difficultés à soutenir le développement des communautés dans le contexte organisationnel d’un CSSS.

Ces défis font écho aux résultats obtenus dans l’étude ethnographique, à savoir que le soutien au développement des communautés est complexe et qu’il représente un changement pour les organisateurs communautaires, et ce, malgré le fait que ce groupe professionnel est actif dans les communautés depuis la création des CLSC et leur intégration dans les CSSS. Le soutien au développement des communautés repose sur des pratiques bien connues des organisateurs communautaires présents dans les CLSC depuis les années 1970-1980. Toutefois, les cohortes récentes n’ont pas nécessairement bénéficié des mêmes connaissances, car, comme nous l’avons évoqué dans notre premier article, les organisations ont largement changé avec le temps et la place que le développement des communautés y occupe aujourd’hui demeure somme toute marginale, influençant par le fait même les possibilités de développer ou mettre en œuvre les habiletés professionnelles requises.

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Le troisième article de la thèse « Organisateurs communautaires et développement des

communautés : une pratique d’intervention sociale territoriale qui mérite réflexion »,

illustre comment dans le cas du CSSS de la Vieille-Capitale la multiplication des lieux de concertation, et l’interpellation des organisateurs communautaires pour les soutenir et les animer, est venue changer les modes d’intervention, ce qui a aussi été démontré pour d’autres CSSS (Bourque et Lachapelle, 2010; Lachapelle, Bourque et Foisy 2010). Les participants du groupe de pratique réflexive considèrent qu’une analyse reste à faire quant à la contribution potentielle de ces concertations au développement de chaque communauté. Ils questionnent également la possibilité pour l’organisateur communautaire d’y apporter la vision portée par la stratégie de soutien au développement des communautés. Souvent définies selon des thématiques ou des clientèles précises, ces concertations ne visent pas nécessairement l’amélioration des conditions de vie, la réduction des inégalités sociales ou l’action sur les déterminants sociaux de la santé. De surcroit, les organisateurs communautaires rencontrés considèrent que ces concertations, qui pourraient représenter un levier de développement des communautés si elles étaient orientées en ce sens, ont de la difficulté à rejoindre les citoyens et à considérer les besoins du milieu.

Dans Concertation et partenariat, Denis Bourque, un auteur très prolifique et reconnu dans le champ québécois de l’organisation communautaire, discute des conditions nécessaires à l’intervention de soutien au développement des communautés (Bourque, 2008). Selon lui, une de ces conditions de succès est l’addition des expertises, c’est-à-dire la mise en place d’un processus de consultation et de participation de divers professionnels, organisations et citoyens du milieu. Afin de réaliser ce processus, il considère les organisateurs communautaires comme étant les plus qualifiés et les plus expérimentés, grâce à leur connaissance du milieu et de ses opportunités. Cependant, les organisateurs communautaires qui ont participé à nos rencontres considèrent qu’ils ont peu de temps pour être actifs dans la communauté et connaitre les citoyens, notamment à cause de leur accaparement par les lieux de concertation thématiques ou de clientèles. Ils ont mentionné, à l’instar des participants aux entrevues dans la communauté, que le soutien offert aux citoyens pour favoriser leur participation est généralement relégué aux organismes communautaires et que l’organisateur communautaire joue dans ce cas un rôle de soutien

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aux organismes communautaires, d’animation de concertations et de création de liens entre les partenaires. La capacité des organisateurs communautaires à soutenir la participation des citoyens dans une perspective d’empowerment, un des principes centraux du développement des communautés, peut ainsi être questionnée. Pourtant, nous l’avons vu dans la section précédente, ce type de participation semble essentiel au processus.

En sus, les organisateurs communautaires nous ont rapporté que leur présence dans le milieu et les activités qu’ils y soutiennent ne sont pas nécessairement toujours valorisés par les gestionnaires du réseau de la santé et des services sociaux, puisque ces derniers ont des comptes à rendre sur la performance des interventions, l’atteinte de cibles et de résultats et l’application de programmes venant d’instances supérieures normés selon des balises précises. Dans ce cas, les organisateurs communautaires nous ont mentionné adopter parfois une attitude que certains ont qualifiée de « rebelle » ou de « délinquante ». Ils ne suivent pas à la lettre les programmes normés, ne s’intéressent pas à une seule clientèle cible, mais plutôt à l’ensemble d’une population et ne considèrent pas une problématique comme une cible d’intervention, mais plutôt comme un angle parmi d'autres pour aborder une situation de façon globale. Ils nous ont également rapporté que les liens entre eux et les intervenants cliniques seraient bénéfiques au développement des communautés, mais nos observations nous font croire qu’il n’est pas certain que tous les intervenants auront l’attitude rebelle qui semble nécessaire pour soutenir ainsi les processus, même dans un CSSS qui s’est franchement commis à son égard.

La réflexivité propre à la démarche proposée a facilité l’identification de zones d’ombre, haussant la capacité de nommer certains défis. Les auteurs qui se sont intéressés à la réflexivité la considèrent comme une activité intellectuelle dans laquelle des individus et des groupes explorent leurs expériences afin de développer de nouvelles compréhensions qui, ultimement, modifieront leurs actions (Boud et Keogh, 1985; Mann, Gordon et MacLeod, 2009). Elle permet donc de remettre en question les pratiques régulières pour en dégager un espace critique (Tremblay et al., 2013). Au moment de mettre en place le groupe de pratique réflexive au CSSS de la Vieille-Capitale, les organisateurs communautaires avaient nommé le besoin de réfléchir à la venue de la stratégie de soutien

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au développement des communautés. Sans le groupe, ces organisateurs communautaires auraient certainement réfléchi à la question. La mise en place du groupe a toutefois facilité la mise en commun des expériences, haussé le niveau de réflexion, fait émerger un discours collectif, cohérent et critique sur la pratique, créant par le fait même une synergie à l’intérieur de l’équipe d’organisation communautaire du CSSS. Bref, les rencontres du groupe ont été très appréciées par les organisateurs communautaires au point où, deux ans après les quatre rencontres originales pour la thèse, ils réalisent encore l’exercice sur une base régulière, et ce, sans le soutien de notre recherche.

Une évaluation informelle de l’exercice a été réalisée à la fin des quatre rencontres et tous se sont dits satisfaits des rencontres, car elles permettent de mieux comprendre la spécificité du soutien au développement des communautés et la façon dont les démarches auxquelles ils participent déjà peuvent être revues dans cette perspective. Malheureusement, comme le questionnaire nous a été retourné par courriel, nous n’avons pas utilisé les résultats en raison d’un potentiel biais de désirabilité. Nous avons procédé de la sorte à la demande des participants sans penser qu’ainsi, ils savaient que nous pouvions malheureusement les identifier.

6.1.3 Quels sont les éléments qui favorisent ou non l’intégration de cette stratégie dans la