Des centaines de concepts peuvent être répertoriés dans une même discipline, mais certains sont considérés comme plus importants que d’autres, couramment nommés des concepts clés. C’est ce type de concepts qui nous intéresse, car leur analyse est susceptible de donner une compréhension plus complète de certaines caractéristiques spécifiques d’une discipline comparativement à l’analyse d’un concept considéré moins important.
Rodgers (1989; 2000), avance que l’importance d’un concept est déterminée par son utilisation concrète lors de l’exercice de la discipline, que ce soit sur le terrain ou à travers les développements théoriques. Toujours selon cette auteure, un concept considéré important pour une discipline sera utilisé souvent, permettra la caractérisation de phénomènes, la résolution de problèmes et le développement d’innovations au sein d’une discipline. À la lecture des écrits disciplinaires en travail social, le changement ressort comme un concept très important. Pour cette discipline, la présence du concept dans sa littérature est notable, que ce soit des textes compris dans des revues scientifiques ou disciplinaires, des écrits pédagogiques ou ceux provenant d’instances organisationnelles, telles que les fédérations ou les ordres professionnels. Dans ces écrits, le changement est
conceptualisé généralement selon deux catégories de sens qui indiquent son rôle central, que nous avons identifié comme le changement comme réalité sociale et le changement comme objectif disciplinaire.
2.4.1 Le changement comme réalité sociale
L’Ordre, dans le rapport de ses états généraux de la profession (OPTSQ, 1999), identifie quatre types de changements qui ont des impacts sur la profession du travail social : les changements dans la société elle-même, les changements dans l’organisation et la distribution des services socio-sanitaires, les changements dans le contexte professionnel de la pratique et les changements dans les milieux de formation en travail social. Le changement conceptualisé en tant que réalité sociale réfère en fait à deux sens, que Mayer (2002) nomme des « logiques d’analyse » (p.3) de l’évolution du travail social : d’une part, « la logique interne du service social, c’est-à-dire les débats professionnels, les philosophies d’intervention, etc. et, d’autre part, la logique externe, qui tente de resituer l’évolution des services sociaux en fonction du contexte global » (Ibid.).
L’ouvrage de cet auteur, Évolution des pratiques en service social (2002), traite en détail du changement comme réalité sociale en analysant les changements dans la pratique de travail social à travers son histoire, et ce, en fonction des changements dans les contextes socioéconomique, législatif, organisationnel, professionnel et dans les modes de pratiques d’intervention sociale. Ainsi, le premier sens du concept de changement réfère aux évènements ou faits historiques présentés par les auteurs et qui ont marqués de près et de
loin son évolution, alors que le deuxième sens a trait à l’évolution du travail social comme telle en tant que discipline et profession.
2.4.2 Le changement comme objectif disciplinaire
L’idée du changement comme objectif disciplinaire est soulignée par plusieurs auteurs en travail social20 et se trouve au cœur de plusieurs des définitions largement adoptées, dont celles développées par les unités de formation et les associations professionnelles et disciplinaires, comme celle de la Fédération internationale des Travailleurs Sociaux (FITS) citée précédemment. Le changement individuel et le changement social sont tous deux établis comme objectifs disciplinaires, mais la visée du changement social est souvent privilégiée ou du moins discutée davantage dans la littérature en travail social. Or, Lecompte (2000b) affirme que le travailleur social aurait comme rôle celui d’agent de changement social. Ce dernier auteur distingue le concept de changement social d’autres concepts apparentés et parfois inclus dans les définitions du changement social.
La notion de changement social mentionnée dans cette définition diffère grandement de celle qu’on retrouve dans les définitions axées sur le fonctionnement social, l’adaptation et l’intégration sociale. Elle vise la transformation des rapports sociaux et des structures sociales afin qu’ils respectent davantage les règles d’équité et de justice sociale. (Lecomte, 2000b, p.24)
Il est intéressant de noter que le changement social est aussi conceptualisé par l’Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, dans
20Par exemple : Couturier (2009) Deslauriers & Hurtubise (2005), Favreau (2000) Ninacs (1995).
son Référentiel d’activité professionnelle lié à l’exercice de la profession de travailleuse sociale ou de travailleur social au Québec, comme une notion empruntée de la sociologie qui est partie prenante des « éléments du savoir sous-jacents à la maitrise des compétences » (OTSTCFQ, 2012, p. 24). Ce même document souligne aussi dans cette section que « les théories et les techniques associés au changement de comportements et des habitudes de vie » (Ibid.) font partie des notions empruntées aux sciences de l’éducation qui sont pertinentes pour la profession du travail social. On nomme également le concept de « processus de changement » tout au long du référentiel, en précisant dans le lexique que ce processus consiste en un « ensemble d’activités logiquement interreliées qui produisent un résultat déterminé́ » (p. VII). On ne présente toutefois pas de définition explicite de ce que peut constituer le changement qui serait visé par la pratique du travail social.
Le changement serait donc un concept central pour le travail social et tel qu’il sera démontré dans la prochaine section de méthodologie, il est aussi un concept clé pour la psychologie communautaire.
Méthodologie
Les études empiriques sur la spécificité du travail social par rapport à d’autres disciplines de l’intervention sociale sont rares et celles qui cherchent à comprendre les similitudes et les distinctions entre les concepts du travail social et ceux de la psychologie communautaire sont, à notre connaissance du moins, inexistantes. Une recherche qui s’intéresse à la clarification et la comparaison d’un concept doit nécessairement se réaliser dans un cadre méthodologique exploratoire et descriptif qui précède la production d’hypothèses et la vérification de théories (Norris, 1982). L’objet d’étude de ce mémoire appelle donc à une démarche exploratoire centrée sur une méthodologie largement de type qualitatif, ayant utilisé seulement un indicateur quantitatif qui est le décompte des divers concepts analysés dans les deux disciplines à l’étude. La nature qualitative de cette recherche est déterminée par l’utilisation d’outils et de méthodes qui sont conçus, d’une part, pour recueillir des données qualitatives et, d’autre part, pour analyser ces données de manière qualitative (Cellard, 1997). Avant d’expliciter notre démarche de collecte et d’analyse des données, soit l’analyse de concepts, voyons les implications de la recherche qualitative ainsi que l’échantillon choisi pour mener cette étude.