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Description théorique du système atome-champ

II.2 Le champ électromagnétique quantifié

La description du champ électromagnétique dans le cadre du formalisme de la théorie quan-tique repose sur une analogie formelle frappante entre un mode du champ et un oscillateur har-monique matériel. Dans ces deux systèmes, l’énergie totale possède deux contributions quadra-tiques : énergies électrique et magnétique dans le premier, énergies potentielle et cinétique dans le second. De même, l’état du système peut être décrit dans les deux cas par une amplitude complexe régie par une équation dα/dt = −iω0α conséquence des équations de Maxwell et du principe fondamental de la dynamique.

La procédure de quantification du champ est donc calquée sur celle de l’oscillateur harmo-nique : on définit deux opérateurs ˆa et ˆa satisfaisant la relationhˆa, ˆai = 1. Le hamiltonien du champ s’écrit alors simplement :

ˆ

H = ~ω0 aa+ 1 2 !

. (II.19)

Ses états propres |ni sont ceux de « l’opérateur nombre » ˆN = ˆaˆa dont les valeurs propres n associées sont entières. On les appelle « états de Fock » ou « états nombre » et ils constituent la base canonique de l’espace de Hilbert du champ. Ils sont couplés par ˆa et ˆa :

ˆa |ni = n |n −1i

ˆa|ni = n+ 1 |n + 1i . (II.20)

L’opérateur champ électrique est défini à un facteur multiplicatif près comme la partie her-mitienne de l’opérateur ˆa :

ˆ

E(r)= E0ε f (r) ˆa + h.c. (II.21)

où ε et f (r) décrivent la polarisation du mode et sa structure spatiale (profil transverse gaussien et alternance longitudinale de ventres et de nœuds). La valeur du champ électrique par photon E0

est déterminée grâce à la formule donnant l’énergie classique en fonction de la densité de champ électrique : H ≡ε0Z E(r)2d3r (II.22) devant impliquer : D n Hˆ nE = ε0 Z  n ˆ E(r)2 n  d3r, (II.23)

où ε0est la permitivité diélectrique du vide. En identifiant les deux termes, on retrouve la valeur déjà donnée au chapitre 1 : E0 = s ~ω00Vmode . (II.24)

II.2.1 Les états cohérents

Comme nous l’avons dit, un champ oscillant classique est décrit par une amplitude complexe α donnant l’amplitude et la phase du champ. D’après les formules (II.20) et (II.21) le champ

électrique d’un état de Fock a une valeur moyenne nulle : D n Eˆ n E = E0ε f (r) hn|ˆa|ni + h.c. = E0ε f (r)n hn | n −1i+ h.c. = 0 (II.25) On ne peut donc pas non plus leur attribuer de phase. Un tel état ne décrit donc pas un champ oscillant classique3.

Les états quasi-classiques |αi sont définis comme les états propres de l’opérateur annihilation ˆa. On les appelle « états cohérents » ou « états de Glauber ». Ils sont entièrement définis par un nombre complexe α qui correspond à leur valeur propre associée et que l’on nomme amplitude complexe :

ˆa |αi= α |αi . (II.26)

Leur décomposition sur la base des états de Fock permet de vérifier qu’ils se comportent bien comme des champs classiques dont l’amplitude complexe α(t) oscille à ω0:

|αi = e|α|22 X n=0 αn √ n!|ni (II.27)

|ni → e−iω0(n+1/2)t|ni |αi → e−iω0t/2 αe

−iω0tE . (II.28)

Les états cohérents constituent une « pseudo base ». En utilisant la relation de fermeture :

1 = 1πZ |αihα| d2α (II.29)

on peut décomposer un état quelconque |ψi du champ sur les états cohérents :

|ψi = 1π Z

hα|ψi |αi d2α (II.30)

et utiliser cette décomposition pour représenter cet état. On peut en effet définir la fonction de Husimi-Kano aussi appelée « fonction Q » définie par :

Q|ψi(α) = 1π|hα|ψi|2

(II.31)

et correspondant qualitativement à une distribution de probabilité de trouver l’état |ψi dans l’état |αi. On peut ensuite représenter la fonction Q|ψi(α) dans le plan complexe identifié au plan de Fresnel. Soulignons que la décomposition (II.30) sur les états cohérents n’est pas unique du fait de la non orthogonalité des états cohérents. Notamment un état cohérent |βi est trivialement égal à lui-même et décomposable selon (II.30) :

|βi = 1πZ hα|βi |αi d2α = π1Z e(|α|2+|β|2−2αβ)/2|αi d2α. (II.32)

3. Ceci est par ailleurs évident si l’on songe qu’un état de Fock et forcément stationnaire en tant qu’état propre du hamiltonien.

Il en résulte que la fonction Q|βi associée à l’état cohérent |βi n’est pas concentrée sur le point β mais dispersée dans une gaussienne de largeur 1/2 centrée sur β :

Q|βi(α) = 1πe−|α−β|2. (II.33)

Figure II.4 – Fonction Q de l’état cohérent |βi avec β = 3 + 3i.

Ce dernier résultat peut être compris comme une dispersion de l’amplitude complexe du champ due à la dispersion de ses quadratures. On peut en effet définir les deux quadratures du champ :

ˆx = ˆa+ ˆa 2 ˆp = ˆa − ˆa

2i (II.34)

et vérifier aisément qu’elles possèdent des écarts types non nuls ∆x = ∆p = 1/2. Ces incerti-tudes quantiques sont fondamentales et résultent de la non commutation des observables ˆx et ˆp impliquant l’inégalité de Heisenberg∆x · ∆p ≥ 1/4. Les états cohérents atteignent donc la limite imposée par cette inégalité. On peut choisir n’importe quelle paire de quadratures orthogonales

ˆxφet ˆpφdéfinies par :

ˆxφ = ˆae−iφ+ ˆae 2 ˆpφ = ˆae−iφ− ˆae

En particulier, il est intéressant de choisir pour φ la phase de l’amplitude complexe du champ φ = arg (α). Alors ∆xφ correspond à l’incertitude sur l’amplitude du champ et∆pφ correspond qualitativement à l’incertitude sur sa phase. La dispersion de l’amplitude est bien entendu inti-mement liée à la dispersion du nombre de photons directement visible dans l’équation (II.27). En effet, cette formule indique une distribution poissonienne du nombre de photons de paramètre |α|2

. L’espérance et l’écart type du nombre de photons sont donc simplement donnés par :

P(n)= e−|α|2|α|2n

n! ¯n = |α|2 ∆n = |α| = ¯n. (II.36)

Figure II.5 – Deux représentations d’un même état cohérent. (a) Décomposition sur la base des états de Fock mettant en évidence une dispersion du nombre de photons. (b) Décomposition sur la pseudo-base des états cohérent ou fonction Q mettant en évidence une dispersion de toutes les quadratures.

La relation d’incertitude ∆xφ · ∆pφ ≥ 1/4 est souvent récrite à l’aide des variables « clas-siques » phaseΦ et nombre de photons n. L’incertitude en phase peut-être estimée (dans la limite des grandes amplitudes ¯xφ 1) par :

∆Φ = ∆pφ

¯xφ . (II.37)

L’incertitude sur le nombre de photons peut également être estimée par le petit calcul qualitatif suivant : n= x2 φ = ¯xφ+ ∆xφ 2 = ¯x2 φ+ 2 ¯xφ∆xφ+ ∆x2 φ = ¯n + ∆n. (II.38)

On peut ainsi identifier :

¯n = ¯x2

φ (II.39)

∆n = 2 ¯xφ∆xφ+ ∆x2

φ≥ 2 ¯xφ∆xφ (II.40)

et obtenir la relation d’incertitude phase-nombre :

avec égalité pour les (grands) champs cohérents. Notons que la phase n’est pas une grandeur bien définie en mécanique quantique : il n’existe pas d’opérateur hermitien mesurant cette quantité dans le cas général. Dans certains cas particuliers (notamment pour les grands champs cohérents) on peut toutefois définir une telle observable et vérifier proprement ces derniers résultats.

Remarquons enfin que cette relation d’incertitude phase-nombre n’interdit pas l’existence de champs classiques où la phase et l’amplitude sont parfaitement définies. D’après les équa-tions (II.37) et (II.39), on peut atteindre la limite∆Φ → 0 lorsque ¯xφ → ∞. Dans cette limite, l’incertitude sur le nombre de photons ∆n = ¯n (équations (II.39) et (II.40) avec ∆xφ = 1/2 ou directement (II.36)) diverge mais l’incertitude relative∆n/¯n = 1/¯n tend également vers 0. Lorsque l’amplitude tend vers l’infini, la taille du disque d’incertitude devient négligeable et ce dernier peut être assimilé à un point.

II.2.2 Les états de Fock

Dans nos expériences, nous réalisons des mesures QND du nombre de photons dans la cavité. Après une telle mesure, le champ se trouve projeté sur un état de Fock. Il est par conséquent intéressant d’étudier quelques propriétés de ces états.

Les états de Fock possédant un nombre de photons parfaitement défini, la relation d’incerti-tude phase-nombre (II.41) tendrait à impliquer une totale dispersion de la phase. Même si cette relation n’est pas valide dans le cas général et même visiblement fausse dans le cas des états de Fock puisque∆n = 0, la conclusion intuitive précédente est juste. Pour s’en convaincre, on peut par exemple regarder la fonction Q|niattachée à un état de Fock quelconque |ni :

Q|ni(α) = 1π|hn |ψi|2 = 1πe−|α|2|α|2n

n! . (II.42)

Cette formule montre clairement qu’un état de Fock ne possède aucune information de phase : la phase de α n’apparaît pas dans Q|ni(α). La fonction Q|niest invariante par rotation, il s’agit sim-plement d’une couronne de rayon n(figure II.6). Ceci donne une autre illustration du résultat (II.25).

II.2.3 Le champ thermique

La cavité est toujours couplée à son environnement assimilable à un bain thermique à tem-pérature T = 0, 8 K. Le champ a toujours tendance à relaxer vers l’équilibre thermique. (Cette relaxation sera étudiée dans la partie suivante.) Cet équilibre est donnée par la loi de Boltzmann :

pth(n)= 1 − e~ω0kBT



en~ω0kBT . (II.43)

On déduit le nombre moyen de photons conforme à la statistique bosonique bien connue :

nth= hnith= 1 ekBT~ω0 − 1

Figure II.6 – Fonction Q de l’état de Fock |9i.

On peut alors récrire l’équation (II.43) comme :

pth(n)= n

n th

(nth+ 1)n+1 (II.45)

Comme on peut le voir sur la figure II.7.a, dans la gamme de quelques kelvins la valeur du nombre de photons thermiques augmente rapidement. A la température d’équilibre de notre ex-périence 0, 8 K, il n’y a en moyenne que 0,049 photons thermiques à la fréquence ω0 = 51, 1 GHz de notre mode. La figure II.7.b présente la statistique de photons dans ces conditions : le champ a une très grande probabilité (environ 96%) d’être vide et une faible probabilité (environ 4%) de contenir un photon. Les nombres de photons plus élevés sont très improbables.

(a) (b)

Figure II.7 – (a) Nombre moyen de photons thermiques à 51,1 GHz, en fonction de la tempéra-ture. Le point marque nos conditions expérimentales : à 0,8 K, il y a en moyenne 0,049 photons thermiques. (b) Statistique des photons thermiques à 0,8 K, en échelle logarithmique. La proba-bilité d’un nombre de photons plus grand que 1 est de l’ordre de 0,2%.