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II. Cellules Side Population initiatrices de tumeurs et déterminatrices de la chimiorésistance

2. Cellules initiatrices de tumeurs

Les connaissances acquises sur l’immense potentiel régénératif des cellules souches et l’inhérente hétérogénéité des cellules tumorales ont fait émerger une nouvelle ère de la vision des tumeurs avec la théorie des cellules initiatrices de tumeurs ou cellules souches tumorales. L’initiation de cette nouvelle réflexion de la tumorigenèse s’est faite avec les travaux pionniers de John Dick et Dominique Bonnet en 1997 démontrant l’existence d’une organisation hiérarchique de la LAM. Dans ces travaux, l’expansion leucémique a pour origine cellulaire une cellule souche hématopoïétique et leucémique contenant les lésions génétiques originelles du clone leucémique (122). Depuis, de nombreuses données expérimentales publiées indiquent que ce modèle de hiérarchisation du clone tumoral existe dans de nombreuses tumeurs hématologiques et solides (cancer du sein, gliome, LMC….). Ce modèle stipule que l’initiation et la propagation tumorale sont alimentées par une population « réservoir » de cellules cancéreuses pourvues des propriétés fondamentales des cellules souches (différenciation et auto-renouvellement) (123, 124).

Schéma 14 : Modèle de leucémogenèse proposé par Bonnet D et Dick J en 1997 D’après Bonnet D et Dick J, Nature Medecine 3 (7), 730-737 (July 1997)

50 2.1 Identification des cellules initiatrices de tumeurs

Par analogie à leur homologue normal, l’identification de cellules souches tumorales repose sur la sélection de populations définies par leur statut primitif (immunophénotype immature, exclusion du Hoechst, présence de l’ALDH, chimiorésistance…) combinée à la régénération de l’hétérogénéité de la tumeur primaire (différenciation) en modèle murin xénogreffé de façon sérielle (auto-renouvellement). Cette dernière méthode de criblage unique du potentiel initiateur de tumeur comporte un certain nombre de limitations et engendre un débat dans la communauté scientifique.

2.1.1 Limitations du modèle murin dans la recherche de cellules initiatrices de tumeurs

Les limitations associées à l’utilisation des modèles murins incluent la différence de microenvironnement humain/murin (compatibilités cytokiniques et interactions cellulaires), le statut du microenvironnement (tumoral humain vs vierge et sain murin), l’absence de cellules immunitaires dans les modèles immunodéficients et la pertinence du site d’injection. Bien qu’ils ne récapitulent qu’en partie les mécanismes de tumorigenèse humaine et que des différences fondamentales entre niches tumorales murines et humaines persistent, les modèles murins syngéniques et transgéniques mimant l’apparition et la progression de certains cancers offrent une option alternative au modèle de xénogreffe.

2.1.2 Controverses d’initiation tumorale apportées par les modèles animaux

En plus de ces barrières inhérentes aux modèles murins d’oncogenèse humaine, la controverse récente de cette méthode d’identification des cellules initiatrices de tumeurs indique que le potentiel initiateur de tumeur pourrait être contenu dans un pourcentage substantiel de cellules tumorales (mélanome : 1 cellule/4 et modèle de lymphomes et leucémies : 1 cellule/10) (125, 126). De ce fait, l’initiation tumorale ne serait pas comme le stipule le dogme initial, dictée uniquement par la biologie des cellules souches et restreinte à une population élite. Les modèles d’études disponibles actuellement semblent entraîner une sous-estimation de la fréquence de ces cellules initiatrices de tumeurs, pour le cas de certains types de cancers ou de cancers homogènes (125, 126).

51 Contrairement aux cellules souches normales, il est cependant globalement établi dans la littérature que la rareté des cellules souches tumorales est très variable selon le grade tumoral, le pronostic initial, l’expérience passée d’une chimiothérapie et la présence de métastases (127).

2.2 Théories d’initiation tumorale

Outre la théorie n’impliquant pas de hiérarchisation dans le schéma d’oncogenèse (pour les tumeurs homogènes ou équipotentes), plusieurs modèles d’initiation tumorale hiérarchiques peuvent être proposés. Le premier, de façon analogique aux travaux conduit sur la LAM, la LMC et la « stemness » physiologique, stipule que la cellule souche normale du tissu considéré est le siège de la transformation oncogénique et génère par différenciation une progénie cancéreuse (124).

Le second modèle implique l’acquisition (pré- ou post-tumorale) de propriétés fonctionnelles d’auto-renouvellement et de différenciation par des compartiments cellulaires progéniteurs ou matures. L’hypothèse de dédifférenciation fonctionnelle des cellules progénitrices est corroborée par les travaux de l’équipe de Clarke qui, certes dans un contexte physiologique normal, indiquent que les délétions des gènes cibles de BMI-1 entraînent l’acquisition d’une capacité de régénération de l’hématopoïèse à long terme. Dans un contexte cancéreux, les produits de fusion MOZ-TIF2, MLL-AF9 et MLL-ENL confèrent des propriétés de cellules souches aux cellules progénitrices, les convertissant ainsi en cellules initiatrices de tumeur (123).

A partir de modèles cellulaires matures, des études récentes indiquent l’induction d’une reprogrammation cellulaire vers la pluripotence au travers de l’expression de c-myc, Nanog, Oct4 et Sox2 par des cellules fibroblastes matures. Ces travaux laissent entrevoir l’existence de phénomènes de reprogrammation similaires au niveau des cellules matures dans le cancer (128). De plus, certains mécanismes moléculaires propres à la carcinogenèse apparaissent promoteurs et/ou supports du statut souche. Des études démontrent qu’à une induction de la transition épithélio-mésenchymateuse (EMT) est couplée une acquisition de propriétés de « stemness » (129), liant l’apparition de métastases aux cellules souches cancéreuses (130). De façon similaire, l’hypoxie semble promouvoir et maintenir un phénotype de cellules souches cancéreuses (131).

52 Schéma 15 : Modèles d’initiation tumorale et parallèle avec la biologie des cellules

souches normales

D’après Pardal et al., Nature Reviews Cancer 3 (12), 895-902 (December 2003)

Quelque soit le modèle considéré, la part fondamentale que jouent ces populations immatures dans l’initiation du cancer (« cell of origin ») et/ou dans la maintenance de la progression tumorale reste encore obscure.

53 2.3 Implication de BMI-1 dans les cellules initiatrices de tumeurs

Tout comme une majorité des cellules cancéreuses et des cellules souches normales, les cellules souches cancéreuses utilisent les voies de signalisation morphogènes (Sonic Hedgehog, Wnt β-caténine, Notch….). De même, BMI-1, garant de la pluripotence et médiateur de la signalisation Sonic Hedgehog dans les cellules cancéreuses, joue un rôle essentiel dans la biologie des cellules souches cancéreuses. Son implication est majeure dans la prolifération et l’auto-renouvellement des cellules souches cancéreuses du sein (132) et de certaines leucémies (LAM et LMC) (119, 133). De plus, la signalisation dépendante de BMI- 1 apparaît comme la signature moléculaire de l’agressivité, de la présence de métastases et prédit un pronostic péjoratif pour divers types de cancers (134).

Schéma 16 : L’expression des protéines de la famille Polycomb group (PcG) est déterminante dans l’identité souche et l’émergence de tumeurs

54 Schéma 17 : Voie de signalisation de BMI-1 dans des contextes souches normaux et

tumoraux

D’après Liu et al, Cancer research 66 (12), 6063-71 (June 2006)

2.4 Implications thérapeutiques du concept des cellules initiatrices de cancers

La vision hiérarchisée du cancer a introduit également un nouveau niveau de réflexion dans la thérapeutique du cancer, où la réémergence de la maladie peut-être imputée à l’activité régénératrice de cellules initiatrices de cancer. Il apparaît clairement que la plupart des traitements ciblent efficacement les populations matures du cancer et n’affectent pas ou peu le compartiment initiateur. En effet, la résistance aux traitements de ces cellules initiatrices de tumeurs, conférée par leur relative quiescence, la surexpression des transporteurs ATP et de molécules anti-apoptotiques, leur résistance au stress oxidatif et aux dommages à l’ADN, et leur efficacité de réparation de l’ADN, dicte le besoin d’élaborer de nouvelles stratégies thérapeutiques permettant d’éradiquer ces cellules.

55 Schéma 18 : Implications thérapeutiques des cellules souches cancéreuses

D’après Pardal et al., Nature Reviews Cancer 3 (12), 895-902 (December 2003)

Point de convergence entre chimiorésistance et « stemness », les transporteurs ABC jouent un rôle essentiel dans la biologie des cellules tumorales et des cellules souches.