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VERS UNE DÉFINITION DU (Q UÉBEC ) BASHING

4.1. BASHING : CONTEXTES D ‟ EMPLOI DANS LES MÉDIAS QUÉBÉCOIS FRANCOPHONES

4.1.2. Présentation et analyse des résultats

4.1.2.3. Le cas de Québec bashing

Au-delà de ces dernières observations, toutefois, l‘élément le plus important qui ressort du corpus est le poids de l‘expression Québec bashing en comparaison avec celui des autres expressions. Alors que la plupart des expressions en -bashing sont des hapax, c‘est-à-dire qu‘elles ne sont présentes que dans un seul article – c‘est le cas de 53 expressions, les autres étant présentes dans deux à dix articles –, Québec bashing figure dans 210 articles, ce qui représente 65% du corpus79. L‘emploi de bashing dans l‘usage québécois francophone est donc pratiquement réservé à l‘expression Québec bashing80. Plus encore, 219 articles (67,8%) contiennent une expression en -bashing qui est en lien avec l‘identité québécoise francophone : 101 bashing81, français bashing, franco bashing, french

bashing82, French Canadian bashing, PQ bashing83, Québec bashing et separatist bashing. L‘emprunt à l‘anglais s‘est donc spécialisé pour être appliqué au cas du dénigrement du Québec et des Québécois francophones et, à plus forte raison, des Québécois francophones souverainistes.

À titre comparatif, nous avons consulté des journaux canadiens de langue anglaise, également disponibles dans la base de données Eureka, afin de rendre compte de l‘emploi qui y est fait de bashing. Au cours de la même période, soit du 15 septembre 2006 au 15

79 Contrairement à la section précédente, l‘analyse présentée ici porte non pas sur les expressions mêmes,

mais plutôt sur le contexte discursif dans lequel elles sont employées. Les proportions données proviennent donc de calculs faits à partir du nombre total d‘articles analysés.

80 Dans tous les cas, le contexte permet de conclure que c‘est le Québec en tant que province, et non la ville

de Québec, qui est la cible du bashing.

81 L‘expression 101 bashing fait référence à la Charte de la langue française, aussi connue sous le nom de loi

101.

82 Le contexte permet de comprendre que french fait ici référence à la langue française, et non aux citoyens

français.

septembre 2011, nous avons relevé 3310 articles contenant le mot bashing. Précisons, comme nous l‘avons évoqué plus tôt, qu‘en anglais, bashing est autant employé pour désigner une attaque verbale qu‘une attaque physique. Afin qu‘une comparaison soit possible avec le français, nous avons retenu uniquement les articles dans lesquels bashing désigne une attaque verbale. De plus, puisque nous nous intéressons ici à l‘usage de

bashing en français, nous nous sommes limitée à consulter les 100 premiers articles publiés

en anglais afin d‘obtenir un aperçu de l‘usage de bashing dans cette langue. Il en ressort que, comme en français, les expressions en -bashing servent surtout à désigner une attaque envers un groupe, le plus souvent en lien avec le domaine géo-politico-idéologique. Or, aucune des expressions relevées ne possède un nombre particulièrement élevé d‘occurrences. Au contraire, sur 100 articles, c‘est l‘emploi de bashing seul qui revient le plus souvent (« this bashing has to stop », par exemple), dans 24% des articles, suivi de gay

bashing (8%) et de union bashing (5%). L‘emploi de bashing ne semble donc pas être

associé à une cible particulière, contrairement à ce que l‘on observe dans les médias québécois francophones. Autrement dit, la forme bashing est moins spécifique sur le plan sémantique en anglais qu‘en français.

L‘expression Québec bashing occupant une place aussi importante dans le corpus francophone, nous y avons porté une attention particulière. Nous avons d‘abord cherché à savoir si la forme française – Québec bashing – est plus employée que la forme anglaise –

Quebec bashing –, ce qui s‘est avéré être le cas : dans 62,4% des articles (131/210), c‘est la

forme française qui est employée. Néanmoins, bien qu‘il s‘agisse là d‘une majorité, la forme anglaise est également employée de façon relativement fréquente, ce qui montre, comme c‘était le cas pour les autres expressions du corpus, que les individus sont enclins à désigner la cible du bashing à la fois sous sa forme française et sous sa forme anglaise.

Nous nous sommes également interrogée sur l‘intégration de l‘expression Québec bashing dans le discours des Québécois francophones. L‘expression est-elle ancrée dans l‘usage au point où elle est employée sans marques métadiscursives qui témoignent généralement d‘une certaine distanciation et qui accompagnent souvent les emprunts à l‘anglais (guillemets, italique, formulations de type « l‘expression Québec bashing » – même si

Québec bashing n‘est alors ni en italique ni entre guillemets –, etc.) ou si, au contraire, de

telles marques l‘accompagnent systématiquement? Comme le souligne Moirand (2007a : 47), on entrevoit souvent

la présence des guillemets lors de l‘apparition de nouveaux mots ou de nouvelles expressions dans les médias : ‗vache folle‘ ou ‗principe de précaution‘ sont ainsi « montrés » dans la presse ordinaire, marquant ainsi la

distance entre le discours des scripteurs et ces mots venus d‘ailleurs… Mais, au

fil de l‘espace et du temps de l‘événement, la plupart de ces mots ou formulations perdent leurs guillemets et finissent par s‘intégrer sans trace d‘emprunt marquée dans le fil horizontal du discours.

Il s‘avère que dans 41,9% des articles analysés (88 sur 210), l‘expression Québec bashing est accompagnée de marques métadiscursives84. Autrement dit, dans la majorité des cas, l‘expression se trouve dans les articles sans qu‘aucune forme de distanciation ne l‘accompagne, ce qui pourrait constituer un indice de son degré d‘intégration en français québécois.

Enfin, nous avons cherché à savoir si ce degré d‘intégration se manifeste réellement dans l‘usage qui est fait de l‘expression, et c‘est pourquoi nous avons identifié les articles dans lesquels Québec bashing se trouve dans le discours même des auteurs (discours énoncé) et ceux où l‘expression fait plutôt partie de propos d‘autrui qui sont rapportés par l‘auteur (discours rapporté), ce qui constitue une « mise en rapport de discours dont l‘un crée un espace énonciatif particulier tandis que l‘autre est mis à distance et attribué à une autre source, de manière univoque ou non » (Rosier, 1999 : 125). De façon générale, la presse québécoise francophone se montre plutôt craintive à l‘endroit des emprunts à l‘anglais85, et nous estimons que si l‘expression Québec bashing y est employée en discours énoncé, et

84 Dans 83 de ces 88 articles, toutes les occurrences de Québec bashing présentes dans un même article sont

accompagnées de telles marques. Autrement dit, lorsque l‘expression apparaît à plus d‘une reprise dans un même article, ce n‘est généralement pas la première occurrence seulement qui est en italique ou entre guillemets, par exemple, mais bien la totalité d‘entre elles.

85 Cela ne signifie pas pour autant qu‘aucun emprunt à l‘anglais n‘est employé dans la presse, mais bien que

le discours des professionnels de l‘information à propos de ces emprunts est généralement négatif (à ce sujet, voir notamment Martel, Cajolet-Laganière et Langlois, 2001; Courbon et Paquet-Gauthier, à paraître). Ainsi, l‘emploi d‘un emprunt manifeste (ou formel) à l‘anglais comme Québec bashing (par opposition, par exemple, aux anglicismes sémantiques, dont la forme ne laisse pas entrevoir l‘origine) malgré cette « peur » de l‘anglicisme pourrait être révélateur de son caractère fréquent et habituel, ou encore du fait qu‘il s‘agit d‘un emprunt jugé moins problématique et, donc, plus acceptable dans le discours public.

non seulement en discours rapporté, cela pourrait être significatif et témoigner de l‘intégration de l‘expression dans l‘usage québécois francophone.

Dans 54,3% des articles (114/210), Québec bashing provient de discours rapporté, c‘est-à- dire que c‘est une autre personne que l‘auteur – un politicien ou un citoyen, par exemple – qui emploie l‘expression et dont les propos sont rapportés, que ce soit de façon directe (exemple 10, d‘ailleurs à propos de l‘affaire Maclean’s) ou de façon indirecte (exemple 11).

(10)

En point de presse hier, M. Ignatieff a associé les conclusions du magazine à une campagne de dénigrement du Québec. Selon lui, il faut dénoncer la corruption là où elle surgit, mais le Québec n‘a tout de même pas le monopole à ce chapitre : « Il faut faire des critiques de la corruption dans la vie

publique. L‟important, c‟est de le faire partout au Canada. De dire que le problème n‟existe qu‟au Québec, comme c‟est suggéré dans l‟article, je crois que c‟est du Québec bashing », a dit le chef libéral. (Joël-Denis

Bellavance, La Presse, « Ignatieff dénonce Maclean’s »)

(11)

La leader du PQ en a profité pour accuser les journaux anglophones qui ont fait grand cas des propos de M. Curzi de se livrer à du « Quebec bashing ». (Maxime Ouellet, La Tribune, « La presse du Canada anglais se

déchaîne contre le Québec selon Pauline Marois »)

Dans les articles restants, au nombre de 96 (45,7%), l‘expression est employée en discours énoncé, c‘est-à-dire dans le discours propre des auteurs (exemple 12, également à propos de l‘affaire Maclean’s).

(12)

Comme le Quebec Bashing est un sport très populaire dans le Rest of Canada (ROC), la revue Maclean’s s‘est payé la traite en faisant une lecture

vitriolique de l‘histoire politique des dernières décennies et de ses principaux acteurs en qualifiant le Québec de « terre de patronage ». (Pierre Bergeron, Le

Droit, « Quebec Bashing »)

De ces articles, 47,9% (46/96) sont rédigés par des citoyens, et non par des journalistes. C‘est le cas des lettres d‘opinion et du courrier des lecteurs, par exemple. Il est également

intéressant de noter que parmi les journalistes qui emploient l‘expression dans leur discours propre, on trouve une proportion importante de chroniqueurs et d‘éditorialistes. Ainsi, si l‘usage de Québec bashing est relativement répandu en contexte médiatique québécois, il n‘en demeure pas moins que l‘expression se trouve généralement dans des propos rapportés ou, lorsqu‘il s‘agit de discours énoncé, dans des propos qui proviennent de citoyens ou de professionnels de l‘information qui font des chroniques d‘opinion ou d‘humeur.

Il faut néanmoins faire preuve de prudence devant cette dernière observation et ne pas associer systématiquement le discours rapporté à la non-intégration de l‘expression Québec

bashing : c‘est le propre du discours journalistique d‘avoir recours au discours rapporté, le

rôle du journaliste étant de présenter des faits d‘actualité, ce qui passe en grande partie par le rapport des paroles d‘autrui (Bastian et Hammer, 2004). Ainsi, le fait que les journalistes emploient principalement l‘expression Québec bashing en discours rapporté ne signifie pas pour autant que cette expression n‘est pas intégrée dans l‘usage médiatique. À l‘inverse, toutefois, le fait que l‘expression soit souvent employée en discours énoncé témoigne assurément de son intégration, du moins au sein d‘une certaine partie de la population. Il est légitime de croire que si l‘expression est plutôt bien intégrée dans le discours médiatique, elle l‘est également dans le discours citoyen. L‘analyse menée ici ne permet toutefois pas d‘en arriver à une telle conclusion, et il ne s‘agit là que d‘une hypothèse.