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Sous-section 1 : Un changement de vocabulaire

Différentes affaires dans des matières criminelles telles que la fraude ou le blanchiment vont insuffler certains changements dans la jurisprudence.

Dans un premier temps, la Cour ne va retenir que les cas où la sentence viole de manière effective et concrète l’ordre public international, laissant le caractère flagrant de côté. Par exemple, en matière de corruption, dans un arrêt rendu dans le cadre d’un recours en annulation à l’encontre d’une sentence arbitrale opposant la société saoudienne GULF LEADERS et la société français S.A. CREDIT FONCIER DE FRANCE. La Cour d’appel n’annule pas la sentence mais énonce que son contrôle porte sur la violation de manière effective et concrète de l’ordre public international121.

Ensuite, la Cour remplacera le mot « flagrant » par « manifeste ». Un arrêt du 21 février 2017, République du Kirghizistan c/ M. Belokon fait date puisque la Cour prononcera l’annulation d’une sentence arbitrale pour contrariété à l’ordre public. La Cour décide que « la reconnaissance ou l’exécution de la sentence entreprise, qui aurait pour effet de faire bénéficier M.B. du produit d’activités délictueuses, viole de manière manifeste, effective et concrète l’ordre public international ; qu’il convient donc de prononcer l’annulation sollicitée »122.

Quelques mois plus tard, la Cour confirmera son changement de vocabulaire dans un arrêt du 16 mai 2017 République démocratique du Congo c/ société Customs and Tax Consultancy LLC123.

Enfin, en matière de corruption, par un arrêt Alstom du 28 mai 2019, la Cour d’appel de Paris a de nouveau annulé une sentence arbitrale. Par cet arrêt, elle énonce « Son contrôle n’a donc pas pour objet de vérifier que des stipulations contractuelles – (…) – ont été correctement exécutées, mais seulement de s’assurer qu’il ne résulte pas de la reconnaissance ou de l’exécution de la sentence une violation manifeste, effective et concrète de l’ordre public international et, en l’espèce, que la sentence ne prononce pas une condamnation à payer des sommes destinées au financement ou à la rémunération d’une activité de corruption ou de trafic d’influence »124.

120 Conclusions de M. l’avocat général Wathelet, 17 mars 2016, Genetech Inc. Contre Hoechst GmbH, aff. C-

567/14.

121 Paris, 4 mars 2014, Gulf leaders for management and services holding company SA Crédit foncier de France,

n°12/17681 (disponible sur dalloz.fr).

122 Paris, 21 février 2017, Républic du Kirghizistan contre Valeriy B., n°15/01650 (disponible sur dalloz.fr). 123 Paris, 16 mai 2017, Rev. Arb.,2018, p.248 et suiv., note J-B Racine.

124 Paris, 28 mai 2019, SA Alstom Transport contre Alexander Brothers LTD, n°16/11182 (disponible sur

Le remplacement du mot « flagrant » par « manifeste »125 marquerait une volonté d’assouplir le contrôle mais semble pour certains maladroit. Pour reprendre la formule de Christophe Seraglini et Jérôme Ortscheidt « la différence de sens entre « manifeste » et flagrant » peut ne paraitre ni manifeste ni flagrante ». Ils proposent comme lecture de ce remplacement lexical d’admettre qu’en ayant opté pour la violation manifeste, la Cour vise ici l’objet du contrôle. Ainsi l’atteinte manifeste toucherait à la gravité de l’atteinte à l’ordre public international, là où la violation flagrante visait l’étendue du contrôle du juge qui, comme nous l’avons dit, se limite à l’apparence126.

Eric Loquin estime également que ce changement de vocabulaire n’est que peu éclairant. Il estime que le résultat obtenu lorsque la Cour retenait uniquement les caractères effectif et concret étaient satisfaisant. Selon lui, peu importe la terminologie choisie, il faut que le juge puisse se voir investi d’un pouvoir de contrôle plein et entier « lui permettant de justifier l’application ou non de la règle d’ordre public et dans l’affirmative d’apprécier au regard de celle-ci la licéité du contrat »127.

Il semble que la jurisprudence ait néanmoins élargi ce changement de vocabulaire aux affaires autres que celles qui concernent des faits de blanchiments d’argent ou de corruption.

La Cour d’appel de Paris a été amenée à se prononcer sur une violation de l’ordre public international substantiel au motif que les dommages et intérêts alloués par une sentence sont disproportionnés par rapport au préjudice subi. La cour rappelle cependant que son contrôle s’attache à « examiner si l’exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral heurte de manière manifeste, effective et concrète les principes et valeurs compris dans l’ordre public international »128. Cet arrêt semble confirmé une jurisprudence allant en ce sens129.

Sous-section 2 : Un changement à l’égard des pouvoirs du juge ?

On le voit, il reste malgré tout un domaine dans lequel la Cour s’autorise un contrôle plein et entier par lequel « il appartient au juge de l’annulation, saisi d’un recours fondé sur l’article 1520, 5° du code de procédure civile, de rechercher en droit et en fait tous les éléments permettant de se prononcer sur l’illicéité alléguée de la convention et d’apprécier si la reconnaissance ou l’exécution de la sentence viole de manière effective et concrète l’ordre public international »130. Il s’agit des cas de fraude, blanchiment d’argent, principalement des matières pénales dont il serait inacceptable qu’ils subsistent dans l’ordre public international français. La Cour est claire et établit un traitement différent pour les affaires de corruption puisque la Cour vérifiera s’il y a eu bel et bien corruption indépendamment de ce que le tribunal arbitral a décidé.

Dans la lignée de cet arrêt, dans une affaire République du Kirghizistan c/ M. Belokon, la Cour va préciser son contrôle, ainsi « cette recherche, menée pour la défense de l’ordre public international n’est pas limitée aux éléments de preuve produits devant les arbitres, ni liée par

125 Cass. fr., 13 septembre 2017, Ancienne maison Marcel Bauche contre Indagro, n°16-25.657, n°16-26.445

(disponible sur dalloz.fr).

126 C. Seraglini, J. Ortscheidt, op cit., pp. 997.

127 E. Loquin, op. cit., in J-M. Leloup (direction scientifique), Revue de Jurisprudence Commerciale, n°4, Paris,

Thomson Reuters-Transactive, 2018, pp. 15.

128 Paris, 25 février 2020, Prakash Steelage Limited contre Uzuc SA, n°17/18001 (disponible sur dalloz.fr). 129 Paris, 25 juin 2019, D.X.D.Y.E. contre Shackleton and associates limited, n°16/04150 (disponible sur dalloz.fr). 130 Paris, 4 mars 2014, Gulf leaders for management and services holding company SA Crédit foncier de France,

les constations, appréciations et qualifications opérées par ceux-ci », elle doit néanmoins s’assurer du respect du principe de la contradiction et d’égalité des armes. Elle va alors se livrer à un réel examen des faits pour conclure qu’« il résulte de ce qui précède des indices graves, précis et concordants de ce qu’Insan Bank a été reprise par M.B. afin de développer dans un État où ses relations privilégiées avec le détenteur du pouvoir économique lui garantissaient l’absence de contrôle réel de ses activités, des pratiques de blanchiment qui n’avaient pu s’épanouir dans l’environnement moins favorable de la Lettonie »131.

Dans l’arrêt Alstom, la Cour va effectuer un examen approfondi des éléments qui lui sont présentés. La Cour va juger que « l’examen par le juge de l’exequatur de l’allégation selon laquelle une sentence arbitrale allouerait des sommes destinées à financer une activité de corruption ne saurait porter, eu égard au caractère occulte des faits de corruption, que sur la réunion d’un faisceau d’indices ». Par cet arrêt, la Cour va examiner la sentence arbitrale et les indices qui lui sont soumis afin de déterminer si oui ou non la sentence est contraire à l’ordre public international. Elle va annuler la sentence arbitrale car elle vise la rémunération d’activité de corruption alors même que l’appelante, qui demande l’annulation, est l’auteur de ces faits de corruption car « le refus de donner force à un contrat de corruption transcende les intérêts des parties ».

On constate donc qu’il ressort de ces arrêts que, dans des matières pénales particulièrement sensibles comme la corruption ou le blanchiment, le contrôle du juge est beaucoup plus large. Il peut examiner les éléments de faits qui lui sont présentés et déterminer si oui ou non il y a une contrariété à l’ordre public.

La Cour pose également comme condition qu’il y ait un faisceau d’indices graves, précis et concordants. J-B Racine relève que dans le cadre de l’affaire République démocratique du Congo, le seul fait du non-respect des règles posées en matière de marchés publics ne suffit pas à démontrer l’allégation de corruption. On vise dès lors ici bien le fait qu’il faut plusieurs indices132. De la sorte, elle va vérifier si les éléments, qui lui sont soumis, fondent la violation à l’ordre public. Certains ont conclu que « la cour n’hésite plus aujourd’hui à opérer un contrôle approfondi du respect par la sentence de l’ordre public international »133.

Sous-section 3 : Justification d’une telle différence de traitement ?

Une question se pose néanmoins. Qu’est ce qui justifie l’exception du contrôle plus étendu en matière de corruption et de blanchiment alors que la jurisprudence continue de maintenir un contrôle plus restreint comme principe134 ?

Le raisonnement qu’adopte la Cour d’appel de Paris consiste à énoncer que le blanchiment ou la corruption font l’objet de différents traités internationaux. Ainsi, elle énonce « la lutte contre le blanchiment d’argent provenant d’activités délictueuses fait l’objet d’un consensus international exprimé notamment dans la Convention des Nations Unies contre la corruption faite à Mérida le 9 décembre 2003, signée par 140 États et entrée en vigueur le 14 décembre

131 Paris, 21 février 2017, Républic du Kirghizistan contre Valeriy B., n°15/01650 (disponible sur dalloz.fr). 132 Paris, 16 mai 2017, République démocratique du Congo contre société Customs and Tax Consultancy LLC,

Rev. Arb.,2018, p.260, note J-B Racine.

133 C. Seraglini, J. Ortscheidt, op cit., pp. 998.

134 Paris, 25 juin 2019, D.X.D.Y.E. contre Shackleton and associates limited, n°16/04150 (disponible sur dalloz.fr);

Cass. fr., 16 janvier 2020, Legal Departement du Ministère de la Justice de la République d’Irak contre Fincantieri cantieri navalli italiani SPA, n° 16/05996 (disponible sur dalloz.fr) ; Paris, 25 février 2020, Prakash Steelage Limited contre Uzuc SA, n°17/18001 (disponible sur dalloz.fr).

2005 »135 ou encore en matière de corruption « la lutte contre la corruption est un objectif poursuivi, notamment, par la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption du 17 décembre 1997 (…) »136.

Diverses raisons sont avancées pour justifier l’existence d’une telle différentiation. Selon certains, c’est d’abord le caractère pénal des infractions de corruption ou de blanchiment qui permet d’établir un traitement différent. Ces infractions feraient partie d’un ordre public transnational qui ne pourrait être impuni, en témoigne le consensus international qui les prohibe137.

Pour J-B Racine, deux raisons peuvent justifier un tel contrôle. D’une part, il s’agirait de la valeur qu’on accorde aux faits de corruption et de blanchiment. En matière de commerce international, ils sont de la plus haute gravité. Ainsi, sur échelle, la protection du droit de la concurrence serait de moindre importance que la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent. D’autre part, il affirme que dans certains cas, certains arbitres font preuve d’une certaine complaisance à l’égard de la corruption. En établissant un tel contrôle, on met en garde les arbitres car une épée de Damoclès pèserait sur eux, à savoir l’annulation de la sentence138. Faut-il dès lors y voir une hiérarchisation des normes d’ordre public ?

J-B Racine a produit une étude sur cette question. Il y a dressé une pyramide des normes d’ordre public dont la base serait composée de l’ordre juridique interne (la loi choisie par les parties) tandis que la pointe correspondrait à un ordre public transnational. Entre ces deux conceptions se tiendrait l’ordre public international (comme l’ordre public international français). Dès lors en cas de contrariété entre les différents ordres juridiques, l’arbitre devrait respecter la hiérarchie et faire primer la norme la plus haute139. Ce raisonnement devrait-il s’appliquer au juge également ?

Par conséquent, en reprenant ce schéma, nous pourrions en déduire que le contrôle qui s’exerce au regard de la notion d’ordre public international français est un contrôle minimaliste. Alors que le contrôle qui s’exercerait par rapport à l’ordre public transnational serait un contrôle maximaliste vu l’importance que ces normes peuvent avoir.

Néanmoins, il parait particulièrement compliqué d’établir une telle distinction. En effet, comment déterminer ce qui relève de l’ordre public transnational ? Qu’en serait-il par exemple des normes issues de la Convention européenne des droits de l’homme ? Certains principes consacrés par la Convention et ses protocoles ne sont pas partagés et consacrés par tous les ordres juridiques. On peut penser ainsi au droit de propriété ou au principe d’égalité et de non- discrimination.

Enfin, qu’en serait-il de l’ordre public européen ? Nous avons vu les réserves qui ont été émises concernant la légalité de la position minimaliste française par rapport aux normes européennes, Il faudrait alors conclure que le droit européen s’insère lui aussi dans cette hiérarchie de façon

135 Paris, 21 février 2017, Républic du Kirghizistan contre Valeriy B., n°15/01650 (disponible sur dalloz.fr). 136 Paris, 28 mai 2019, SA Alstom Transport contre Alexander Brothers LTD, n°16/11182 (disponible sur

dalloz.fr).

137 E. Loquin, op. cit., in J-M. Leloup (direction scientifique), Revue de Jurisprudence Commerciale, n°4, Paris,

Thomson Reuters-Transactive, 2018, pp. 16.

138 Paris, 16 mai 2017, République démocratique du Congo contre société Customs and Tax Consultancy LLC,

Rev. Arb.,2018, p.261-262, note J-B Racine.

139 J-B. Racine, « Les normes porteuses d’ordre public dans l’arbitrage commercial international », in E. Loquin

et S. Manciaux (sous la direction de), L’ordre public et l’arbitrage, Actes du colloque organisé à Dijon les 15 et 16 mars 2013 , 42, Dijon, LexisNexis, 2013, pp. 27-28.

à ce qu’un contrôle maximaliste soit opéré dès lors qu’il s’agit d’une violation de l’ordre public européen.

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