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Les cas de bonnes rencontres dans l’ordre fortuit des choses

Dans le document L’Éthique non-géométrique de Spinoza (Page 46-49)

2.2 Le noyau positif de l’imagination

2.2.3 Les cas de bonnes rencontres dans l’ordre fortuit des choses

L’ordre des rencontres, Spinoza le nomme aussi « ordre fortuit » (fortuitus occursus). En effet, pour établir une science certaine de ces rencontres il faudrait savoir avec exactitude et a priori sous quel rapport deux corps se rencontrent, s’affrontent. Malheureusement, dans l’existence, rien ne nous permet de prévoir quels sont les corps qui entreront en interaction

118Deleuze, G. Spinoza et le problème de l’expression, p. 216. 119Deleuze, G. Spinoza. Philosophie Pratique, p. 151.

avec le nôtre, ni si ces derniers causeront ou non la destruction de nos rapports. C’est ce constat d’humilité, face à une science absolue de la nature que nous ne possédons pas, que fait Spinoza dans une lettre à Oldenbourg :

« Je vous l’ai dit en effet dans ma précédente lettre, pour ce qui est de savoir absolument en quelle manière les choses se lient les uns aux autres et s’accordent avec leur tout, je n’ai pas cette science ; elle requerrait la connaissance de la nature entière et de toutes ses parties. Je m’applique en conséquence à montrer quelle raison m’oblige à affirmer que cet accord et cette liaison existent »120.

Par conséquent, seule l’expérience peut nous apprendre de quelle manière les choses, en particulier, se lient les uns aux autres ou plutôt de quelle manière les choses se lient avec le corps que je suis. Il relève de la responsabilité de chacun de découvrir quels sont les corps qui conviennent ou disconviennent avec sa nature et cette découverte ne peut se faire que par voie expérimentale. C’est en cela que cet ordre des rencontres est dit fortuit puisque c’est au fond le « hasard », du point de vue d’un mode donné, qui règle le jeu des rencontres. Cependant, si toutes ces rencontres ont pour dénominateur commun d’être imprévisible pour l’homme, toutes ne se valent pas.

Nous pouvons en effet distinguer chez Spinoza au moins deux grands types de rencontres. Le premier désigne une rencontre avec un corps dont le rapport compose avec le mien. Lorsque deux corps expriment un tel rapport, ils viennent à en former un troisième sous lequel les deux corps se conservent et prospèrent. C’est un cas de bonne rencontre puisque le corps extérieur dont le rapport se conserve avec le mien est dit convenir avec ma nature. De plus, l’affection produite par le corps extérieur induit une passion que Spinoza qualifie de passion joyeuse. Le second type de rencontre implique au contraire un corps dont le rapport ne compose pas avec le mien. Ce corps, en tant qu’il ne convient pas avec ma nature, détruit un ou plusieurs rapports qui me constituent. A cette occasion est produite une passion liée à un sentiment de tristesse. Les deux types de rencontres ont donc en commun la production d’une affection qui est une passion c’est-à-dire d’une affection dont nous ne sommes pas cause adéquate. Cependant Spinoza opère une distinction fondamentale entres les passions-joyeuses d’une part, et les passions-tristes d’autres part, c’est-à-dire entre une affection liée à un affect de Joie ou à un affect de Tristesse. Quelle est la différence entre une affection et un affect ? Ainsi que nous l’avons dit, les affections sont des images ou des traces corporelles dont les idées enveloppent à la fois la nature du corps affecté et celle du corps affectant. Ces affections- images expriment un certain état du corps. Or d’une affection-image à une autre il y a des 120 Traité politique/Lettres, Lettre 32 à Oldenbourg, p. 236.

passages vécus, des transitions. Ce sont ces passages ou transitions que Spinoza nomme affect : « Par Affect, j’entends les affections du Corps qui augmentent ou diminuent, aident ou répriment, la puissance d’agir de ce corps, et en même temps les idées de ces affections.

Si donc nous pouvons être cause adéquate d’une de ces affections, alors par Affect j’entends

une action ; autrement, une passion »121.

Selon Deleuze, il existe entre l’affection et l’affect une différence de nature dans la mesure où l’affection renvoie à une détermination comme état et l’affect à une détermination comme passage, comme puissance dynamique. Or, en tant que l’affection exprime la décomposition d’un rapport cette dernière est liée à un affect triste qui implique un passage qui est une diminution : « La Tristesse est le passage de l’homme d’une plus grande perfection à une moindre »122. Inversement, une affection qui exprime une composition de rapport est liée à un affect joyeux qui implique un passage comme augmentation : « La Joie est le passage de l’homme d’une plus grande perfection à une moindre »123. Il est vrai que les affections passives témoignent d’une certaine limitation de notre essence, cependant elles remplissent tout de même une certaine puissance même si cette dernière est réduite. Or plus nous éprouvons des passions qui sont des joies c’est-à-dire plus nous expérimentons des rencontres qui expriment des compositions de rapports, plus notre puissance d’agir est augmentée et, parallèlement, est augmentée notre puissance de penser124. Dès lors, aussi longtemps que nous éprouvons des affects qui sont joyeux, nous expérimentons ce qu’il y a de commun entre deux corps et l’augmentation de puissance qui en découle nous induit à former une notion commune au niveau de ce seuil minimum qui est celui des notions communes les moins universelles. Ainsi, une bonne rencontre, une rencontre certes passive mais joyeuse, nous induit à former une notion commune. Passion joyeuse qui est, nous dit Deleuze, « cause occasionnelle de la notion commune »125. C’est ce rapport occasionnel qui nous permet de comprendre, dans l’ordre de l’expérience, le passage du premier au second genre de connaissance. C’est ainsi que l’idée de quelque chose qui convient avec nous, nous conduit de manière accidentelle à former une idée adéquate de nous-même.

121

E III, déf. 3, p. 213.

122 Ibid, Définition des affects 3, p. 319. 123 Ibid, Définition des affects 2, p. 319. 124 Ibid, prop. 11, p. 231.

125 Deleuze, G. Spinoza. Philosophie Pratique, p. 123.

129 Ibid, p. 275.

Dans le document L’Éthique non-géométrique de Spinoza (Page 46-49)