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Caractéristiques psychosociales des comportements de gaspillage alimentaire

Chapitre 1 – Construction et caractérisation de l’objet d’étude

1. Le gaspillage alimentaire : Un enjeu scientifique

1.1. Caractéristiques psychosociales des comportements de gaspillage alimentaire

comportements de gaspillage alimentaire

Avec des enjeux socio-économiques et environnementaux forts ancrés dans les politiques publiques européennes et françaises, le gaspillage alimentaire représente également un enjeu scientifique important. Cet objet d‘étude constitue un intérêt croissant et s‘inscrit à la croisée de plusieurs disciplines des sciences humaines, comme la sociologie, le marketing, l‘ergonomie et la psychologie. Les finalités sont doubles : comprendre les comportements de gaspillage alimentaire et intervenir pour changer ces pratiques.

Sur la base de cette revue de littérature, nous présenterons trois caractéristiques des comportements relatifs au gaspillage alimentaire :

le gaspillage alimentaire comprend un ensemble de comportements complexes qui s‘inscrivent dans des pratiques sociales intégrées.

le gaspillage alimentaire comprend un ensemble de comportements socialement indésirables.

le gaspillage alimentaire comprend un ensemble de comportements habituels, routiniers et inconscients.

1.1.1. Des comportements complexes et multiples inscrits dans des pratiques sociales

Le gaspillage alimentaire est la conséquence de différents moments de consommation et de non-consommation (Quested, Marsh, Stunell, & Parry, 2013). En ce sens, gaspiller la nourriture peut à la fois être un acte (comme jeter un reste de repas) et un non-acte (comme oublier des aliments) (Le Borgne & Siriex, 2013). De plus, le gaspillage alimentaire est la conséquence de moments de consommations intégrées dans différentes pratiques domestiques qui interviennent dans différents espaces-temps. Ainsi, Farr-Wharton, Foth et Choi (2012, 2013) identifient les causes qui conduisent à jeter la nourriture au travers de quatre activités quotidiennes : les achats, le stockage, la préparation de la nourriture et la production de déchets. Une étude réalisée par Evans (2011a, 2011b) auprès de 19 foyers britanniques révèle que la façon dont la nourriture devient déchets est une conséquence de la manière dont les pratiques domestiques sont socialement et

Les comportements de gaspillage et de réduction du gaspillage sont polymorphes.

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matériellement organisées. Ces pratiques domestiques s‘organisent autour de trois axes : les routines d‘achat alimentaire des ménages et les contingences de la vie quotidienne, les relations sociales manifestes dans l‘activité conventionnelle du repas de famille et le contexte socio-temporel des pratiques alimentaires.

De la même façon, les comportements d‘évitement du gaspillage alimentaire s‘inscrivent dans différents contextes spatio-temporels. Il n‘existe pas un, mais plusieurs comportements susceptibles de réduire le gaspillage alimentaire (Quested et al., 2013). Réduire le gaspillage alimentaire est caractérisé par un large ensemble de comportements, d‘actions et d‘activités qui interviennent à plusieurs moments dans nos activités quotidiennes : vérifier les dates limites de consommation, planifier les repas et prévoir une liste de courses, éviter les offres promotionnelles, conserver de façon adéquate les produits périssables, stocker les aliments selon les zones de refroidissements du réfrigérateur, connaître différentes méthodes pour allonger la durée de vie d‘un produit et enfin préparer et consommer des aliments.

Ganglbauer et ses collaborateurs (Ganglbauer, Fitzpatrick, & Molzer, 2012 ; Ganglbauer, Fitzpatrick, Subasi, & Güldenpfennig, 2014) soulignent le besoin de comprendre les pratiques quotidiennes des ménages pour construire des interventions de changement et informer les individus. En d‘autres termes, il est nécessaire de comprendre le sens que les individus donnent des comportements de gaspillage alimentaire.

Le gaspillage alimentaire peut être considéré comme un problème environnemental en entretenant un rapport particulier à l‘espace et au temps (Bonnefoy, Demarque, Le Conte, & Feliot-Rippeault , 2014). Au vu des éléments précédents, il nous semble que les conséquences du gaspillage alimentaire peuvent être perçues comme psychologiquement distantes (socialement, temporellement et spatialement) et ne peuvent présenter que très peu d‘intérêt dans la vie quotidienne des individus. Pour motiver les changements de comportements, il faut rendre ces questions plus présentes et compréhensibles pour les individus.

1.1.2. Des comportements socialement indésirables

Selon Stefan, Van Herpen, Tudoran et Lähteenmäki (2013), jeter de la nourriture est socialement indésirable et il existe des attitudes morales négatives à l‘égard du gaspillage alimentaire. Dans une enquête réalisée par questionnaire auprès de 244 consommateurs roumains, les auteurs examinent l‘influence de différents facteurs psychologiques pour expliquer la production de déchets alimentaires. Plus

Des attitudes morales négatives à l’égard du gaspillage alimentaire. Comprendre les significations du gaspillage pour changer les comportements.

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spécifiquement, les auteurs s‘appuient sur la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991) pour rendre compte de l‘influence de l‘attitude (les croyances positives ou négatives à l‘égard du gaspillage alimentaire), du contrôle comportemental perçu (la facilité ou difficulté à réaliser le comportement), de la norme subjective (la perception par l‘individu que le comportement considéré est approuvé ou désapprouvé par autrui) et des habitudes de préparation et de gestion alimentaires dans l‘intention de ne pas jeter de la nourriture. Les résultats de cette étude révèlent que les attitudes morales déterminent fortement l‘intention de ne pas gaspiller. Le gaspillage alimentaire semble donc provoquer une aversion chez les individus. Notons également que les attitudes et le contrôle comportemental influencent les habitudes de préparation et de gestion alimentaires. En revanche, la norme subjective ne prédit pas l‘intention de réduire son gaspillage alimentaire (Graham-Rowe, Jessop, & Sparks, 2014, 2015 ; Stefan et al., 2013 ; Visschers, Wickly, & Siegrist, 2016).

Les normes morales et les normes descriptives ont également été mobilisées pour rendre compte des comportements de gaspillage. Concernant la norme morale ou personnelle, son influence sur les comportements d‘évitement du gaspillage alimentaire apparaît discutable. Selon certains auteurs, la norme morale ne semble pas prédire l‘intention de réduire le gaspillage alimentaire (Stancu, Haugaard, & Lähteenmäki, 2015) ou n‘est que faiblement en lien avec les quantités de nourriture déclarées comme jetées (Visschers et al., 2016). Pour d‘autres auteurs en revanche, la norme morale pourrait être une motivation pour réduire le gaspillage alimentaire (Graham-Rowe et al., 2014, 2015 ; Watson & Meah, 2013). Concernant la norme descriptive, celle-ci devrait avoir une influence moindre dans l‘adoption de comportement de réduction du gaspillage alimentaire. En effet, selon Tucker et Douglas (2006, cité par Quested et al., 2013), la production de déchets (alimentaires ou autres) au sein du foyer est bien souvent une affaire privée. En d‘autres termes, jeter ses déchets est moins visible pour l‘entourage proche comparativement à la réalisation d‘autres comportements pro-environnementaux (comme prendre son vélo par exemple). Par conséquent, l‘influence de la norme descriptive peut avoir un effet moindre pour ce type de comportement dont la visibilité est réduite. Enfin, Graham-Rowe et al. (2014, 2015) révèlent dans une série d‘entretiens, que les individus perçoivent une norme descriptive amenant à l‘acceptation du gaspillage de nourriture d‘autrui.

Pourtant, de nombreuses études rapportent que les individus sont susceptibles d‘exprimer de la culpabilité, de l‘anxiété et des affects négatifs après avoir jeté de la nourriture (Comber & Thieme, 2013 ; Evans, 2011a, 2011b ; Graham-Rowe et al., 2014 ; Parizeau, Von Massow, & Martin, 2015). De plus, réduire le gaspillage alimentaire est envisagé par les individus comme la « bonne » chose à faire

Une influence en demi-teinte des normes sur l’intention de réduire le gaspillage alimentaire.

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(Graham-Rowe et al., 2014, 2015). Il semble donc qu‘il existe une norme prescriptive à l‘égard de la réduction du gaspillage alimentaire. En matière de changement de comportement, il semble primordial de questionner l‘influence des normes dans l‘adoption de comportement de réduction du gaspillage, et plus particulièrement au regard de la procédure d‘hypocrisie induite. En effet, la transgression d‘une norme descriptive participe à l‘éveil d‘un état de dissonance, lui-même caractérisé par des affects négatifs (Matz & Wood, 2005 ; Norton, Monin, Cooper, & Hogg, 2003), comme nous le préciserons dans le chapitre 2.

1.1.3. Des comportements ancrés dans les habitudes quotidiennes

Si certaines études montrent qu‘une forte intention de réduire le gaspillage alimentaire est associée avec une réduction (en termes de comportements auto-déclarés) du gaspillage alimentaire (Graham-Rowe et al., 2015 ; Stefan et al., 2013), le rôle des habitudes comportementales est questionné par les chercheurs. En effet, de fortes habitudes réduisent le lien entre intention et comportement. Le gaspillage alimentaire (et l‘évitement du gaspillage alimentaire) est un ensemble de comportements qui nécessite la mise en place de séquences d‘action sur plusieurs registres comportementaux. Cet ensemble de comportements s‘inscrit dans des routines quotidiennes d‘achat, de gestion et de préparation alimentaires (Comber & Thieme, 2013 ; Quested et al., 2013 ; Stefan et al., 2013). Ainsi, l‘étude réalisée par Stefan et al. (2013) indiquent que les habitudes de préparation et de gestion alimentaires ont une influence positive sur les valeurs morales associées au gaspillage alimentaire. Pourtant, l‘intention de ne pas gaspiller la nourriture ne prédit pas les comportements effectifs, qui semblent être sous l‘influence des habitudes de préparation et de gestion alimentaire. L‘habitude joue un rôle important dans les pratiques et comportements liés à la production de déchets alimentaires. Jeter des déchets est un comportement fréquent, qui se produit souvent dans le même contexte (à la maison) et qui demande peu de ressources attentionnelles. En d‘autres termes, il s‘agit là d‘un processus habituel, inconscient qui ne demande pas d‘intention préalable.

Définies par Verplanken et Aarts (1999, p. 104), les habitudes sont des « séquences d‟actions apprises qui deviennent des réponses automatiques en réponse à des indices spécifiques et sont fonctionnelles pour atteindre certains objectifs ou états finaux »13. Elles sont donc activées sous l‘influence d‘indices contextuels. Les habitudes sont stables et dépendantes du contexte (Ouellette & Wood, 1998). À travers la répétition d‘un comportement, les habitudes présentent

13 “Habits are learned sequences of acts that have become automatic responses to specific cues, and are functional in obtaining certain goals or end-states” (Verplanken & Aarts, 1999, p. 104).

Les habitudes : un frein au changement de comportement.

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un caractère automatique et sont apprises (Lally, Van Jaarsveld, Potts, & Wardle, 2010). Le caractère automatique d‘un comportement peut s‘avérer être un véritable frein au changement, car même s‘il répond à certains objectifs de façon efficace, il est non contrôlable, non-intentionnel et non conscient (Bargh, 1994 ; 1996). Ainsi, le caractère habituel peut conduire les individus à ne pas être conscients de la quantité de nourriture qu‘ils jettent, ce qui peut augmenter la résistance au changement.

1.1.4. Caractéristiques sociodémographiques

Pour conclure, certaines caractéristiques sociodémographiques sont susceptibles d‘influencer les comportements de gaspillage alimentaire. Par exemple, Koivupuro, Hartikainen, Silvennoien, Katajajuuri, Heikintalo, Reinikainen et Jalkanen (2012), suite à la réalisation d‘une enquête auprès de ménages finlandais, montrent que la taille du ménage, le sexe de la personne responsable des achats et de la cuisine, la fréquence d‘achat des produits alimentaires à prix réduit sont des facteurs qui influencent la quantité de nourriture gaspillée. Baker, Fear et Denniss (2009) montrent aussi que les quantités de gaspillage alimentaire sont plus importantes chez les ménages ayant des enfants en bas âge et chez ceux ayant de hauts niveaux de revenus. Par ailleurs, plus le nombre d‘individus vivant au sein du foyer est important, plus le gaspillage alimentaire diminue. En revanche, l‘âge, la superficie, la forme ou le type du logement, le niveau d‘études ou le type de travail n‘influencent pas la production de déchets alimentaires.

1.2. Exemples d’interventions visant la réduction du

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