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A. Généralités sur le cancer

2. Caractéristiques des cellules cancéreuses

En 2000, Hanahan et Weinberg ont décrit les six caractéristiques majeures des cellules cancéreuses, communes à tous types de tumeurs malignes [Hanahan et Weinberg, 2000]. Celles-ci ont été récemment actualisées par les mêmes auteurs (Figure 1) [Hanahan et Weinberg, 2011].

Figure 1 : Caractéristiques des cellules cancéreuses.

D’après [Hanahan et Weinberg, 2011].

Ces caractéristiques sont la conséquence des altérations génétiques acquises par les cellules tumorales au cours du processus de tumorigenèse d’une part et de l’interaction entre ces cellules et les cellules stromales (endothéliales ou immunitaires par exemple) d’autre part. Je vais décrire brièvement ces différentes caractéristiques en les illustrant par des exemples.

Indépendance vis-à-vis des signaux de prolifération

Contrairement aux cellules normales, les cellules cancéreuses n’ont plus besoin d’être stimulées par des signaux de prolifération produits par les cellules environnantes pour proliférer, car elles génèrent leurs propres signaux. Les causes de l’autosuffisance aux facteurs de croissance peuvent être multiples. Premièrement, la production de facteurs de croissance par les cellules tumorales ou par les cellules du microenvironnement tumoral peut être augmentée. Deuxièmement, les gènes des récepteurs aux facteurs de croissance des cellules tumorales peuvent comporter des mutations. Ces mutations sont responsables, par exemple, de la surexpression de ces récepteurs, comme c’est le cas pour le récepteur à l’EGF (Epidermal Growth Factor) dans le cancer du sein [Sainsbury et al., 1985]. D’autres mutations permettent l’activation constitutive du récepteur, c’est-à-dire l’activation du récepteur en absence de ligand [Lemmon et Schlessinger, 2010]. Troisièmement, des protéines impliquées dans les voies de signalisation induites par les facteurs de croissance sont constitutivement actives, comme c’est le cas pour les protéines Ras et MAPK (Mitogen-Activated Protein Kinase) [Hoshino et al., 1999].

Insensibilité aux signaux inhibiteurs de croissance

Les protéines régulant le cycle cellulaire sont dérégulées dans les cellules cancéreuses, par une inactivation des gènes suppresseurs de tumeur Rb (rétinoblastome) et p53 par exemple [Weinberg, 1995; Vogelstein et al., 2000]. Les cellules tumorales perdent également leur inhibition de contact. L’un des mécanismes est la perte de l’expression du gène suppresseur de tumeur NF2. Ce

Inflammation pro-tumorale Immortalité cellulaire Echappement au système immunitaire Perte du contrôle du cycle cellulaire Autosuffisance aux facteurs de croissance Dérégulation du métabolisme énergétique Résistance à la mort cellulaire Instabilité génétique Induction de l’angiogenèse Invasion et métastases

gène code pour la protéine cytoplasmique Merlin qui stabilise les jonctions adhérentes, en autres, en couplant la protéine jonctionnelle cadhérine épithéliale (E-cadhérine) avec le récepteur transmembranaire à l’EGF [Curto et al., 2007].

Résistance à la mort cellulaire

Au cours de leur transformation, les cellules acquièrent une résistante à l’apoptose. Celle-ci peut être due à une diminution de l’expression de protéines pro-apoptotiques, comme Bax (Bcl-2 associated X protein) dans les cancers du sein et les hépatocarcinomes par exemple, ou à une augmentation de l’expression des protéines anti-apoptotiques, telles que Bcl-2 dans les cancers du poumon, de la prostate ou les lymphomes non-hodgkiniens entre autres [Kirkin et al., 2004]. Cette résistance peut également être causée par l’inactivation du gène suppresseur de tumeur p53, car la protéine p53 induit l’apoptose en augmentant l’expression de Bax [Miyashita et Reed, 1995]. De plus, la mort par autophagie, qui est également une barrière à la tumorigenèse, est également altérée [Roy et Debnath, 2010].

Immortalité cellulaire

La prolifération illimitée des cellules tumorales nécessite le maintien de la longueur des télomères situés à l’extrémité des chromosomes. Dans les cellules normales, les télomères sont raccourcis à chaque division jusqu’à une taille critique qui va déclencher la sénescence ou la mort de la cellule. La télomérase est l’enzyme qui synthétise de l’ADN télomérique et son activité est augmentée dans de nombreux cancers [Kim et al., 1994].

Capacité à induire l’angiogenèse

L’angiogenèse est nécessaire à la croissance tumorale. Elle permet en effet la formation de vaisseaux sanguins, qui alimentent la tumeur en oxygène et en nutriments. Cette partie sera développée en I.B.4..

Capacité d’invasion métastatique

L’invasion métastatique nécessite le détachement des cellules tumorales de leurs voisines. Plusieurs molécules intervenant dans l’adhérence cellulaire sont dérégulées dans les cellules tumorales métastatiques, telles que les cadhérines ou les intégrines. Par exemple, la E-cadhérine, une protéine intervenant dans l’adhérence entre les cellules, est réprimée ou inactivée dans les carcinomes humains [Christofori et Semb, 1999]. La dégradation de la matrice extracellulaire par des protéases est également indispensable, d’où l’augmentation de l’expression et de l’activation des protéases, telles que les métalloprotéases matricielles (MMP, Matrix MetalloProteinase), retrouvée dans les tumeurs invasives [Egeblad et Werb, 2002]. Les cellules tumorales intravasent ensuite dans

cancer du sein et leurs ligands respectifs, SDF1α (Stromal cell-Derived Factor 1 ou CXCL12, chemokine (C-X-C motif) ligand 12) et CCL21 (chemokine (C-C motif) ligand 21), sont retrouvés aux sites métastatiques préférentiels [Müller et al., 2001].

Instabilité génétique

L’instabilité génétique est l’une des caractéristiques des cellules malignes. Elle peut être de plusieurs types : petites mutations géniques, altérations du nombre de chromosomes, translocation chromosomique ou amplification de gènes [Lengauer et al., 1998]. Les cellules cancéreuses possèdent également des modifications épigénétiques (méthylation de l’ADN, modifications des histones) par rapport aux cellules normales [Berdasco et Esteller, 2010]. L’accumulation de ces mutations, aberrations génomiques et modifications épigénétiques permet la progression du processus de tumorigenèse.

Inflammation pro-tumorale

L’inflammation peut avoir un effet pro-tumoral sur toutes les étapes de la tumorigenèse, de l’initiation à la progression tumorale et la dissémination métastatique. D’une part, l’inflammation chronique, induite par les maladies auto-immunes ou par l’obésité par exemple, augmente le risque de cancer. D’autre part, le recrutement au niveau de la tumeur de cellules immunitaires, telles que les macrophages de type TAM (Tumor-Associated Macrophages) et les cellules myéloïdes suppressives (MDSC, Myeloid-Derived Suppressor Cells), permet la mise en place d’un microenvironnement tumoral inflammatoire. Cette réponse inflammatoire peut, entre autres, promouvoir l’angiogenèse, la croissance tumorale et la dissémination métastatique. Elle augmente également l’instabilité génétique [Grivennikov et al., 2010].

Contrairement aux 8 caractéristiques précitées, les deux suivantes ne sont pas, dans l’état actuel des connaissances, généralisables à l’ensemble des tumeurs.

Dérégulation du métabolisme énergétique de la cellule

Le phénotype métabolique des cellules tumorales est anormal, cela est dû aux altérations génétiques mais également à l’influence du microenvironnement. La modification des voies métaboliques permet la production rapide d’ATP pour maintenir le statut énergétique, l’augmentation de la biosynthèse de macromolécules et le maintien d’un statut redox approprié. Le phénotype le mieux caractérisé est l’effet Warburg : les cellules cancéreuses produisent de l’ATP par glycolyse, même en présence d’oxygène normal, alors que les cellules non tumorales utilisent la voie de la phosphorylation oxydative qui permet une production plus importante de molécules d’ATP. Il existe plusieurs concepts pour expliquer l’utilisation de la glycolyse aérobie par les cellules tumorales. Moins efficace que la phosphorylation oxydative, elle permet cependant de générer plus rapidement de l’ATP, ce qui est un avantage lorsque les réserves en glucose ne sont pas limitées. La deuxième explication est que le métabolisme glycolytique est une adaptation aux conditions hypoxiques fréquemment retrouvées dans les tumeurs, c'est-à-dire qu’il permet la production d’ATP en absence

d’apport d’oxygène suffisant. Selon le concept le plus récent, la glycolyse permet la synthèse des nucléotides, des aminoacides et des lipides, permettant ainsi la biosynthèse des macromolécules et organelles nécessaires pour produire une nouvelle cellule [Cairns et al., 2011].

Echappement au système immunitaire

De nombreux mécanismes permettent aux cellules cancéreuses d’échapper à l’action anti-tumorale du système immunitaire, dont la diminution de la reconnaissance des cellules anti-tumorales par les cellules immunitaires ou l’augmentation de la résistance aux effets cytotoxiques de l’immunité par exemple [Vesely et al., 2011]. Ils seront développés en partie II.B.2.c).