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Dans la section précédente nous avons présenté certains modèles du processus de conception. Chacun de ces modèles fait apparaître certaines des caractéristiques des processus de conception en masquant certaines autres. Dans cette section, nous allons proposer une synthèse de la littérature pour faire émerger un ensemble de caractéristiques plus riche, dans le but

d'approfondir notre compréhension de la nature des processus de conception. Le lecteur remarquera que les idées décrites ont souvent été formulées en termes et sur la base des modèles et des métaphores que nous venons de voir. 2.5.1 Nature des problèmes de conception

Un processus de conception commence quand un acteur s'aperçoit d'un problème et prend des mesures avec l'intention de proposer une solution. C'est une activité de résolution de problèmes où, au commencement, le problème ne peut être énoncé avec précision. Ceci, en retour, implique qu'il ne peut y avoir d'ensemble de solutions prédéterminées. Le but de l'activité de conception est, donc, d'élaborer une description de solution à partir d'une définition lacunaire d'un problème. En raison de la difficulté pour énoncer le problème avec précision, un problème de conception est souvent formulé en termes de buts et de contraintes (Darses et Falzon 1996). La nature floue du problème est alors traduite comme une définition approximative de ces buts et contraintes. Par conséquent, au commencement, leurs interdépendances peuvent ne pas être claires et ils pourraient être en conflit. Elles sont sujettes au changement pendant le processus : elles peuvent être excessivement révisées, ou même abandonné complètement (Lawson 1980). De plus, il n'y a aucun chemin direct et prédéterminé menant à une solution (Darses et Falzon 1996; Perrin 2001). Pour ces raisons, le problème de conception est souvent qualifié de mal-structuré.

Ici, mal-structuré se rapporte à deux points. Le premier est que, habituellement, il y a beaucoup d'éléments de problème avec des aspects multiples à considérer et leurs interdépendances sont trop nombreuses pour un traitement facile et immédiat. Ainsi, le problème de conception est grand et complexe (Coyne et al. 1990). En pratique, ceci implique un groupe de concepteurs (plutôt qu'un seul) avec des backgrounds, expériences et qualifications différents. La seconde est que au début du processus de résolution de problème, un problème est mal structuré pour ceux qui essayent de le résoudre, même si il a une structure claire et bien définie pour un observateur (Simon 1969, 1973). Par conséquent, le problème de conception manque au commencement une définition précise et la tâche des concepteurs est précisément de la construire.

La construction de la définition de problème est progressive. Les concepteurs partent d'une définition de problème générique et ils explorent les solutions potentielles. En explorant, ils augmentent leur compréhension du contexte dans lequel ils opèrent et les échanges entre « ce qui est requis » et « ce qui est possible ». Ici, par « requis », nous nous referons aux buts et aux contraintes et par « possible » l'ensemble de conceptions potentielles que les concepteurs peuvent réaliser. Souvent, ce que les concepteurs découvrent pour être possibles, considérant leurs ressources (particulièrement, la connaissance) et le contexte, implique des modifications sur la définition de problème. Ainsi, les solutions considérées contribuent à la restructuration du problème, qui, en revanche, caractérise les solutions qui devraient être considérées. Exprimé en d'autres termes, la définition du problème et les solutions potentielles sont progressivement co-construites par l'exploration des possibilités. Ainsi, à un moment donné du processus, une définition de problème est une description intermédiaire d'une solution « intentionnelle » finale. Pendant ce processus co-évolutionnaire, la définition du problème (à la laquelle correspond la description courante de solution) est enrichie en réarrangeant les spécifications et/ou en spécifiant d'avantage les éléments déjà existants.

Réarrangement des spécifications se réfère à adopter ou abandonner des buts ou des contraintes, c'est-à-dire, ajouter ou enlever certaines des propriétés de la description du problème, alors que spécifier se rapporte à la décomposition des éléments du problème pour former des sous-problèmes. Cela donne une nature hiérarchique au processus de conception. La définition de problème à un niveau donné de la hiérarchie est raffiné en ajoutant ou en enlevant des propriétés de la description de problème et/ou en explicitant des sous-problèmes et leurs interdépendances pour obtenir le niveau suivant de la hiérarchie. Ainsi, la description de l'objet à concevoir évolue hiérarchiquement par des raffinements successifs jusqu'a un niveau de détail approprié pour l'exécution.

2.5.2 Conception et connaissance

Pendant l'enrichissement de la description de problème, la difficulté principale se trouve naturellement dans l'improvisation des raffinements satisfaisants. De tout évidence, ceci dépend de la structure actuelle du

problème, mais également, des connaissances détenues par les concepteurs. Comme souligné par Coyne et al. (1990), le processus de conception est une activité cognitive fortement dépendante de l'utilisation de connaissance. La connaissance, alors, est un des ressources principales utilisées dans la conception. Nous devrions préciser qu'une telle ressource n'est pas toujours disponible ; alors elle doit être recherchée ou même créée. Par conséquent, le processus de raffinement inhérent à la conception implique l'utilisation et la création des connaissances comme une partie essentielle de l'activité de conception. Un corollaire immédiat est que, aux étapes intermédiaires, un raffinement complet du problème est simplement difficile, sinon impossible, comme toute la connaissance nécessaire, le plus souvent, n'est pas immédiatement disponible.

La création de connaissance revient à dire que les concepteurs apprennent inévitablement de l'expérience de conception. En fait, les travaux de Bowen et al. (1994) indiquent que les équipes de conception les plus performantes sont celles qui considèrent la « capacité résultante » obtenue au cours du processus comme la finalité la plus importante du processus de conception, plus encore que la conception finale (Perrin 2001). L'importance de l'apprentissage est largement reconnu dans la littérature sur la conception et ceci a provoqué un intérêt sur l’explicitation et l'enregistrement du raisonnement de conception, c’est-à-dire, les connaissances utilisées (telles que les alternatives disponibles, comment elles ont été obtenues, les choix faits, les raisons de ceux-ci)(Chandrasekaran et al. 1993).

Pendant le processus, une description partielle du problème délimite les conceptions admissibles, mais en même temps, laisse ouvert un nombre très grand de possibilités des conceptions qui peuvent être réalisées et qui se trouveront dans les limites imposées par cette définition. En d'autres termes, une description intermédiaire reflète les propriétés jugées comme appropriées pour la description finale et détermine une « classe » des conceptions qui partagent ces propriétés. Ce genre de descriptions partielles de conception sont parfois nommées « concepts génériques » (Coyne et al. 1990). Nous pouvons postuler qu'une partie essentielle de la connaissance des concepteurs sont au sujet des concepts génériques qui correspondent à des différentes

descriptions (aux différents niveaux d'abstraction) aussi bien que la façon dont ceux-ci ont été élaborés.

2.5.3 Concevoir et rechercher

Faisant face à un problème, les concepteurs activent leurs connaissances, d'une part, pour trouver les concepts génériques pertinents et comment ceux-ci avaient été élaborés auparavant, d'autre part, pour choisir la stratégie la plus appropriée d'élaboration de solution pour la tâche actuelle (Von Der Weth 1999). Les concepts génériques ainsi rappelés, peuvent être adaptés au contexte courant (en les combinant de manières diverses ou simplement en ajoutant/supprimant des propriétés). Aussi, leurs propriétés existantes peuvent être spécifiées davantage (ou décomposées) ou les valeurs des paramètres qu'ils contiennent peuvent être fixées pour obtenir de différentes « instances » (Coyne et al. 1990). Remarquez que, ajouter/supprimer les propriétés d'une concept générique correspond à un mouvement « horizontal » dans la hiérarchie de concepts génériques (ou de description de problème), où d'autres concepts génériques sont prises en considération, tandis que, spécifier comment réaliser une propriété existante est un mouvement « vertical » dans la même hiérarchie, où une instance ou une décomposition du concept précédent est obtenue. Dans les deux cas, de nouveaux concepts génériques peuvent être obtenues. Dans le premier cas, par une considération d'une combinaison de propriétés précédemment non-utilisées (ou inconnues) (par exemple, un téléphone qui est « mobile ») ; dans le dernier cas, en appliquant une nouvelle décomposition (par exemple, en utilisant une source d'énergie solaire pour une voiture). Par ailleurs, il existe une hiérarchie entre les concepts génériques. En instanciant un concept générique, nous obtenons des partitions, tandis que, en faisant l'abstraction de ceci, nous avons son type.

Une formalisation de la notion « concept générique » existe dans la littérature sur la conception comme les « prototypes de concept » (Gero 1990). Pendant le processus, différentes stratégies d'élaboration de solution peuvent être adoptées à différents moments. Ces stratégies ont une nature heuristique et elles fournissent un mécanisme de contrôle sur la façon d'explorer la hiérarchie de partitions/types. Elles sont propre aux individus et

peuvent changer d'un concepteur à un autre. De plus, le choix des stratégies est géré par d'autres connaissances heuristiques, appelées « stratagèmes » par Von Der Weth (1999).

Nous voyons que la conception peut être vue comme un processus d'exploration, où des connaissances au sujet des concepts génériques et des stratégies d'exploration sont employées afin d'élaborer de nouvelles solutions. À chaque étape intermédiaire du processus de raffinement, l'utilisation des connaissances au sujet des épisodes de conceptions passées peut permettre les concepteurs de produire des solutions alternatives pour la définition du problème courante. Si aucune alternative ne peut être produite ou si toutes les solutions alternatives produites sont jugées insatisfaisantes, des concepts génériques plus abstraits devraient être revisités. En d'autres mots, le problème doit être reformulé. En tout cas, toutes les possibilités ne peuvent pas être explorées, comme il y en a une infinité et comme la génération de solution est nécessairement contrainte par le temps. Pendant un processus de conception, seulement une partie limitée de ce qui est possible peut être explorée. Cependant, la génération de plusieurs solutions alternative plutôt qu'une seule est souhaitable. La taille et la qualité de l'ensemble des solutions alternatives produites, sont importantes. Par conséquent, les concepteurs doivent dépasser leurs propres limites pour trouver les concepts les plus prometteuses aussi rapidement que possible, un échantillon qui devrait représenter au mieux les partitions du type considéré.

2.5.4 Conception et décision

Nous distinguons deux genres essentiels de problème de décision ayant trait à la génération de solutions durant le processus de raffinement ; la faisabilité et la préférabilité.

Faisabilité

Assurer la faisabilité d'une solution alternative fait intervenir la gestion des objectives et des interactions entre différents sous-problèmes. Décisions au sujet des propriétés à abandonner, à ajouter ou à détailler doivent être prises d'une manière qui permet aux objectives d'être atteintes et qui évitent des conflits éventuels entre de différents sous-problèmes. Chose qui n'est pas

facile cependant, puisque les implications des décisions prises peuvent ne pas être immédiatement évidentes et des conflits peuvent apparaître plus tard, quand d'autres décisions de raffinement sont prises. Dans la pratique, il est nécessaire d'employer des techniques variées allant de simples croquis aux simulations informatiques, afin de découvrir les effets potentiels des décisions prises. Ce genre de techniques permet d'appréhender des niveaux plus bas de la hiérarchie du raffinement sans nécessiter une prise de décision définitive, ce qui rend possible de découvrir ainsi de nouvelles informations pertinentes pour le raffinement.

Préférabilité

Le plus souvent, une seule solution faisable n'est pas satisfaisante, et d'autres tentatives sont faites pour en générer plusieurs : Une raison est que chaque tentative de génération d'alternative fait apparaître de nouvelles informations qui vont aider à (re)structurer la définition de problème. Comme la co-évolution du problème et la solution se trouve au cœur du processus de conception, amplifier la réception de ce genre d'information est important. Cependant, une autre raison est que cette nouvelle information va aider également dans la (re)structuration des « préférences » des concepteurs concernant ce qui doit être conçu et comment sera-t-il conçu. La conception est un processus évolutionnaire où des informations sur une certaine entité qui n'existe même pas complètement sont manipulées et où il est difficile de prévoir vers quoi cette entité convergera exactement. Les concepteurs sont ceux qui conduisent cette évolution par les choix qu'ils font. Mais, pendant le processus, leurs préférences concernant la direction que cette évolution devrait prendre sont, au mieux, partiellement construites. Chaque tentative de génération de solution aidera un concepteur à élaborer ses préférences, pour former ses propres convictions, en portant son attention sur des points précédemment inconnus ou inexplorés. Le succès du processus dépendant de leurs choix, un effort de générer une diversité des solutions et de les évaluer sera utile pour que les concepteurs puissent mieux cerner différents aspects du processus et la direction vers laquelle l'évolution doit être conduite. Sous une telle perspective, le processus de raffinement peut être vu comme une recherche pour la faisabilité en ménageant des objectives et des interactions entre les sous-problèmes et pour la préférabilité pour orienter le processus

évolutionnaire qu'est la conception vers les voies prometteuses. Par conséquent, une autre caractéristique du processus de conception est que le processus de conception est une collection de processus de décision en intersection et interdépendants, où les préférences du concepteur au sujet du concept élaboré évolue dynamiquement avec la description de problème/solution.

Tout ce qui est rigoureux est insignifiant, malheureusement cela n'implique pas que tout ce qui est vaseux soit plein de sens

René THOM