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D C omprendre les invasions biologiques

D.2. Caractéristiques des écosystèmes et communautés envahis

Les caractéristiques des communautés et des écosystèmes interviennent aussi dans le processus d’invasion. Certains écosystèmes semblent en effet plus sensibles à l’invasion que d’autres, notamment les écosystèmes insulaires. Les écosystèmes tempérés seraient, en outre, plus atteints par les bioinvasions que les écosystèmes tropicaux (Hewitt 2002). Charles S. Elton (1958) supposa que les écosystèmes les plus riches en nombre d'espèces sont certainement les moins sensibles aux invasions

nombreux travaux. Le débat sur l’existence d’un lien entre la diversité d’une communauté et sa stabilité (Tilman & Downing 1994) a récemment stimulé les recherches dans ce domaine (Prieur- Richard & Lavorel 2000).

D.2.a. diversités spécifique et fonctionnelle des communautés

L'importance de la diversité d'une communauté pour la productivité et la stabilité de l'écosystème a récemment été beaucoup débattue. Plus la communauté est diverse, plus elle serait productive et stable (McCann 2000). La stabilité est généralement définie comme la résistance à des perturbations, notamment à l'introduction d'espèces exotiques. Les communautés les plus diverses seraient ainsi les plus résistantes à l'invasion, et les moins diverses, les moins résistantes. Des expériences de terrain ont en effet montré que la diversité spécifique réduit le nombre d'espèces allogènes qui s'établissent ainsi que le nombre de celles qui prolifèrent. La plupart de ces expériences ont été menées sur des communautés de plantes (Tilman 1997, Knops et al. 1999, Naeem et al. 2000, Prieur-Richard et al. 2000, Levine 2001, Kennedy et al. 2002, mais voir Dukes 2001). Des résultats semblables ont cependant été observés dans des communautés de zooplanctons (Shurin 2000) et d'invertébrés marins sessiles (Stachowicz et al. 1999), plus précisément de tuniciers (Stachowicz et al. 2002).

Des observations de terrain semblent cependant révéler, à une plus grande échelle spatiale, une corrélation positive entre les diversités spécifiques des communautés indigènes et allogènes de plantes (Planty-Tabacchi et al. 1996, Lonsdale 1999, Smith & Knapp 1999, Stohlgren et al. 1999, Sax 2002, Bruno et al. 2004). Cette relation semble simplement refléter les différences, entre milieux, de ressources et de lumière disponibles (Foster et al. 2002). Les milieux "riches" comportent beaucoup d'espèces indigènes et exotiques, contrairement aux milieux "pauvres" qui ne peuvent supporter que peu d'espèces. Cette corrélation positive à l'échelle du paysage ne remet donc pas en cause la corrélation négative observée à l'échelle de la communauté (Byers & Noonburg 2003, Fridley et al. 2004, Knight & Reich 2005).

La relation entre diversité spécifique et résistance à l'invasion s'explique en partie par une meilleure utilisation des ressources, l'espace entre autres, dans les communautés riches en espèces, en laissant peu de disponibles pour les espèces introduites (Stachowicz et al. 2002, Levine et al. 2004). Cette hypothèse est d'ailleurs confirmée par le fait que la composition fonctionnelle est corrélée à la résistance à l'invasion (Prieur-Richard et al. 2002a), parfois plus fortement que ne l’est la diversité spécifique (Crawley et al. 1999).

D.2.b. relations interspécifiques

Comme nous l'avons vu dans la partie 1.C2, les relations interspécifiques que développe l'espèce introduite dans la nouvelle communauté jouent un rôle important. La présence de certains mutualistes, mycorhizes ou pollinisateurs, par exemple (Richardson et al. 2000a, Olesen et al. 2002), favorise l'établissement et la prolifération des espèces introduites ("facilitation", Bruno et al. 2003), tandis que la présence de certains compétiteurs (Thébaud et al. 1996, Erneberg 1999, Hamilton et al. 1999, Levine 2001, Mazia et al. 2001, Lambrinos 2002, Seabloom et al. 2003), parasites (Torchin & Mitchell 2004) ou prédateurs (Erneberg 1999, Case & Crawley 2000, Lambrinos 2002, Prieur-Richard

et al. 2002b) les limite. Une récente méta-analyse a permis de confirmer le rôle de ces différentes

interactions dans la résistance biotique à l'invasion de plantes (Levine et al. 2004). En outre, compétiteurs, prédateurs, parasites et mutualistes ont des effets combinés. Les capacités compétitives de deux espèces de Centaurea introduites en Amérique du nord augmentent, ou diminuent, selon l’espèce indigène compétitrice considérée, avec la présence d’une communauté fongique du sol

(Callaway et al. 2003, Callaway et al. 2004a, Fig. 16). Par ailleurs, la pression d'herbivorie sur deux espèces introduites de Conyza (Asteraceae) augmente avec la diversité spécifique de la communauté végétale méditerranéenne indigène (Prieur-Richard et al. 2002b). Enfin, les phénomènes de compétition apparente (décrits dans la partie 1.B2) participent aussi à faciliter ou limiter l'invasion des espèces introduites.

L'hypothèse de la "niche vide" est très liée à la notion de résistance biotique des communautés. Si l'espèce introduite n'a pas de compétiteurs, elle occupe alors une niche qui était auparavant vide. En outre, la présence de prédateurs ou de parasites est parfois

considérée comme une des dimensions de la niche écologique. L'absence de prédateurs ou de parasites spécialistes dans le nouvel environnement, souvent évoquée comme une cause des bioinvasions (hypothèse du relâchement de la pression des bioagresseurs, voir la partie 1.D3b), peut donc aussi être liée à l'hypothèse de la "niche vide" (Shea & Chesson 2002).

D.2.c. le cas des îles

Nombre d’invasions se produisent sur des îles, qui semblent plus sensibles aux introductions (Simberloff 1995, Courchamp et al. 2003, O'Dowd et al. 2003, Blackburn et al. 2004). La sensibilité des environnements insulaires a beaucoup été discutée (Simberloff 1995, Sax & Brown 2000). Il semble que plus une île est isolée plus la richesse spécifique qu’elle renferme est faible, laissant de nombreuses niches écologiques vides, potentiellement exploitables par des espèces allogènes (Simberloff 1995, Sax & Brown 2000, Shea & Chesson 2002). Les espèces insulaires, moins nombreuses, sont par ailleurs sujettes à moins de compétition pour une même ressource et seraient donc moins spécialisées que les espèces continentales. Une fois introduites, la compétition serait alors souvent à la faveur des espèces originaires du continent (Sax & Brown 2000). Enfin, les espèces insulaires sont moins adaptées à la présence de prédateurs et sont donc, en cas d’introduction de l’un d’eux, désavantagées face à des compétitrices allogènes.

Les caractéristiques des écosystèmes, principalement les diversités spécifique et fonctionnelle, permettent de comprendre en partie pourquoi certains d’entre eux sont plus touchés par les bioinvasions que d’autres. L’étude de ces caractéristiques, comme de celles des espèces envahissantes, a donc permis de définir quelques généralités (par exemple la résistance biotique des communautés). Cependant, les exceptions sont nombreuses. Tous les écosystèmes sont en effet susceptibles d’être envahis (Lodge 1993, Williamson 1996), mais pas par n’importe quelle espèce. De même, toute espèce est potentiellement envahissante, mais pas dans tous les écosystèmes. Nous proposons donc d’étudier le couple formé par l’espèce allogène et son écosystème d’introduction.

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