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2.3 Utilisation des réseaux métaboliques

2.3.1 Caractérisation topologique du métabolisme

“Welcome to the real world, Neo”

Morpheus, The Matrix

Deux grandes approches se dégagent de ces réseaux. La première est l’approche qui sera ici nommée « macro », qui permet de postuler des caractéristiques fonda- mentales du métabolisme par rapport aux propriétés générales du réseau[136]. La seconde est l’approche nommée ici « micro », centrée sur les constituants de ces

réseaux, qui permet de définir le « rôle » d’un ou plusieurs métabolites par rapport à leurs liens avec le reste du réseau.

L’aspect macro a été popularisé dans les années 2000, où ce type d’analyses ont été conduites sur de nombreux réseaux dits « real world », terme utilisé pour distinguer les réseaux construits à partir d’observations, par opposition aux ré- seaux générés aléatoirement. Des travaux ont mesuré des caractéristiques topolo- giques sur des réseaux real-world, tels que le Web, les réseaux de co-citations dans des communautés scientifiques[19] ou des réseaux biologiques[136]. Des proprié- tés topologiques ont ensuite été proposées par comparaison de ces mesures avec les valeurs obtenues à partir de réseaux construits aléatoirement selon différents modèles. Ces analyses ont tenté de dégager des lois universelles qui régissent la formation des interconnexions dans la nature.

Parmi les plus notables figure la notion d’invariance d’échelle (scale- freeness)[19], qui stipule que certaines propriétés du réseau sont conservées lorsque l’on ne considère qu’un sous ensemble de ce réseau, ce qui se rapproche d’une conception « fractale » des réseaux biologiques.

La seconde est la nature supposée « petit monde » (small world) des réseaux[85]. Cette propriété traduit le fait qu’en moyenne, les distances qui séparent deux métabolites, exprimées en nombre de réactions enchaînées pour passer de l’un à l’autre, sont courtes.

Ces propriétés, déjà observées dans de nombreux réseaux « real world », ont conduit à l’hypothèse que le métabolisme était robuste aux suppressions aléatoires de nœuds, et sensible à la suppression de quelques nœuds fortement connectés[263]. Ces analyses ont été très critiquées par une partie de la communauté pour la faiblesse de certaines hypothèses, quand soumises à des tests statistiques, et pour l’inadéquation entre les prédictions issus de ces modèles et les observations[172]. Par exemple, la propriété de petit monde décrite dans les réseaux biologiques a été mise à mal par l’article de Arita sobrement intitulé « The world of Escherichia Coli is not so small »[13]. En effet, une inspection détaillée des liens représen- tés dans ces réseaux révèle la présence de nombreux composés ubiquitaires tels

que l’eau, à la fois produite et consommée par de nombreuses réactions, tendant ainsi à réduire de manière peu pertinente les distances entre métabolites. Ainsi les analyses « macro » ont conduit à ce que certains considèrent comme les premiers « mythes» du domaine de l’analyse de réseau en biologie[172]. Ces conceptions erronées ont pu perdurer notamment à cause de l’incertitude présente dans les réseaux, fréquemment évoquée pour expliquer l’écart entre les observations et les caractéristiques attendues. Ainsi les écarts au modèle ont été imputés à la qualité des données plutôt qu’au modèle. Il est également à noter que la confusion a pu être confortée par le fait que certaines de ces propriétés « macro » ont effective- ment été corroborées expérimentalement dans d’autres réseaux. C’est le cas par exemple de l’étude de Jeong et collaborateurs qui a mis en évidence le fait que les protéines « hubs » dans les réseaux d’interaction protéines-protéines étaient codées par des gènes essentiels[135]. Cette observation est en adéquation avec la théorie d’invariance d’échelle, qui suppose une robustesse générale des réseaux face aux délétions aléatoires, mais une vulnérabilité face aux délétions ciblant les quelques hubs.

Au-delà du piège de la sacralisation des modèles au détriment des données expérimentales, ces événements ont souligné les limites de l’analyse des réseaux biologiques à un niveau purement abstrait, c’est-à-dire lorsque seules leurs topo- logies sont considérées. La prise en compte de critères biologiques dans l’analyse de ces réseaux a permis de remettre en cause certains de ces mythes, soulignant ainsi l’importance de la contextualisation des réseaux. Ainsi, les méthodologies qui s’appliquent à des réseaux tels que les réseaux d’interactions de protéines ne s’appliquent pas nécessairement de manière directe aux réseaux métaboliques. Des règles spécifiques des contextes qu’ils décrivent doivent s’appliquer afin de garantir la pertinence et la validité des résultats obtenus. Les méthodologies proposées dans cette thèse ont été construites sur la base de ce constat, et seront focalisées sur la prise en compte des spécificités des réseaux métaboliques dans leurs analyses, et plus particulièrement l’intégration de critères biologiques et chimiques dans les calculs.

Les analyses « macro » ont donc progressivement laissé la place à des ana- lyses centrées autour des éléments constituants ces réseaux. Dans le contexte de la métabolomique, les réseaux sont essentiellement employés afin de fournir des hypothèses sur les chaînes causales pouvant expliquer les perturbations observées sur certains métabolites. Comme mentionné précédemment, certains de ces der- niers ne sont présents que de manière très transitoire et sont consommés presque instantanément après leur production. Les techniques actuelles ne permettant pas de capturer la dynamique du métabolisme à cette échelle de temps, elles offrent une vue statique des processus impliqués. Il convient d’étendre cette vue en pro- posant des enchaînements d’événements pouvant relier les observations obtenues sur certains métabolites.