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Sur les systèmes chaotiques

B.1 Caractérisation du chaos

« Une cause très petite, et qui nous échappe, détermine un effet considérable que nous ne pouvons pas ne pas voir, et alors nous disons que cet effet est dû au hasard. Si nous connaissions exactement les lois de la Nature et la situation de l’Univers à l’instant initial, nous pourrions prédire la situation de ce même Univers à l’instant ultérieur. Mais, lors même que les lois naturelles n’auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrions connaître la situation initiale qu’approximativement. Si cela nous permet de prévoir la situation ultérieure avec la même approximation, c’est tout ce qu’il nous faut, nous disons que le phénomène a été prévu, qu’il est régi par des lois ; mais il n’en est pas tou-jours ainsi, il peut arriver que de petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux ; une petite erreur sur les premières produirait une erreur énorme sur les derniers. La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit. »

Henri Poincaré, 1908

B.1.1 Définition

Il est très délicat de définir ce qu’est un système chaotique, étant donné qu’il n’existe pas une définition précise. En pratique, on peut dire qu’un système chaotique a un comportement borné en régime permanent, qui ne correspond pas à un point d’équilibre, qu’il n’est ni périodique, ni quasi-périodique. Dans ce mémoire, nous nous intéressons uniquement aux systèmes continus : il est généralement admis que le chaos au sens de Shil’nikov [Silva 93] est la référence. Parmi les caractéristiques principales permettant d’évoquer un comportement chaotique, on peut retenir les trois suivantes :

(i) un système chaotique est un système déterministe ;

(ii) il exhibe une extrême sensibilité aux conditions initiales (SCI) ; (iii) il présente un comportement asymptotique apériodique.

La sensibilité aux conditions initiales est plus connue sous le nom d’effet papillon. Étant données deux conditions initiales arbitrairement proches, les trajectoires issues de ces conditions initiales divergent, à une vitesse caractéristique du système, jusqu’à ce qu’elles deviennent non corrélées. Ce phénomène est illustré par la figure B.1 : il s’agit de deux trajectoires de l’état x1 du SCTH (2.11), avec une différence de 0, 01% sur la première composante de l’état initial. Cette pro-priété a une importance capitale : elle rend les systèmes chaotiques imprévisibles. En effet, les imprécisions sur les conditions initiales, les erreurs de mesure, le bruit altèrent de manière

signi-Fig. B.1 - Sensibilité aux conditions initiales

ficative le comportement macroscopique du système chaotique. Une autre formulation consiste à dire que les observations sont plus précises que les prédictions pour un tel système. Cette constatation est à l’origine du caractère prétendument aléatoire des signaux chaotiques.

En général, les trajectoires d’un système dynamique chaotique sont attirées vers un attracteur étrange (néanmoins, il existe des attracteurs chaotiques qui ne sont pas étranges - par exemple, l’application logistique pour certaines valeurs de paramètres - et des attracteurs étranges non chaotiques - comme l’ensemble de Cantor). Dans le cadre de ce mémoire, on assimilera les deux types d’attracteurs. Un attracteur étrange est caractérisé par :

(i) un volume nul ;

(ii) une séparation exponentiellement rapide de trajectoires initialement proches ; (iii) une dimension souvent fractale (i.e. non entière)

(iv) l’existence d’une mesure invariante permettant de définir des grandeurs moyennes. Cette mesure est liée à la notion d’ergodicité : les caractéristiques macroscopiques de l’attracteur ne dépendent pas des conditions initiales. Un grand nombre d’expériences possédant des condi-tions initiales différentes ne change pas la mesure.

La naissance d’un attracteur étrange est liée à l’existence de deux processus, à savoir l’étirement, responsable de l’instabilité et de la SCI, et le repliement, responsable du côté étrange, fractal de l’attracteur.

B.1.2 Exposants de Lyapunov

Les exposants de Lyapunov [Wiggins 90] généralisent la notion de valeurs propres pour les systèmes non linéaires. Ils quantifient la divergence exponentielle (ou la convergence) de tra-jectoires proches à un moment donné dans l’attracteur d’un système dynamique. Dans ce pa-ragraphe, les définitions sont données pour les systèmes continus, de dimension finie, dont le

modèle dynamique (d’ordre n) est le suivant : ˙

x(t) = f (x(t)) (B.1)

On considère une orbite de l’attracteur x(t), de condition initiale x(0) = x0 et une sphère infi-nitésimale de dimension n de centre x0 et de rayon r. Lorsque le système évolue jusqu’à t > 0, la sphère a été déformée en un ellipsoïde d’axes principaux pi (classés selon l’ordre suivant : p1 > p2 > . . . > pn). La taille de pi, par rapport à r, représente la divergence ou la convergence de trajectoires de conditions initiales proches de x0. Les taux de croissance ou décroissance de ces axes principaux sont donnés par ln(pi/r)/t. Les exposants de Lyapunov correspondent aux valeurs limites de ces taux de croissance ou décroissance. Mathématiquement, on peut exprimer ce raisonnement comme suit.

On note dans la suite f (x(t)) = ft(x(0))pour préciser la dépendance dans l’état initial x(0). On considère un état initial proche de x(0), avec ε petit, et on écrit le développement limité :

ft(x(0) + ε) = ft(x(0)) + Jtε + (kεk2) (B.2)

où Jtest la matrice jacobienne de f à l’origine : Jt= ∂ft ∂x(x(0)). On peut montrer que la matrice limite

Λx(0)= lim

t→∞ JtTJt

1

2t (B.3)

existe et ne dépend pas de x(0).

Définition B.1.1 (Exposants de Lyapunov). Les logarithmes λides valeurs propres de la matrice

Λx(0) sont appelés exposants de Lyapunov du système (B.1). 

Voici quelques propriétés des exposants de Lyapunov :

– par définition, les exposants de Lyapunov quantifient les expansions (λi > 0) ou contractions (λi< 0) dans les directions propres du flux ;

– la somme des exposants de Lyapunov représente le taux moyen d’expansion ou de contraction du volume de l’espace de phase autour de l’attracteur ; par conséquent, on doit avoirP

iλi < 0;

– les exposants de Lyapunov permettent de caractériser le régime permanent des systèmes non chaotiques :

– pour un point d’équilibre asymptotiquement stable, λi < 0pour tout i = 1, n ; – pour un cycle limite asymptotiquement stable, λ1 = 0et λi < 0pour i = 2, n ; – pour un tore de dimension K, λ1 = . . . = λK= 0et λi < 0pour i = K + 1, n.

On peut souligner qu’un attracteur non chaotique ne possède pas d’exposant de Lyapunov positif.

– Si on se réfère au point précédent, ce qui distingue un attracteur étrange d’un attracteur non chaotique est l’existence d’un exposant de Lyapunov positif. Comme la somme des exposants doit toujours être négative, en dimension trois un système chaotique possède donc un expo-sant de Lyapunov nul, un positif, et un négatif (de valeur absolue plus grande que l’expoexpo-sant positif).

Il existe des algorithmes numériques pour calculer les exposants de Lyapunov d’un système dy-namique, à partir de son modèle dydy-namique, notamment celui de Wolf [Wolf 85], [Parker 89]. Ces algorithmes nécessitent le calcul de la jacobienne de f , ce qui n’est pas possible avec des fonctions linéaires par morceaux, comme pour le circuit de Chua. Par ailleurs, ces calculs s’avèrent beaucoup plus délicats lorsqu’il s’agit de systèmes à retard, donc de dimension infinie, comme le SCTH. Cette classe de systèmes a longuement été étudiée dans l’article de Farmer [Farmer 82].

En pratique, la vérification de quelques propriétés d’un système dynamique suffit pour pouvoir le considérer comme chaotique :

– vérifier la SCI ;

– tracer les trajectoires des états et leur spectre de puissance ; – tracer différents attracteurs ;

– tracer un diagramme de bifurcations ; – calculer les exposants de Lyapunov.