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œ uvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France, au plus grand nombre possible de Français» et à «assurer la plus vaste audience à notre patrimoine»116

Fruit d’un compromis entre communistes et gaullistes, l’homme de lettres et résistant André

Malraux sera nommé premier Ministre des affaires culturelles. Il aura la charge de mener une

politique publique qui se caractérisera par «la multiplication des activités, des domaines et

des modes d’intervention, l’hétérogénéité des actions additionnées, l’indifférence, ou

l’hostilité à l’égard de toute forme de rationalité des politiques et des choses de la culture

(…), la hiérarchisation des priorités, la gestion rigoureuse des ressources et l’évaluation

méthodique des résultats»

117

. La création, en 1981, d’un «ministère de la culture» à la place

du «ministère des affaires culturelles» qui existait depuis 1959 est à ce titre significatif. Il a

pourtant fallu attendre les années 1970 pour que cet objectif de « démocratisation culturelle »

commence à se concrétiser grâce à la déconcentration de certaines activités culturelles, par

l'intermédiaire des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et des services

départementaux de l'architecture et du patrimoine (SDAP).

46- Les évolutions de la notion de politique culturelle. L'historien Antoine de Baecque a

récemment écrit un ouvrage sévère à l’égard de la politique culturelle française

118

. Cette

analyse nous semble intéressante à deux titres. D’abord parce que l’auteur propose une mise

en perspective historique qui révèle les sédimentations génératrices d’ambiguïtés et de

contradictions dans la politique culturelle française. Ensuite, il est extrêmement significatif

d’avoir le point de vue de l’auteur, témoin privilégié des évolutions du secteur. Historien,

115

Le Décret du 24 juillet 1959 relatif à la mission et l’organisation du ministère précise que «le Ministre chargé des affaires culturelles a pour mission de rendre accessibles lesœuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France au plus grand nombre de français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création desœuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent»,JOdu 26 juillet 1958.

116

Le Décret du 24 juillet 1959 op. cit.

117 P.-M. MENGER, « L’État providence et la culture. Socialisation de la création, prosélytisme et relativisme dans la politique culturelle publique » in F. CHAZEL (dir.), Pratiques culturelles et politique de la culture,

Bordeaux, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 1987, p. 46.

118

ancien responsable des pages culturelles du journal Libération, ancien rédacteur en chef des

Cahiers du Cinéma ; son ouvrage constitue à bien des égards un travail d’inventaire. Cet

historien, dans le sillage d’Hannah Arendt, tente dans son essai, une analyse des menaces que

ferait peser une société de masse sur l’héritage culturel des Lumières. Antoine de Baecque a

choisi d’ «examiner ce qu’il identifie comme les cinq grandes crises de la culture française

de l’Ancien régime à la période la plus contemporaine qui marquent les évolutions de notre

modèle. En analysant ces cinq moments dans l’histoire de la politique culturelle française,

l’auteur pointe les incohérences d’un système désormais inadapté aux enjeux contemporains

et surtout à l’objectif majeur qu’il s’est fixé : faire partager au plus grand nombre les arts et

la culture»

119

.

47- La première crise : L’époque de la gloriole des Arts. La première crise étudiée par

Antoine de Baecque est celle qu’il intitule « La gloriole des Arts ». Elle est constituée par

l’héritage du mécénat royal, un des noyaux fondamentaux de la politique culturelle française

dont la République va hériter. A partir de François I

er

, les rois de France - Louis XIV illustrera

de la manière la plus éclatante cette évolution - attirent les plus grands artistes pour qu’ils

puissent célébrer la grandeur du royaume et de leur propre personne. Le gouvernement de la

culture date de cette époque où «la culture (…) est trop importante pour être laissée en

liberté»

120

, et où se façonne le visage de l’État culturel, marqué par des artistes officiels et par

la centralisation. 1789 ne rompt pas véritablement avec cette tradition, s’attachant tout autant

à célébrer par la culture la grandeur de la nation - et non plus du seul monarque - qu’à mettre

les œuvres à la disposition du plus grand nombre. Après l’instrumentalisation à des fins de

propagande par l’Empire, la politique culturelle connaît une période de torpeur. La III

ième

République restreint ses interventions aux commandes publiques artistiques et à la promotion

de l’enseignement des arts.

48- La deuxième crise : l’époque du Front Populaire. La première moitié du XX

ième

siècle a connu une période dite de «mystique du peuple». Cette période constitue pour

119V. l'article de P. LUNGHERETTI, « Crise dans la culture, la suite », Revue non fiction, 03/04/2008.

120A. DEBAECQUE,Crises dans la culture française, Anatomie d'un échec,cité par P. LUNGHERETTI, « Crise dans la culture, la suite », op. cit.

l’auteur la deuxième crise de la culture. Le néologisme de « politique culturelle » fait son

apparition et vise l’appropriation de l’art par le peuple. Ce courant issu du Front Populaire va

donner naissance aux artistes comme Copeau, Cassou, Jouvet et Vilar. Il porte haut le projet

d’émancipation par la culture et met le théâtre en première ligne, de par sa capacité à faire

communier des foules autour d’un art de la parole. C’est l’époque de la nationalisation de

l’Opéra de Paris et de l’Opéra-comique

121

. Ce moment se prolonge lors du gouvernement de

Vichy avec l’association «Jeune France»

122

. Durant l’après-guerre, il donne naissance au

mouvement de décentralisation théâtrale initié par Jeanne Laurent. Il marque fortement la

politique culturelle française qui, par la suite, inscrira la démocratisation culturelle comme

objectif majeur de l’ensemble de son action.

49- La troisième crise : le règne de Malraux.La troisième crise de la politique culturelle

est celle de l’époque Malraux. C’est la naissance d’un ministère de la culture de plein exercice

qui se délitera suite aux mouvements du mois de mai 1968. En 1958, la France renoue avec la

grandeur incarnée par Malraux alors que l’édifice est politiquement et administrativement

fragile. De cette période, il restera la création des «Maisons de la culture», même si sur les

vingt prévues, seulement neuf seront créées. A. de Baeque souligne ainsi l’erreur conceptuelle

de Malraux qui, pense-t-il, a construit son ministère et sa philosophie d’action contre le

ministère de l’éducation nationale. L’ancienne ligne de partage qui structure la politique

culturelle française refait surface à la veille de 1968 et voit s’opposer les tenants de

«l’animation culturelle» et ceux qui défendent le «devoir de création». Mai 1968 achèvera

de décrédibiliser l’action de Malraux avec la déclaration de Villeurbanne

123

, où des hommes

121

G. GUGLIELMI, « Opéra et service public », Colloque Opéra et Droit, Poitiers 14 mars 2008.Contribution publiée dans l’ouvrage collectifDroit et Opéra - Opéra et Droit,dirigé par G. KOUBIet M. TOUZEIL-DIVINA, 2008.

122Jeune Franceest une association, créé sous l’égide du Secrétariat général à la jeunesse du gouvernement de Vichy en décembre 1940, pour faire adhérer les jeunes à la Révolution nationale, à travers une politique culturelle de création et de diffusion et infiltrée par les gaullistes. Elle sera dissoute à la demande du gouvernement en mars 1942. Selon l'historien Marc Fumaroli, Jeune Francea participé à la première politique culturelle française moderne, et aurait fortement influencée l'intervention de l'État dans la culture, comme lors de la décentralisation théâtrale de la IVeRépublique, et la création du ministère de la culture en 1959.

123 Les responsables des maisons de la culture publient cette déclaration le 25 mai 1968 : «Nous refusons délibérément toute conception de la culture qui ferait de celle-ci l'objet d'une simple transmission. Non point que nous tenions pour nul, ou contestable en soi, cet héritage sans lequel nous ne serions peut-être pas en mesure d'opérer sur nous-mêmes aujourd'hui cette contestation radicale: mais parce que nous ne pouvons plus ignorer

de théâtre de la génération montante tels que Roger Planchon, Patrice Chéreau, ou Marcel

Maréchal stigmatisent la vanité d’une politique de démocratisation. Les années qui suivent

permettront aux courants politiques de gauche de conduire une réflexion de fond où les

«animateurs culturels» et les «créateurs» vont s’affronter. Ces derniers finiront par

triompher.

50- La quatrième crise : le ministère de Jack Lang. La quatrième crise de la politique

culturelle correspond à la nomination de Jack Lang à la tête du ministère de la culture que

l’historien qualifie ironiquement «d’Étout culturel» contraction d’État, d’élan et de tout

culturel. Pendant cette période, « l’idéologie créativiste» qui s’est élaborée tout au long des

années 1970, se conjugue avec une volonté d’étendre le champ culturel à des disciplines

mineures. Il souligne l’effusion créativiste qui s’empare du ministère et où «la création par

tous semble avoir remplacé la culture pour tous»

124

pour mieux masquer les insuffisances de

la démocratisation culturelle. Le ministère de la rue de Valois devient une «société de cour»

et, aux yeux de l’auteur, Jack Lang s’est fourvoyé en annonçant dès 1982, la convergence

entre la politique culturelle et l’économie, brisant un des fondements historiques d’une

politique culturelle française qui s’était érigée contre la toute-puissance des forces du marché.

Le reproche fondamental que cet historien adresse à l’ancien Ministre est d’avoir abandonné

malgré un triplement du budget du ministère de la culture, toute ambition d’une réelle

démocratisation culturelle, inversement proportionnelle à l’emphase des discours et des

déclarations du Ministre. L’analyse se clôt sur une dénonciation lucide de « l’exception

culturelle », incantation creuse d’après l’auteur, qui « fonctionne surtout comme un masque

(…) et répare comme un baume apaisant les attaques contre la politique culturelle du début

des années 1990 (…). L’exception culturelle est un pansement sur une jambe de bois»

125

.

que, pour la très grande majorité de nos contemporains, l'accès à cet héritage passe par une entreprise de ressaisissement qui doit avant tout les mettre en mesure d'affronter et de pratiquer, de façon de plus en plus efficace, un monde qui, de toute façon, n'a pas la moindre chance de s'humaniser sans eux».

124A. DEBAECQUE,Crises dans la culture française, Anatomie d'un échec,cité par P. LUNGHERETTI, « Crise dans la culture, la suite », op. cit.

125A. DEBAECQUE,Crises dans la culture française, Anatomie d'un échec,cité par P. LUNGHERETTI, « Crise dans la culture, la suite », op. cit.

51- La cinquième crise de la culture : la période actuelle. La dernière période de crise

est la période contemporaine, partant du séisme du deuxième tour des élections présidentielles

d’avril 2002 jusqu’à nos jours. Le deuxième moment étudié est la «crise esthétique» de

l’édition 2005 du festival d’Avignon, avec ses très vives polémiques sur les spectacles

présentés

126

. Cette crise a démontré que l’enjeu majeur était de réconcilier une logique

régénérée de «l’animation culturelle » avec celle du soutien à la création, «tout projet

culturel ne peut prendre sa consistance que s’il s’appuie sur la rencontre avec le public»

127

.

Les derniers développements portent sur la politique de Nicolas Sarkozy en matière culturelle.

L’auteur affirme que désormais seules les collectivités territoriales sont devenues la première

force d’intervention en matière culturelle : «la politique culturelle sarkozyenne (…) est pour

l’essentiel laissée aux initiatives locales : ce sont les notables municipaux ou régionaux qui

s’en emparent et en gèrent désormais la plupart des crédits»

128

. Mais ce constat est dénoncé

comme si le clientélisme serait consubstantiel aux pouvoirs locaux : «Ce qui est annoncé

comme un partage des compétences entre l’État et les collectivités locales masque dans de

nombreux cas les dérives du populisme municipal ou régional». Antoine de Baecque oublie

ici que la politique culturelle est depuis fort longtemps coproduite avec les collectivités

territoriales

129

qui la financent majoritairement depuis de nombreuses années : Le festival

Montpellier Danse,Les Subsistancesà Lyon, le projetEstuaireentre Nantes et Saint-Nazaire,

le festival «Les 38

e

rugissants» de Grenoble sont autant de projets artistiques qui ont été le

fait de décisions et de financements essentiellement locaux.

126Lors de l'édition 2005 du festival, certains spectacles du festival Inont vu un grand nombre de spectateurs quitter leur place durant la représentation, et le journal Le Figarojugea dans plusieurs articles l'édition 2005 comme un «catastrophique désastre artistique et moral», tandis que la radio France Inter parla de « catastrophe avignonnaise ».Libérationreprit la critique en des termes plus mesurés, défendant le festival. Ces points de vue entre artistes, critiques et spectateurs ont été rassemblés dans un ouvrage coordonné par G. BANU

et B. TACKELS,Le Cas Avignon 2005,éd.L'entretemps, 2006.

127A. DEBAECQUE,Crises dans la culture française, Anatomie d'un échec,cité par P. LUNGHERETTI, « Crise dans la culture, la suite », op. cit.

128A. DEBAECQUE,Crises dans la culture française, Anatomie d'un échec,cité par P. LUNGHERETTI, « Crise dans la culture, la suite », op. cit.

129V. pour de plus amples développements, P. MOULINIER,Politique culturelle et décentralisation, L’Harmattan, 2002, 336 p.

Il est d’ailleurs significatif de conclure sur le fait que la politique culturelle ne doit plus

opposer l’échelon local et national. Cette politique publique se fait désormais aussi bien au

niveau local - grâce notamment à l’outil festivalier - que national. Toutefois, l’encadrement

législatif relatif à la répartition des missions de chaque échelon reste toujours complexe

130

.

À la question de savoir si «les festivals ne représentent pas une réponse provisoire au