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Enjeux de l’étude du microbiote intestinal humain

1. Dysbiose : implication dans certaines pathologies :

1.3. Cancer colorectal :

1.3.1. Description de la dysbiose dans le cancer colorectal :

Le lien entre microbiote intestinal et cancer colorectal apparaît naturel, en raison de la localisation tumorale. Néanmoins les premières démonstrations de l'existence d'un lien fonctionnel entre microbiote et cancer colorectal ne remontent qu'à deux décennies. Des expériences menées sur un modèle de souris hétérozygotes pour la mutation du gène suppresseur de tumeur Apc (Apcmin/+) ont mis en évidence un risque plus faible de développer un adénome dans l'intestin de souris exemptes de tous germes (axéniques) en comparaison à des souris « contrôle ».

Des études récentes se sont intéressées à la composition des microbiotes humains, comparant notamment le microbiote intestinal de sujets sains et de patients atteints de cancer colorectal. D'importantes différences ont été mises en évidence dans la répartition des différentes bactéries, aussi bien dans la muqueuse colique que dans les selles. Ces différences semblent toucher un certain nombre de taxons, désormais bien identifiés. Burns et al. ont ainsi séquencé puis comparé les microbiomes de 44 patients sains et 44 patients atteints de cancer colorectal, d'après des échantillons de tissus coliques, et ont observé un enrichissement en Proteobacteria (Providencia notamment) ainsi qu'une déplétion en Firmicutes et Bacteroidetes dans la population malade.

Un enrichissement dans le phylum des Fusobacteria (Fusobacterium nucleatum notamment), ainsi qu'une déplétion en Lachnospiraceae, Ruminococcaceae et F prausnitzii (appartenant au Firmicutes) ont également été mis en évidence dans le microbiome tumoral. Il

a été découvert que le microbiome des patients atteints de cancer était enrichi en gènes de virulence, corrélés à la présence notamment de Fusobacteria et de Providencia. Ces découvertes suggèrent que le microbiote pourrait être un contributeur du cancer colorectal, et ne serait pas uniquement le témoin passif de l'évolution de la maladie. Il reste cependant à identifier clairement et à quantifier ces facteurs de virulence, qui pourraient constituer une cible thérapeutique potentielle.

D'autres bactéries ont pu être identifiées comme associées à la carcinogenèse colique (Parvimonas micra, Solobacterium moorei et Peptostreptococcus stomatis) mais avec des signaux biologiques bien plus faibles.

Des différences de composition des microbiotes ont également été mises en évidence selon le stade évolutif de sa néoplasie (absence de tumeur, adénome, carcinome). Des taux élevés de Bacteroides, d'E coli et de Streptocoques ont été observés au stade carcinome.

Z. Wei et al. ont quant à eux étudié les compositions des microbiotes de patients atteints de cancer à différents stades de la maladie (survie, récurrence, décès). Dans chaque groupe, 4 phyla dominaient : Proteobacteria (33,8–49,4 %), Firmicutes (16,9–22,7 %), Bacteroidetes (21,1–27,9 %) et Fusobacterium (3,38–10,8 %), confirmant les données de Burns et al. Un enrichissement en B fragilis était observé chez les patients non-survivants en comparaison aux survivants. Une plus grande abondance de F nucleatum était notée chez les patients en récidive de leur cancer en comparaison aux survivants. Parallèlement, l'abondance en F

prausnitzii était plus importante chez les survivants que chez les non-survivants. Des taux

élevés de F nucleatum et B fragilis ont également été associés à une diminution de la survie globale, établissant l'hypothèse que des bactéries du microbiote pourraient constituer des biomarqueurs prédictifs de la survie au cours du cancer colorectal, péjoratifs dans le cas de F

1.3.2. Mécanisme physiopathologique :

Les bactéries du microbiote pourraient être impliquées dans la carcinogenèse selon un modèle « driver-passenger ». La première étape consistant en la colonisation de l'intestin par des bactéries pathogènes « driver » à potentiel pro-inflammatoire et pro-carcinogène (B

fragilis, E coli notamment) qui contribueraient à l'initiation du cancer colorectal.

La progression tumorale entraînerait alors une modification dans le micro-environnement tumoral, permettant une colonisation par des bactéries opportunistes « passenger » (F nucleatum, Streptococcus gallolyticus notamment) favorisant le développement de la tumeur.

Le cancer colorectal résulte le plus souvent de la transformation d'un adénome en carcinome, on parle alors de « séquence adénome-carcinome ». À l'échelle moléculaire, l'initiation et le développement de cette séquence correspondent à l'accumulation de mutations génétiques, avec activation d'oncogènes (KRAS, MYC, PI3KCA) et inactivation de gènes suppresseurs de tumeurs (APC, TP53). Par ailleurs, 15 % des cancers colorectaux, dont une majorité localisée au côlon droit, sont liés au phénotype microsatellites instables (MSI), résultant d'une déficience du système de réparation de l'ADN. Bien que le microbiote ne puisse être considéré par lui-même comme carcinogène, le cancer étant d'origine multifactorielle, des études ont récemment montré en quoi le microbiote pouvait générer des modifications génétiques et influencer l'apoptose et l'inflammation, favorisant le développement du cancer colorectal.

Des expériences menées sur un modèle murin de cancer colorectal induit par l'injection intrapéritonéale d'azoxyméthane, composé carcinogène, ont montré qu'un traitement antibiotique induisait une diminution du nombre et de la taille des tumeurs, suggérant le rôle de certaines bactéries du microbiote intestinal dans la carcinogenèse et qu'une dysbiose constituerait un des facteurs contribuant au développement de la tumeur. Cette dysbiose peut en outre être influencée par l'âge, l'alimentation ou le mode de vie, qui sont autant de facteurs de risques de cancer colorectal.

Les découvertes récentes sur la composition et les fonctions du microbiote intestinal et son implication dans la survenue et le développement du cancer colorectal permettent aujourd'hui d'envisager le microbiote comme outil important dans la prise en charge du cancer colorectal. Les modifications initiales de la composition du microbiote au cours de la carcinogenèse colique en font un potentiel outil de dépistage précoce du cancer colorectal [28].