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La campagne a lancé la dynamique

Dans le document Le virus (Page 42-45)

Avram Finkelstein, activiste, auteur et graphiste travaillant aux États-Unis, revient sur la création du projet d'affi che SILENCE = DEATH [Silence = Mort], une célèbre campagne de sensibilisation au sida lancée à la fi n des années 1980, au tout début de l'épidémie de VIH à New York.

Ce projet d'affi che à la composition visuelle et à la stratégie de promotion controversées est le travail d'un collectif de jeunes artistes, d'activistes et de citoyens engagés, personnellement touchés par le VIH. Les affi ches et les autocollants initiaux ont donné lieu à de nombreux produits dérivés tels que des badges ou des T-shirts, largement diff usés dans le monde entier. Le projet a contribué à créer et à dynamiser un mouvement en faveur de l'accès à la prévention du VIH et aux services de traitement.

L'affi che est aujourd'hui encore un symbole de la lutte contre le sida.

Interview d'Avram Finkelstein

Comment en êtes-vous venu à participer au projet SILENCE = DEATH [SILENCE = MORT] et quelles ont été vos motivations pour vous engager dans la lutte contre le sida ?

En 1981, mon premier compagnon a présenté les premiers symptômes de ce qui a été identifi é plus tard comme une infection à VIH. Il est décédé du sida en 1984. À l'époque, la situation était très diffi cile. Personne n'évoquait la question du VIH en public. C'était une période d'extrême solitude et isolement. De nombreuses personnes partageaient ce sentiment, ce qui m'a amené à former un collectif avec cinq amis. Nous tâchions de nous retrouver chaque semaine pour discuter des diffi cultés personnelles auxquelles nous étions confrontés ainsi que des aspects sociaux et politiques de l'épidémie.

Dans le cadre de ce collectif, qui s'est associé plus tard avec d'autres militants pour former ACT UP (AIDS Coalition to Unleash Power) [Coalition

pour libérer les énergies contre le sida], il nous a paru nécessaire de mettre la question du sida sur le devant de la scène. À l’époque, l'un des moyens les plus effi caces était les affi ches. Il faut bien comprendre qu'à New York, les jeunes communiquent depuis longtemps par le biais d'affi ches ou d'autres formes d'arts de la rue. Nous nous sommes inspirés de ces stratégies.

Quant à mes motivations, je pense qu'au début de l'épidémie, chaque personne avait ses propres raisons de s'engager. J'avais déjà une longue expérience du militantisme et j'ai compris très tôt que l'épidémie de sida revêtait une dimension politique, complexe et multiple.

Pouvez-vous nous parler des étapes du projet Silence = Death [Silence = Mort] ? Nous étions convaincus qu’il fallait créer une affi che.

À l'époque, on ne pouvait pas se promener dans les rues de Manhattan sans tomber sur des affi ches publicitaires. Elles étaient partout et on en voyait défi ler de toutes sortes quand on prenait le taxi.

Dans ce contexte, nous avons décidé que l'affi che devrait être à la fois visible par les automobilistes et lisible par les piétons. Nous étions également conscients que l'heure était au conservatisme politique et qu'il n'était plus possible de descendre dans la rue pour y clamer des manifestes et de longs discours comme dans les années 60. Nous avons tenu compte de tous ces paramètres pour concevoir l’affi che.

Nous avons également voulu que sa composition soit très codifi ée et cryptique. Le triangle rose s'adressait au public gay et lesbien, mais nous l'avons renversé pour éviter toute assimilation à un message de victimisation. Cela a éveillé à la fois la confusion et l'intérêt. Si le fond noir uni permettait à l'affi che de trancher par rapport à un environnement urbain et encombré, la couleur et la police lui conféraient quant à elles une dimension esthétique et branchée, car elles rappelaient beaucoup les publicités de mode. Notre décision de placer ces affi ches dans des

Avram Finkelstein, activiste, auteur et graphiste travaillant aux États-Unis.

Aperçu des campagnes de sensibilisation

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zones à forte densité de circulation et à proximité des publicités de mode ou de fi lms a décuplé leur visibilité. Enfi n, nous avons limité la quantité de texte sur les affi ches. Nous avons opté pour un court manifeste et pour interpeller les gens, nous leur avons posé plusieurs questions du style « Pourquoi le gouvernement garde le silence sur le sida ? » Nous les exhortions ensuite à transformer leur colère, leur peur et leur chagrin en actions concrètes.

L'élaboration de l'affi che Silence = Death [Silence = Mort] nous a pris environ six mois. La première remonte à début 1987 et au bout de quelques semaines, nous avions inondé pratiquement toute la ville. Une partie de la population était globalement assez déconcertée par cette affi che, car elle ne savait pas trop comment l'aborder. Mais elle a attiré son attention, ce qui correspondait à notre objectif initial de susciter une prise de conscience.

En revanche, la communauté des militants l'a tout de suite comprise et l'élan de réactions qu'elle a provoqué a permis de clarifi er ses diff érentes signifi cations.

Dans quelle mesure les campagnes de sensibilisation ont-elles évolué, selon vous, au cours des trois dernières décennies ?

Les campagnes de sensibilisation au VIH ont évolué à mesure que l'épidémie a progressé et ont mis l'accent sur diff érents messages autour de la responsabilité collective et personnelle. Au début des années 90, de nombreuses campagnes aux États-Unis ont érotisé la sexualité à moindre risque pour donner une dimension attractive à la prévention du VIH. Il faut également prendre en compte un autre élément important, à savoir la santé publique, qui était un concept nouveau aux États-Unis quand l'épidémie a éclaté. Nos politiques en matière de santé publique avaient à peine 50 ans. À de nombreux égards, la santé était toujours considérée comme une question d'ordre privé. Toute la diffi culté a donc consisté à interpeller les gens sans les agresser.

Est-ce qu'une image et un message du type SILENCE = DEATH fonctionneraient encore aujourd'hui ?

C'est une question qu'on me pose souvent mais c'est une bonne question. Pour faire court, la réponse est oui. Mais j'aimerais vous faire part de ma théorie à ce sujet. Il est maintenant facile de constater que cette affi che a marqué un tournant.

Le collectif à l'origine de ce message s'est formé à cause de la situation que nous vivions alors. Mais Silence = Death [Silence = Mort] n'a pas été créée ex nihilo : elle refl était la réalité du moment. Des gens mouraient mais personne ne parlait en public du VIH. Le message tournait alors autour des notions de responsabilisation et d'action. Une communauté s'est formée dans le sillage de cette campagne parce que des personnes vivant avec le VIH et touchées par l'épidémie aspiraient à un changement radical.

Nous avons permis à cette communauté de faire entendre sa voix.

La seule diff érence avec les campagnes actuelles réside dans la stratégie de diff usion du message.

Plus personne ne placarde des affi ches : l'heure est à la portabilité et à l’interactivité. Avec un appareil portable, on peut, en plein cœur d'une manifestation, transmettre un message au monde entier sans attendre que la presse ne le relaie.

La publication d'un message du type Silence = Death [Silence = Mort] sur Twitter fonctionnerait, mais un face-à-face viscéral et physique dans la rue reste nécessaire pour montrer que la communauté ainsi représentée est bien réelle et non virtuelle.

Aujourd'hui encore, les personnes ont toujours le devoir de participer aux campagnes et de s'informer. Comme nous avons pu le constater lors des événements récents en Égypte, le pouvoir d'un peuple parlant d'une seule voix est encore nécessaire pour amener le changement.

États-Unis, 1986

Silence = Death [Silence = Mort]

Conception : ACT UP

Collection de Richard Deagle, ACT UP

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