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PARTIE  1.   LE POINT SUR LES STRATÉGIES ANTISYNDICALES : FAITS SAILLANTS ISSUS DE LA

1.3.2   Les stratégies d’opposition du syndicalisme 23

1.3.2.2 Les campagnes de suppression

1.3.2.2.1 Campagne de peur

Cette campagne vise carrément à supprimer le syndicat en instaurant un climat de peur ou en tentant de mettre des obstacles au syndicat, dans le but de dissuader les employés de soutenir leurs collègues désirant former cette association (Dundon, 2002; Gall, 2004). Ces tactiques peuvent être utilisées avant, pendant et après le processus d’accréditation. Selon Gall (2004), le but de l’utilisation de telles tactiques est triple. En effet, c’est un

Tableau 2 : La campagne de suppression Avant

l’accréditation l’accréditation Pendant l’accréditation Après

Peur X X X

moyen : 1) d’empêcher les militants syndicaux d’organiser les travailleurs, 2) de décourager le militantisme de ceux désirant former le syndicat et 3) de faire peur aux travailleurs pour ainsi diminuer le support offert au syndicat (Laroche et al., à paraître). Par ailleurs, une vaste enquête a révélé que l’attitude antisyndicale des employeurs américains a su créer un climat de peur généralisé parmi les travailleurs au fil des années. Selon (Bruce, 1994), 70 % des Américains pensent que les travailleurs en général seront sujets à des réprimandes et à une certaine forme de coercition économique de la part de leur employeur s’ils essayent de se syndiquer. De plus, environ 45 % des travailleurs craignent d’être eux-mêmes menacés s’ils exercent leurs droits de négociation collective qu’ils ont pourtant sur papier depuis de nombreuses années (Bruce, 1994). Malheureusement, aucune donnée de ce type n’est encore disponible au Québec. Il faut ainsi se référer au courant jurisprudentiel en la matière.

Les exemples de tactiques de cette campagne sont multiples. Une des plus utilisées serait de s’attaquer directement aux militants syndicaux, en faisant de l’intimidation, du harcèlement, en ayant recours à un renvoi ou à des menaces de recourir à cette peine capitale (Bronfenbrenner, 2009b; Riddell, 2001). Cette tactique aurait une fréquence d’utilisation d’environ 40 % chez les employeurs canadiens et américains étudiés qui ont eu recours à des stratégies antisyndicales (Bronfenbrenner, 2009b; Thomason & Pozzebon, 1998). Autant du côté québécois qu’états-unien, le cadre législatif interdit ces pratiques. En effet, au Québec, des recours en vertu des articles 1411 à 20 du Code du travail peuvent être intentés devant la CRT où l’employeur peut être dans l’obligation de réintégrer l’employé congédié pour activités syndicales et de lui verser le salaire auquel il aurait eu droit. Il en va de même pour les autres administrations provinciales du Canada

                                                                                                               

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 Art  14.  :  Aucun  employeur,  ni  aucune  personne  agissant  pour  un  employeur  ou  une  association  d'employeurs  

ne  doit  refuser  d'employer  une  personne  à  cause  de  l'exercice  par  cette  personne  d'un  droit  qui  lui  résulte  du   présent   code,   ni   chercher   par   intimidation,   mesures   discriminatoires   ou   de   représailles,   menace   de   renvoi   ou   autre   menace,   ou   par   l'imposition   d'une   sanction   ou   par   quelque   autre   moyen   à   contraindre   un   salarié   à   s'abstenir  ou  à  cesser  d'exercer  un  droit  qui  lui  résulte  du  présent  code.  

 

Le  présent  article  n'a  pas  pour  effet  d'empêcher  un  employeur  de  suspendre,  congédier  ou  déplacer  un  salarié   pour  une  cause  juste  et  suffisante  dont  la  preuve  lui  incombe  (art  14,  C.t.).  

qui prohibent « l’intimidation, coercition, menaces, promesses ou toutes autres formes d’intervention dans l’exercice des droits des travailleurs » (Banks et al., 2000, p. 84). Du côté américain, le congédiement de travailleurs ayant tenté de former un syndicat dans leur établissement serait la pratique déloyale la plus courante et serait prohibée par la section 8(a)(3) de la NLRA prévoyant aussi la possibilité de réintégrer des employés congédiés avec un versement de rémunération rétroactive ou toute autre forme de dédommagement (Banks et al., 2000). La section 8(a)(1) de la NLRA interdit quant à elle le recours de pratiques déloyales lorsqu’un employé est « engagé dans une activité concertée, notamment une activité syndicale » (Banks et al., 2000, p. 229).

Pour continuer, la surveillance des travailleurs et militants syndicaux semble aussi présente auprès du quart des employeurs canadiens étudiés ayant eu recours à de telles stratégies avec une fréquence d’utilisation de 24 % (Bentham, 2002). Cette surveillance des activités syndicales est aussi considérée comme une pratique déloyale et prohibée autant dans la législation canadienne qu’américaine (section 8(a)(1), NLRA12) (Banks et al., 2000). Par le fait même, une liste noire des militants syndicaux pourrait être constituée, ces derniers pouvant faire l’objet d’une surveillance plus étroite permettant d’identifier des raisons « valables » pour justifier le renvoi du salarié ciblé (Gall, 2004). Pour continuer, l’interrogation des employés par des superviseurs quant au déroulement de la campagne syndicale serait fortement utilisée, avec une fréquence d’utilisation de 64 % des cas étudiés aux États-Unis (Bronfenbrenner, 2009b) et de 43 % des cas étudiés au Québec (Thomason & Pozzebon, 1998). Cette tactique peut prendre la forme d’un questionnement lors d’une conversation informelle, voire amicale, entre un supérieur immédiat et un employé et serait cruciale pour l’identification des militants et des sympathisants syndicaux ou pour la diffusion d’information par l’employeur et de rumeurs sur l’entreprise (Moore, 2004). Ce questionnement des employés quant à leur intention de vote ou leur volonté de participer aux activités syndicales est une pratique déloyale prohibée par la législation québécoise, des autres provinces canadiennes et aussi par la section 8(a)(1) de la NLRA des États-Unis (Banks et al., 2000).

                                                                                                               

12  Section  8(a)(1)  :  It  shall  be  an  unfair  labor  practice  for  an  employer  —  to  interfere  with,  restrain,  or  coerce  

Cette campagne peut aussi se traduire par des discours devant un auditoire captif et des réunions (soit en petits groupes ou individuelles) où des propos antisyndicaux sont tenus. Ces rencontres peuvent permettre de questionner le déroulement de la campagne de syndicalisation, de distribuer de la littérature à caractère antisyndical et même diffuser des vidéos antisyndicaux13. Face à la menace d’une campagne syndicale, environ 58 % des employeurs canadiens étudiés auraient eu recours à la tactique du discours devant l’ensemble des employés (Bentham, 2002; Martinello & Yates, 2002). Ce taux grimpe drastiquement chez nos voisins du sud, où 90% des cas étudiés ont utilisé cette tactique (Bronfenbrenner, 1997, 2009b). Quant aux réunions en petits groupes, la fréquence d’utilisation serait de 47 % des cas canadiens selon l’étude de Thomason et Pozzebon (1998). Des réunions individuelles peuvent aussi être organisées pour instaurer un climat de peur et seraient plus susceptibles d’être utilisées par la haute direction ou par le département des ressources humaines (Moore, 2004). Selon l’étude de Bronfenbrenner (2009b), 60 % des employeurs américains étudiés auraient recours à cette stratégie pour interroger — voire harceler — les travailleurs quant à leurs propension et support vis-à- vis le syndicat. Dans le même ordre d’idée, près de 80 % des superviseurs américains parleraient régulièrement de la campagne syndicale à leurs subordonnés, et ce, de manière individuelle, en mettant l’accent et en laissant planer des menaces de fermeture de l’établissement, des diminutions possibles des salaires et des conditions de travail ainsi que de possibles congédiements (Bronfenbrenner, 2009b).

La distribution de la littérature antisyndicale par l’employeur serait également une stratégie fortement utilisée. Près de 50 % des cas canadiens étudiés ont en effet eu recours à cette tactique, avec une fréquence de distribution sur les lieux du travail de 50 % et une fréquence de distribution à domicile de 46 % (Martinello & Yates, 2002). À titre comparatif, la fréquence de distribution est de l’ordre de 74 % des cas américains étudiés (Bronfenbrenner, 2009b) et 16 % des cas britanniques étudiés (Heery & Simms, 2010). Quant à la diffusion d’une vidéo antisyndicale, la littérature dénote une faible utilisation en sol canadien avec une fréquence de 3 % des cas étudiés (Martinello & Yates, 2002)

                                                                                                               

13  Note  explicative  :  Au  Québec,  ces  tactiques  sont  prohibées  par  l’article  12  du  Code  du  travail  et  des  recours  

comparativement à nos voisins du sud où l’étude de Bronfenbrenner (1997) montre que l’employeur aurait eu recours à cette stratégie dans 58 % des cas étudiés.

Finalement, des menaces ou rumeurs de délocalisation peuvent être propagées dans l’établissement, toujours dans le but d’instaurer un climat de peur et ainsi décourager les employés de supporter les travailleurs désirant créer un syndicat. Cette tactique ferait partie intégrante des campagnes antisyndicales des employeurs américains (Bronfenbrenner, 1996). Le résultat des études des auteurs canadiens sont mitigés quant à la fréquence d’utilisation de cette tactique, passant de 2 % (Bentham, 2002) lorsque les employeurs sont directement interrogés à 24 % (Martinello & Yates, 2002) lorsque des représentants syndicaux des unités ayant obtenu l’accréditation sont sondés. Du côté américain, cette tactique sera bien plus fréquente, avec une utilisation passant de 29 % pour l’année 1987, à 50 % pour 1997 et grimper à 57 % en 2009 (Bronfenbrenner, 1997, 2009b). L’étude de Bronfenbrenner (1996) conclue a ce sujet que 12 % des employeurs auraient mis leurs menaces à exécution en fermant leur établissement à la suite de l’accréditation syndicale de celui-ci.