3. Les cahiers d’expériences
Après avoir recueilli et analysé les points de vue déclarés des apprenants et des
enseignants, nous avons choisi de les croiser à la réalité du terrain. La
consultation des cahiers d‟expériences et d‟observations devrait nous permettre de
cerner les pratiques réelles d‟écriture, au moins pour celles qui s‟effectuent sur le
cahier.
Rappelons que si les textes demandent de recourir à l‟écriture tout au long de la
séance de sciences en alternant des moments d‟écriture seuls, en petits groupes ou
en groupe classe, cette pratique est nouvelle au sein de l‟école. L‟analyse des
cahiers d‟élèves nous permettra d‟évaluer la variété et la teneur des écrits proposés
par le maître.
3.1. De la difficulté à recueillir des données authentiques
Nous nous sommes heurtée pour recueillir des cahiers, aux mêmes difficultés
que celles que nous avons exposées précédemment pour les questionnaires. Nous
pensions, au début de notre travail, profiter d‟un recueil de cahiers d‟expériences
réalisé dans le cadre d‟une recherche menée par un groupe de formateurs
dépendants d‟un IUFM de la région Lorraine. Il s‟est avéré que ce corpus était
très limité et surtout, qu‟il n‟était pas ouvert à la consultation. En effet, les
formateurs ont refusé de nous le confier. Les raisons avancées étaient d‟ordre
déontologique : cela aurait pu être ressenti comme une trahison par les enseignants
qui avaient accepté de confier les productions de leurs élèves pour une recherche
donnée et non une autre.
De nouveau, il nous semble important d‟insister sur ces difficultés à entrer dans
les classes. Il existe bien un réel sentiment d‟insécurité que nous pouvons
d‟ailleurs illustrer également par le fait que les seuls appels téléphoniques reçus au
cours de notre enquête de la part des enseignants contactés portaient non sur une
154
demande d‟informations sur nos travaux en cours mais uniquement sur la
confirmation de l‟anonymat alors que celui-ci avait été assuré dès le début de notre
collecte.
Nous avons sollicité, pour ce recueil de cahiers, les mêmes personnes que pour
les questionnaires et quelques personnes de notre entourage qui sont parents
d‟élèves de primaire.
3.2. Recueil de corpus obtenu
Malgré les difficultés exposées précédemment, le corpus recueilli est
significatif. Il est composé de :
27 cahiers d‟expériences de classes différentes,
75 cahiers d‟expériences de 4 classes complètes.
Les cahiers d‟expériences, nous l‟avons dit précédemment, n‟ont bien entendu
pas été conçus spécialement pour notre recherche. Ils sont le fruit d‟un travail
scolaire sur lequel nous ne sommes pas du tout intervenue. Ils sont donc bien le
reflet de pratiques réelles.
27 exemplaires issus de 27 classes différentes
Les 27 premiers exemplaires qui nous ont été confiés l‟ont été en spécimen
unique, c'est-à-dire qu‟ils sont le choix de l‟enseignant titulaire de la classe, d‟un
conseiller pédagogique ou d‟un intervenant de La Main à la pâte. Ce point est
intéressant car on est en droit de croire qu‟ils montrent ce que ces derniers pensent
être représentatif du cahier d‟expériences. Parfois d‟ailleurs, seuls des extraits
nous ont été donnés. Ils sont, dans ces cas là, ce qu‟ils considèrent être des « écrits
personnels » puisque c‟est ce que nous avons parfois révélé sur notre recherche
lors des prises de contact.
Ce premier corpus se compose donc de :
4 cahiers complets de classes sans étiquette particulière (sep)
4 cahiers complets de classes attachées à un IUFM (annexe)
1 cahier sous forme électronique composé de différentes productions
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2 cahiers complets de 2 classes de régions différentes travaillant avec un
pôle La Main à la pâte (map)
16 extraits de cahiers de classes travaillant avec un pôle La Main à la pâte
(map) contenant parfois 2 ou 3 extraits sur des thèmes différents.
Ces 27 cahiers ou extraits appartenaient au moment où on nous les a confiés à 3
cycles 3 (aucune précision n‟a été apportée), 3 classes pour l‟inclusion scolaire
(CLIS), 3 CE2, 7 CM1 et 11 CM2.
La totalité des cahiers de quatre classes
Le second corpus est composé de 75 cahiers complets que nous avons
empruntés à quatre classes de CM1 venant de trois types d‟école :
- une école annexe dont la classe codée ABLD comporte 26 classeurs
regroupant des documents allant du CM1 au CM2
- une école travaillant avec un pôle de La Main à la pâte dont la classe codée
MAPB comporte 13 classeurs regroupant des documents allant de la
maternelle au CM1 et la classe codée MAPB2 comporte 18 classeurs
regroupant des documents allant du CP au CM1
- une école sans étiquette particulière dont la classe codée BLD CV comporte
18 classeurs regroupant des documents allant du CE1 au CM1.
Nous avions décidé de comparer les classeurs de trois classes issues de 3 types
différents d‟écoles. Le fait que nous ayons deux classes de La main à la pâte
s‟explique par le fait que, devant nos difficultés à recueillir des données -
beaucoup d‟écoles ont catégoriquement refusé de nous prêter des documents
authentiques d‟élèves par crainte d‟incidents qui ne permettraient pas de les rendre
soit en bon état, soit en temps et en heure aux élèves, ce que nous comprenons -
nous n‟avons pas refusé les documents lorsqu‟ils nous ont été confiés en un seul et
unique lot. Ensuite, par honnêteté intellectuelle, nous avons refusé de choisir l‟une
ou l‟autre des classes.
156
Tous ces classeurs nous ont tous été prêtés pendant une période de congés
scolaires et viennent de deux régions différentes : la Lorraine et l‟Aquitaine.
3.3. Les limites de notre corpus
Exemplaires issus de différentes classes
Nous regrettons de ne pas avoir réussi à consulter plus de cahiers de classes
sans étiquette particulière (4 seulement) alors qu‟elles représentent la majorité des
écoles de France. Les exemplaires issus de classes différentes sont majoritairement
constitués de documents venant d‟écoles liées à des pôles de La Main à la pâte (18
sur 27). Sans doute parce que leur rôle est de promouvoir la pratiques des sciences
à l‟école, elles sont les seules à nous avoir facilement livré des extraits. Toutefois,
il est évident que ce qui nous a été confié représente ce que les enseignants, les
conseillers pédagogiques ou autres intervenants de La main à la pâte pensent être
représentatif de ce qui est demandé dans les nouveaux apprentissages en sciences.
Nous ne savons toutefois pas pourquoi seuls certains extraits de quelques élèves
nous ont été confiés. Notre corpus est donc très irrégulier : nous n‟avons parfois
que quelques pages d‟un seul et même élève (le cahier A 13 comprend 16 pages
alors que A14 contient 6 pages) et d‟autre fois, une ou deux pages de plusieurs
élèves (le cahier A27 est constitué de 25 pages de 25 élèves différents). Ces
morceaux choisis, de plus, ont le défaut de ne pas être situés dans leur contexte de
production (moment précis d‟écriture, 1
erjet ou suivant ?). Un seul enseignant a
joint sa fiche de préparation.
Autre problème : pour des raisons évidentes d‟économie, la majorité des
documents donnés sont le plus souvent des photocopies en noir et blanc. Nous
sommes ainsi privée de précieux indices : nous ne voyons pas si des crayons de
couleurs différentes ont été utilisés et si les feuilles sont ou non de couleur.
Ce corpus hétéroclite ne nous permet pas de pouvoir établir des critères fixes et
de conduire une analyse méthodique.
157
Exemplaires issus de 4 mêmes classes
Si nous avons cette fois incontestablement l‟ensemble des classeurs des élèves
d‟une même classe et pouvons certes prétendre à l‟intégralité des productions du
classeur d‟expériences et d‟observations de chacun des élèves, nous sommes
consciente qu‟il est possible que d‟autres productions d‟écrits aient été faites : des
écrits individuels sur des feuilles volantes ou des cahiers de brouillon, des écrits de
groupe sous forme de poster pour permettre de présenter plus facilement les
travaux à l‟ensemble de la classe, des textes destinés à la publication ou à
l‟échange avec d‟autres classes, … Il est donc envisageable que toutes ces traces
écrites ne soient pas conservées dans le cahier d‟expériences et notre recueil de
données ne prétend pas, à ce titre, à l‟exhaustivité des productions écrites des
élèves.
Il nous faut aussi préciser que la consultation des classeurs était limitée dans le
temps, ce qui ne nous a pas permis de photocopier ou scanner l‟ensemble des
données. Nous ne l‟avons fait que pour ce qui nous semblait être des écrits
personnels, c'est-à-dire des écrits qui n‟étaient pas les mêmes pour tous les
classeurs de la classe.
3.4. Les points forts du corpus recueilli
Exemplaires issus de différentes classes
Si certes, comme nous l‟avons précisé précédemment notre corpus est composé
majoritairement de morceaux choisis, il est toutefois le reflet de ce qui peut se
faire en sciences dans différentes écoles de France. Le fait que ce soit
majoritairement des écoles travaillant en lien avec des pôles La Main à la pâte et
donc vraiment investies dans la mise en place de la démarche d‟investigation nous
permet de plus de cerner comment, pourquoi et à quels moments les apprenants
recourent à l‟écriture. Ces écoles, comme le montre la carte ci-dessous, sont
situées dans différentes parties de l‟hexagone.
158
Champagne Ardennes : 9
Bourgogne : 11
Aquitaine : 1
Languedoc-Roussillon : 6
Figure 51 – Nombre des cahiers suivant les régions et les départements
Exemplaires issus de 4 mêmes classes
Nous tenons tout d‟abord à préciser que nous avons dû encore passer beaucoup
de temps à expliquer, rappeler, insister, rassurer les enseignants avant qu‟ils
n‟acceptent de nous confier les classeurs de classes complètes.
Ce corpus a le mérite d‟être, cette fois, sans aucune trace de subjectivité dans le
choix des documents puisqu‟il est composé de la totalité des classeurs des élèves
de la classe. Du fait que les enseignants n‟étaient pas avertis en début d‟année
scolaire de notre enquête, il peut être qualifié d‟authentique car il est le reflet
d‟une année scolaire sur laquelle nous n‟avons nullement interféré.
Au cours de nos lectures, nous n‟avons pas trouvé de recherches comparables à
la nôtre. En recueillant les classeurs de tous les élèves d‟une même classe de trois
types différents d‟écoles, nous cherchons particulièrement à voir quelle part est
donnée aux écrits personnels et quelle forme ils prennent.
159
3.5. Nos choix d’analyse des cahiers d’expériences
Les cahiers d‟expériences peuvent revêtir différentes formes que ce soit au
niveau du support (cahier, carnet, classeur ou pochette), de la taille (petit ou
grand, demi-format ou format supérieur), du mode de classement (chronologique
ou thématique), de l‟organisation (feuilles intégrées ou non, collées ou non, …),
des feuilles (toutes identiques ou non, à lignes ou unies, d‟une seule couleur, de
deux ou de plusieurs), de la reliure (carnet à spirales, classeurs 2 trous ou 4,…).
Toutes ces caractéristiques ne sont pas sans incidence sur l‟activité d‟écriture.
On n‟écrit pas de la même manière sur un carnet à spirale sans ligne que sur une
feuille à carreaux Seyes de classeur ou sur un cahier de travaux pratiques
alternant feuilles quadrillées et feuilles de dessin ou sur un ordinateur. L‟outil
scripteur va aussi impliquer des productions différentes. Le crayon de papier et le
stylo plume autorisent l‟effacement alors que les stylos vont favoriser l‟emploi de
correcteur blanc (si la feuille n‟est pas de couleur). Les feutres et les crayons de
couleurs, pour leur part, peuvent entraîner des ratures. On n‟oublie trop souvent
l‟importance de la dimension matérielle de l‟écriture. Marie-Claude Penloup
(2005) a pointé le goût pour le geste graphique, l‟attrait pour certains outils ou
supports, sans oublier l‟importance des rituels : tailler son crayon, préparer son
stylo-plume,… Toutes ces petites choses indispensables pour entrer dans
l‟écriture souvent peu prises en compte dans les classes élémentaires alors
qu‟elles le sont à la maternelle.
Nous procéderons à des analyses comparatives : nous regarderons la teneur des
écrits d‟un élève au travers de diverses séances ou de plusieurs élèves dans une
seule et même séance.
Exemplaires issus de différentes classes
Afin de voir les objectifs assignés à cet outil, nous décidons de feuilleter chacun
des exemplaires recueillis en essayant de répondre aux questions suivantes :
- Le cahier est-il ou non complet ?
160
- Quel est le support utilisé (format, couleur, …) ?
- Peut-on déterminer les écrits réalisés (rôle et type d‟écrits) ?
- Sont-ils ou non organisés pour permettre de différencier les savoirs des
traces de tâtonnement ?
- Des précisions ont-elles été jointes au cahier ?
- Peut-on trouver des écrits personnels en se basant sur les codes établis par
la classe (code couleur, logo, …), sur l‟énonciation en « je », sur la
longueur des écrits puisque la pensée personnelle ne peut véritablement
se déployer dans des phrases préconstruites où l‟on cherche davantage le
mot ou la phrase attendue qu‟un véritable raisonnement.
L‟ensemble de ces questions devrait nous permettre d‟établir la part des
différents écrits et les objectifs assignés à l‟écriture dans le cadre des sciences
d‟autant que ces extraits sont présumés être représentatifs de ce qui est supposé
attendu.
Exemplaires issus de 4 mêmes classes
Dans un premier temps, nous consultons l‟ensemble en nous intéressant à
l‟organisation (le classement adopté, le choix des outils, des supports,…) puis
nous prélevons des indices nous permettant de classer les documents de façon
chronologique afin de pouvoir les comparer.
Le fait de pouvoir regarder l‟ensemble des classeurs d‟une même classe est
évidemment central pour l‟analyse. En effet, seule la lecture de l‟intégralité des
documents d‟une même classe peut permettre de déterminer le caractère collectif
ou personnel des différents écrits. C‟est en comparant chacun des écrits à
l‟ensemble que nous avons pu voir si les écrits ont été réalisés par quelques élèves
ou produits par un seul. En effet, les indices linguistiques ne sont pas suffisants :
nous avons souvent trouvé des « je » qui étaient des « nous » dissimulés puisque
tous les élèves avaient en fait écrit la même chose. Pour éviter cet écueil, nous
sommes partie du classeur de la classe contenant le plus de documents communs et
nous l‟avons considéré comme notre classeur de référence. Puis, nous avons
161
cherché tous les éléments identiques ou différents contenus dans les autres
classeurs.
Nous avons établi les groupements suivants :
- les écrits et dessins communs à toute la classe, en différenciant les
leçons copiées par l‟élève qu‟elles se présentent sous la forme de synthèse
des savoirs ou de corrigés types, les documents fournis par l‟enseignant
qu‟elles soient des photocopies issues d‟un ouvrage ou des documents
composés par l‟enseignant, les fiches d‟exercices guidés qui se présentent
sous des formes variées : tableaux à double entrée, textes lacunaires,
réponses à des enquêtes, collages, coloriages, mises en lien, réponses à des
questions de compréhension ou résumé de documents.
- les écrits et dessins communs à un groupe d’élèves, en différenciant les
recueils de représentations et ce que nous avons appelé les
« communications de résultats », c'est-à-dire les notes et dessins
d‟hypothèses, d‟expériences, de résultats que diffusent le groupe.
- les écrits et dessins que nous avons qualifiés de personnels avec comme
précédemment, les recueils de représentations, les restitutions demandées
par l‟enseignant, c'est-à-dire les dessins, schémas, écrits faits lors de la
démarche en mettant toutefois séparément les hypothèses très guidées par
l‟enseignant et celles qui relèvent davantage d‟une réflexion personnelle :
les notes prises pour construire la pensée, réfléchir sur la tâche menée,
s‟interroger sur des points restés obscurs dont on ne trouve trace qu‟en
exemplaire unique.
Puisque les classeurs renfermaient des documents des années précédentes,
nous avons comptabilisé les productions par niveau de classe. Nous pouvons ainsi
voir quels types d‟écrits sont favorisés au fur et à mesure de la scolarité. Nous
avons aussi précisé si le classeur appartenait à une fille ou un garçon. Pour une
question de lisibilité et pour pouvoir ensuite établir le profil des classes et les
comparer, nous avons réalisé des tableaux à l‟aide d‟Excel dans lesquels nous
162
avons abrégé certains termes : éé signifie élève, ea correspond à enseignant. Puis,
nous avons calculé les pourcentages d‟écrits de chacun des classeurs par rapport à
l‟ensemble des écrits ce qui nous permet d‟établir une moyenne et de comparer les
trois types d‟école. Nous mettons ci-dessous, en exemple, un tableau récapitulatif
d‟une fille notée D de la classe B de La Main à la pâte :
Figure 52 - Exemple de tableau récapitulatif des documents trouvés dans le cahier d’expériences
Ces catégories et leurs dénominations sont évidemment discutables mais elles ont
pour nous une utilité pratique : elles nous permettent d‟établir une grille
d‟analyse permettant la comparaison des 75 classeurs.
4. Synthèse
Dans cette deuxième partie, nous avons explicité la manière dont nous avons
opéré pour recueillir et exploiter les données à la base de notre analyse.
Dans une première section, nous avons exposé les sélections que nous avons
opérées dans la construction et la diffusion du questionnaire à l‟attention des
CM1 fille MAP B A Maternelle
classe CP classe CE1 classe CE2 classe CM1 classe CM2
Ecrits et Leçons copiées par l'éé 3 3 7 9
dessins Doc. Fournis par l'ea 13 10 0 0
communs à Exercices 12 7 1 1
toute la classe Total 70% 67% 47% 66%
Ecrits et Recueil de représentat° 0 0 0 0
dessins Communication de résultats 0 3 2 4
communs à
un groupe d'élèves Total 0% 10% 12% 27%
Ecrits et Recueil de représentat° 1 2 3 1
dessins Restitution demandée 10 5 4 0
individuels Hypothèses demandées 1 0 0 0
Notes personnelles 0 0 0 0