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Cadre théorique : ethnométhodologie et l’autorité dynamique dans les interactions

Chapitre 4 : Méthodologie

4.1. Cadre théorique : ethnométhodologie et l’autorité dynamique dans les interactions

4.1.1. Définition opératoire de l’objet : les constituantes de l’interaction

politique des femmes

« Il n’y a point de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va », disait Sénèque (63–64). Pour ne pas s’égarer, il faut donc une méthodologie de référence, ce que nous fournit la tradition scientifique, laquelle propose un certain nombre de postulats et de méthodes à définir pour aborder méthodiquement l’objet de toute étude. Ainsi dans le cadre du présent travail, après la partie théorique (revue de la littérature, problématique et cadre théorique), il est maintenant question de se focaliser sur la manière dont nous avons construit nos données afin de rassembler les matériaux de la phase d’analyse. Ainsi, pour cerner les subtilités des rapports à l’autorité des femmes politiques, il s’agira pour nous de nous intéresser à leurs activités au quotidien, d’analyser leurs interactions avec leur environnement afin de relever des marqueurs de l’élaboration de leur pouvoir en termes de légitimité et de coercition.

Dans la phase opératoire de notre travail de terrain, il était question de suivre nos participants avec notre caméra dans leurs activités au quotidien. Il s’agit, entre autres, d’activités de négociations, de règlement de conflits, de rencontres politiques, de mécénat, de cérémonies de parrainages, de réunions d’états généraux. Avec notre caméra,

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nous avons couvert un certain nombre de ces activités dans leur intégralité, ce qui nous a permis de cerner, à travers les interactions des interlocuteurs, les « ressources » de pouvoir (De Munck, 1999) et les stratégies (Cooren, 2013) mises en place par les politiques pour les mobiliser.

D’une manière générale, ces ressources sont de plusieurs types. Les invocations de ces ressources d’autorité dans les interactions, ressources que nous avons appelé « marqueurs d’autorité », ont été au centre de nos analyses. Comme ressources invocables, nous pouvons noter celles qui sont intimement liées à la capacité de celui qui les mobilise (la capacité intellectuelle, le charisme, la prestance, etc.). Il y a aussi les ressources qui découlent du statut de la personne : statut social (famille, ethnie, réseaux sociaux de la personne, capacité de mobilisation, etc.), statut professionnel (expérience professionnelle, niveau scolaire, etc.). En outre, nous avons les ressources que nous pouvons qualifier de second niveau car pouvant provenir de celles déjà citées. Il s’agit notamment de la capacité financière et/ou de l’invocation de sa capacité à faire faire (capacité de donner accès ou de faire profiter, etc.).

Force est de constater que la liste de ces ressources n’est pas exhaustive et que le terrain nous en a rétrospectivement fait découvrir davantage. Mais dans le cadre de ce travail, ce qui nous intéresse le plus est non seulement la manière dont ces ressources sont mobilisées et présentées tout au long des interactions, mais aussi la manière dont les interlocuteurs se positionnent à la suite de la mobilisation (acceptation, alignement, rejet, remise en cause, etc.). En d’autres termes, ce qui nous a intéressé le plus, ce sont les processus de construction et ou de déconstruction de l’autorité dynamique, établie autour des ressources mobilisées dans les échanges. Et pour mieux les comprendre et les décrire,

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nous nous sommes basé sur le déroulement des activités quotidiennes et les enregistrements des entrevues que nous avons eues avec nos participants. Plus généralement, nous avons relevé aussi l’énoncé et la reconnaissance d’actes relevant de la coercition afin de situer ceux-ci dans la composition du pouvoir des femmes politiques à côté de la légitimation par l’autorité.

4.1.2. Une approche ethnométhodologique du pouvoir des femmes

Nous avons choisi une approche d’inspiration ethnométhodologique, une approche qui, nous le pensons, pourra nous « aider à mieux voir les faits qui constituent l’objet de l’enquête » (De singly, 2010, p. 19). L’ethnométhodologie s’intéresse, en effet, aux phénomènes sociaux qui se manifestent à travers les discours et les actions des individus. Pour elle, les faits sociaux sont à considérer comme des accomplissements pratiques (Coulon, 1993 ; Bouchard, 1994; Jules-Rosette, 1997 ; Luze, 1997). Coulon (1993) note ainsi que l’ethnométhodologie « fait l’analyse des façons de faire ordinaires que les acteurs sociaux ordinaires mobilisent afin de réaliser leurs actions ordinaires. » (p. 13). Mieux, elle « est la recherche empirique des méthodes que les individus utilisent pour donner sens et en même temps accomplir leurs actions de tous les jours : communiquer, prendre des décisions, raisonner » (Coulon 1987, p. 26).

Cette approche tente donc de cerner comment se construisent les différents éléments observables d'un phénomène. Et à ce propos, Corcuff (1995) citant Garfinkel (1967) note que : « Les activités ethnométhodologiques visent "les activités quotidiennes en tant que méthodes des membres pour rendre ces activités visiblement-rationnelles-et- rapportables-pour-tous-buts-pratiques, c’est-à-dire descriptibles (accountable) comme organisations des activités ordinaires" » (p. 63). Et Quéré (dans un entretien accordé à

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Georges Lapassade ) de faire remarquer qu’ « elle cherche à analyser le monde social non pas tel qu’il est donné mais tel qu’il est continuellement en train de se faire, en train d’émerger, comme réalité objective, ordonnée, intelligible et familière » (Dans Lecerf et Ardoino, 1997, p. 23).

Notre choix de l’ethnométhodologie se justifie surtout par le fait que nous nous intéressons d’une manière dynamique et processuelle aux phénomènes d’autorité, autrement dit, à l’autorité en train de se faire ou de s’exprimer. Que cela concerne l’autorité institutionnelle de la personne qui l’exprime ou d’autres formes d’autorité qu’elle mobilise dans l’action, nous nous intéressons donc à leur mise en acte en fonction des situations. Cet intérêt pour la (re-)construction de l’autorité dans l’interaction trouve ainsi, selon nous, écho dans l’approche ethnométhodologique à travers la notion d'indexicalité.

Dans les échanges, toute production communicationnelle est, en effet, indexée aux situations locales dans lesquelles elles évoluent. Elle exprime l'idée selon laquelle le sens de toute chose est inhérent à son contexte de production, un contexte qui, selon les ethnométhodologues, se met en scène dans le contenu même de leurs interactions (Cooren, 2013 ; Coulon, 1987). Étant donné que l’objectif de notre étude est, comme on le sait, d’analyser et de mieux comprendre la manière dont les femmes politiques établissent et expriment leur autorité et l’autorité de leurs prises de position, il s’agira également pour nous de partir du caractère rapportable, observable, résumable ou intelligible (accountable) de leurs actions et de celles de leurs interlocuteurs, une accountability que Cooren (2013) n’hésite pas justement à associer à la question de l’autorité. L'accountability est un caractère qui doit s’appliquer à toute pratique faisant

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l’objet d'études ethnométhodologiques (Coulon, 1987 ; Garfinkel, 2007), ce qui veut dire que tout acteur (et tout analyste) doit pouvoir rendre les positions et conduites des interactants accountable à toute fin pratique (Garfinkel, 2007).

Comme le note Cooren (2013), rendre une position ou une action intelligible, résumable, observable ou rapportable, c’est justement exprimer ou traduire ce qui la rend possible, ce qui revient toujours à expliquer ce qui l’autorise, la justifie ou l’explique. Autrement dit, il s’agit, pour une autre prochaine première fois, de mettre en scène ce qui anime ou auteurise l’acteur social et son action. L'accountability d’une réalité sociale, sous-tend donc qu’elle soit donc à la fois réflexive et rationnelle (Quéré, 1984). Réflexive, parce que c’est dans sa mise en acte qu’elle se définit et rationnelle, parce que cette mise en acte suppose des raisons qui sont elles-mêmes autant de sources d’autorité et d’auteurité les rendant intelligibles et accountable.

Ce faisant, l’analyse de conversation nous semble particulièrement intéressante, dans la mesure où elle nous permet de rendre compte des processus de négociations et des interactions, qui s'établissent continuellement entre les femmes politiques, les autres femmes et les différents acteurs de leur environnement. En fait, la mobilisation de cette perspective nous permettra de mieux comprendre comment les femmes politiques arrivent à affirmer leur autorité dans le quotidien de leurs actions et conversations politiques, non seulement pour l’affirmation de soi sur le plan social, mais aussi et peut- être surtout pour la lutte contre toutes les formes de violence et de discrimination à l’endroit des femmes.

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