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Pour mener à bien ma recherche, un cadre d’analyse scientifique adapté à ma question de recherche est nécessaire. Pour rappel, ma question de recherche s’intitule : « En quoi la Tiny House est-elle un instrument stratégique qui permet de changer son mode de vie tout en réduisant les risques associés ? »

En tentant de montrer que la Tiny House est un moyen ou une solution stratégique qui permet de changer son mode de vie, je sous-entends que la Tiny House a un effet sur le mode de vie et donc sur les pratiques quotidiennes. Elle a un pouvoir d’influence. L’objet de Tiny House est donc central. Cet objet, tout comme les éléments dont cet objet est constitué, est aussi important dans mon analyse que les individus qui ont pris l’initiative de construire et de vivre en Tiny House. Cette idée s’inscrit dans les courants des « sciences and technological studies » (STS) (Mélard, 2019). Dans ma question de recherche, je m’intéresse aussi à la manière selon laquelle des individus changent leur mode de vie. Or, un mode de vie est constitué d’un ensemble de pratiques. Changer de mode de vie équivaut donc à changer profondément les pratiques quotidiennes. En cela, les théories de la pratique peuvent être utiles.

Par conséquent, il faut que mon cadre d’analyse combine ces deux approches, les STS et les théories de la pratique. Elizabeth Shove, dans ces deux bouquins, « Comfort, Cleanliness and Convenience » (2003) et « The Dynamics of Social Practice» (Shove et al., 2012) a effectué cette combinaison. Son cadre d’analyse sera présenté. Ensuite, j’expliquerai pourquoi je m’intéresse aux trajectoires des auto-constructeurs de Tiny House. Enfin, le concept d’objet frontière sera présenté. Cette notion va être utilisée dans ma recherche pour montrer la polyvalence de la Tiny House dans les représentations.

3.1) L’approche d’Elizabeth Shove

Shove tente de comprendre comment le changement social s’opère à travers un cadre théorique qui combine différentes approches. Elle complète les théories de la pratique existantes par des éléments des STS et des théories de l’innovation. Les éléments principaux sur lesquels Shove s’appuie sont présentés ci-dessous.

3.1.1) Les pratiques

La définition de la pratique que Shove (Shove et al., 2012) utilise est inspirée de Reckwitz. Les pratiques sont des comportements de type routiniers qu’il ne faut tout de même pas confondre avec les habitudes, car les pratiques existent en blocs, en patterns qui sont composés d’une multitude d’actions uniques et singulières. Ainsi, une pratique

consists of interdependencies between diverse elements including ‘forms of bodily activities, forms of mental activities, « things » and their use, a background knowledge

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in the form of understanding, know-how, states of emotion and motivational knowledge. (Shove et al., 2012, p. 7)

Les pratiques sont donc des entités et à la fois des exécutions, c’est-à-dire qu’elles existent par l’action des individus qui adoptent ces pratiques.

Plus loin, dans son ouvrage « The Dynamics of Social Practices » (Shove et al., 2012), la définition des pratiques est recaractérisée dans le but de construire un modèle plus simple et plus facilement utilisable. Ainsi, les pratiques sont constituées de trois types d’éléments : Le premier type d’éléments sont les objets, les choses, les matériaux, les infrastructures, les outils, le corps, etc. qu’on appellera la matérialité. La deuxième catégorie reprend toutes les choses qui sont liées aux compétences, c’est-à-dire le savoir-faire, les connaissances, les compréhensions, la conscience pratique, etc. Et, enfin, les représentations constituent le troisième type. Elles concernent les activités mentales, les émotions, les motivations, les significations symboliques, etc. Les pratiques sont alors définies par les relations interdépendantes entre la matérialité, les compétences et les représentations. Par conséquent, « practices emerge, persist, and disappear as links between their defining elements are made and broken. » (p. 21) et les trois types d’éléments ne sont pas uniquement interdépendants, ils se transforment mutuellement également.

3.1.2) Les objets et l’action

À travers ce modèle, nous comprenons la place centrale que Shove (Shove et al., 2012) accorde aux objets. « Agencies and competencies are distributed between things and people, and that social relations are ‘congealed’ in the hardware of daily life. » (p. 10) En fait, les objets techniques configurent leurs utilisateurs. Il est donc important de comprendre l’étendue de leurs effets, sans toutefois oublier que les objets sont appropriés activement par leurs utilisateurs (Shove, 2003). En considérant que les pratiques ne sont pas seulement des entités, mais aussi des exécutions, elle pointe du doigt le fait que les pratiques existent grâce à l’action. Les pratiques sont toujours en train de se constituer, comme dans les STS, où la science est toujours en train de se faire (Mélard, 2019). L’attention de Shove (Shove et al., 2012) porte donc essentiellement sur l’évolution des pratiques en tant que telles, et les individus adeptes de ces pratiques sont alors considérés comme des hôtes, des transporteurs de pratiques. Les pratiques sont évolutives, elles se transforment à chaque exécution.

3.1.3) L’innovation

Puisque les pratiques sont changeantes et en perpétuelle redéfinition, l’innovation dans la pratique est un processus continu. Par conséquent, Shove (Shove et al., 2012) va aussi puiser dans les théories de l’innovation et plus précisément dans la « multi-level-perspective » (MLP). Cette approche met en évidence les processus de coévolution et les interactions entre différents « domaines ». Les transitions sont vues comme des processus qui résultent de l’influence d’une multitude de développements. Le cadre théorique est construit sur trois niveaux analytiques : les niches, les régimes socio-techniques et les paysages. Les niches étant le niveau micro. (Geels & Kemp, 2012)

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La MLP permet de mettre en évidence les coévolutions présentes dans la société et des mécanismes de verrouillage, comme la dépendance au sentier. Ainsi, le changement ou/et le non-changement sont conceptualisés (Shove et al., 2012 : p. 12). Cependant, la MLP ne s’intéresse pas aux pratiques des acteurs (Shove, 2003) et l’approche de Shove diffère sur deux points : Contrairement à la MLP, l’attention est aussi portée sur les relations diachroniques et pas seulement synchroniques. En tentant de comprendre les coévolutions, la MLP se concentre essentiellement sur ce qui change simultanément. Dans l’action, les éléments sont reconfigurés et le changement ne se fait pas toujours en parallèle avec des changements d’un autre niveau. Deuxièmement, la stabilisation n’est pas automatiquement le résultat final du changement, comme le laisse penser la MLP. Les pratiques ne sont stabilisées que provisoirement, si elles le sont (Shove et al., 2012: p. 13).

3.1.4) Les hypothèses sous-jacentes

Par cette approche, il est donc possible de dépasser le clivage entre une approche plus macro et une approche plus micro. On s’intéresse au quotidien des gens, mais aussi au changement à grande échelle. En effet, leur position théorique se situe entre l’individualisme et le holisme et se trouve dans la lignée des idées de Giddens : « Human activity and the social structures which shape it are recursively related. That is, activities are shaped and enabled by structures of rules and meanings, and these structures are, at the same time, reproduced in the flow of human action. » (as cited in Shove et al., 2012 : p. 2-3)

3.2) L’intérêt pour les trajectoires

Dans ma question de recherche, il s’agit de moyens, de solutions, de stratégies et de risques. Or, ce sont les individus eux-mêmes qui définissent ce qu’est une bonne stratégie ou pas. Ce sont eux qui perçoivent les risques et qui tentent de les minimiser. Et, ce sont eux qui trouvent des solutions et des moyens. Il est donc important de bien comprendre le pourquoi du comment de leurs choix et de leurs actions. C’est pour cette raison que je m’intéresse donc aux trajectoires des acteurs en question et à la phase de construction de la Tiny House, le moment où leur projet et les choix posés sont rendus concrets. Il faut comprendre leur parcours pour comprendre en quoi la Tiny House est un instrument stratégique face à des contraintes.

3.3) Les objets frontières

Pour montrer le rôle de la Tiny House dans le changement de mode de vie, il est important de comprendre ce que cet objet représente. Pour ce faire, la notion d’objet frontière peut nous être utile.

Un objet frontière est un objet dont la définition varie en fonction du monde social dans lequel il se trouve et, par son ambiguïté, il provoque une meilleure communication entre ces différents mondes (Parker & Crona, 2012). Parker et Crona (2012) le définissent ainsi : « Boundary objects are objects […] that allow members of different communities to interact and coordinate their practices despite sometimes divergent perceptions of the object. » (p.264) « They have different meanings in different

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social worlds but their structure is common enough to more than one world to make them recognizable, a means of translation. » (Star & Griesemer, 1989, p. 393) Les objets frontières peuvent maximiser l’autonomie et la communication entre les mondes, car ils sont simultanément concrets et abstraits, spécifiques et généraux, conventionnalisés et arrangés (Star & Griesemer, 1989). Ils sont hétérogènes de l’intérieur. Les objets frontières satisfont plus d’un intérêt et la représentation de cet objet ne fait donc pas consensus (Star & Griesemer, 1989 : p. 408).

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