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Bref aperçu de l’état de l’art des connaissances sur les processus à l’origine des crues

Du fait de l’enjeu constitué par la prévision des crues éclair, et plus particulièrement dans le contexte du changement climatique qui tend à amplifier les phénomènes [Llasat et al., 2014; Col-met Daage et al., 2016], les dix dernières années ont été marquées par une activité de recherche dyna-mique dans le domaine. On dénombre pas moins de 4 projets d’envergure nationale ou européenne portant en partie ou totalement sur la connaissance de ces crues.

Le projet EXTRAFLO (2009-2013, Lang et al. [2014]) a visé l’estimation des précipitations et crues extrêmes des bassins versants français via l’inter-comparaison de résultats de différents modèles sur un jeu conséquent de données.

Le projet HYMEX (2010-2020, Drobinski et al. [2014]) s’intéresse au cycle météorologique à l’échelle de la Méditerranée. L’objectif est d’améliorer la compréhension du cycle de l’eau en mettant l’accent sur les événements extrêmes. Des campagnes de mesures sur des périodes et régions cibles sont ef-fectuées et des modèles régionaux couplés (sol atmosphère océan) sont comparés afin d’améliorer la compréhension du climat méditerranéen.

Le projet HYDRATE (2006-2010, Gaume and Borga [2013]) a permis la mise en place d’une banque de données européenne exhaustive d’événements de crue éclair, ainsi que l’élaboration d’une métho-dologie de référence pour l’observation post-crue des événements. En outre, l’analyse de la banque de données créée, a permis une meilleure évaluation des ordres de grandeur des écoulements de surface, rendant possible une critique éclairée des éventuelles nouvelles observations.

Le projet FLOODSCALE (2012-2016, Braud et al. [2014]) a visé la meilleure compréhension des processus hydrologiques conduisant aux crues éclair. A travers des observations de terrain

multi-échelles, du versant au bassin versant de 100 km2, le projet a questionné le rôle des propriétés du sol

et du sous-sol (occupation du sol, pédologie, géologie, profondeur, humidité ...) dans la mise en place des processus d’écoulement lors des crues éclair.

Cette liste non exhaustive de travaux a permis de récentes avancées dans la compréhension des crues éclair et a notamment mis en évidence les principaux facteurs d’influence sur leur formation, présentés ci-après.

1.3.1 De l’importance des caractéristiques des précipitations

Les crues éclair sont avant tout liées à un forçage météorologique extrême. La figure 1.2 réper-torie les événements de précipitation aux cumuls dépassant 150 mm sur la période 1967-2006. On remarque, sans surprise, la correspondance spatiale avec les occurrences de crues éclair dans le

sud-FIGURE1.2 – Localisation du maximum de précipitations sur le sud-est de la France pour les jours pluvieux dont le cumul quotidien de précipitations a atteint au moins 150 mm pour la période 1967-2006. [Boudevillain et al., 2009]

est de la France (figure 1.1). Les réponses hydrologiques sont influencées par les propriétés spatio-temporelles des pluies rencontrées. Derrière le terme "crue éclair" ou encore "crue cévenole", se cachent en effet différentes typologies d’épisodes pluvieux [Boudevillain et al., 2009]. On peut citer en exemple 2 crues éclair reflétant cette variabilité :

— à la date du 10 et 11 octobre 2011, le Roussillon a été touché par un épisode cumulant jusqu’à 250 mm de précipitation. Les intensités relevées sont modérées puisque l’événement s’étale sur 2 journées. Cependant cet événement dénote par son amplitude globale et son extension

spatiale très grande, de l’ordre de 2500 km2. Les principaux bassins versants de l’Aude et des

Pyrénées Orientales (bassins de l’Agly, de la Salz, de l’Orbieu et du Verdouble, localisés figure 2.1, chapitre 2) présentent des réponses soutenues avec des débits de pointe spécifiques allant

de 0.5 m3.km−2.s−1 pour les bassins d’une superficie supérieure à 500 km2, à 2.0 m3.km−2.s−1

pour les bassins d’une superficie de l’ordre de la centaine de km2.

— le dernier épisode de crue éclair en date correspond à un épisode orageux de courte durée mais d’extrême intensité, survenu dans les Alpes Maritimes le 3 octobre 2015. Aux abords du littoral, une ligne orageuse s’est développée générant un cumul de précipitations fortement localisé (la

zone affectée est de l’ordre de 350 km2), atteignant 156 et 175 mm en 2 heures d’après les relevés

de deux stations météorologiques (source : Météo-France). Ces cumuls importants, arrivant sur un sol déjà humide et fortement urbanisé, provoquent rapidement le débordement des fleuves

côtiers. Notamment, sur le Reyran à Fréjus (71 km2), un débit spécifique de 3.4 m3.km−2.s−1est

atteint en l’espace de 3 heures (source : HydroFrance).

L’étude comparée des représentations du forçage climatique pour la reproduction de plusieurs événements de crue éclair a permis de relever les facteurs communs d’influence de ces différents types de pluies. Notamment, la variabilité spatiale des précipitations apparaît comme un critère d’im-portance [Arnaud et al., 1999]. Lobligeois [2014] montre, par une étude comparée de modélisations hydrologiques intégrant ou non la spatialisation des précipitations, la sensibilité spécifique des bas-sins cévenols et plus largement de la région méditerranéenne à la répartition spatiale des précipita-tions. Sangati et al. [2009] étudient la modélisation de 3 crues éclair observées sur un bassin versant

du nord-est de l’Italie (Bassin de la Sesia, 983 km2). En comparant les réponses hydrologiques

modé-lisées à partir de forçages climatiques différant par leur niveau d’agrégation, ils montrent l’influence

de la représentation spatiale des précipitations, dès que la superficie concernée dépasse 250 km2. De

la prise en compte de la spatialisation dans la modélisation de crues éclair sur des bassins roumains

de superficies variant entre 37 km2et 160 km2.

Ainsi, au-delà des cumuls globaux importants, le caractère concentré et localisé des précipita-tions sur une superficie limitée du bassin versant apparaît comme un élément majeur de la forma-tion d’écoulements rapides. En préliminaire à cette thèse, une méthode de prévision des crues éclair, à visée opérationnelle, a été mise au point en se basant sur ce constat [Douinot et al., 2016b]. Il s’agit d’une adaption de la méthode Flash Flood Guidance (FFG, [Mogil et al., 1978]) prenant explicitement en compte la variabilité spatiale des précipitations incidentes. Les résultats montrent que, pour les événements extrêmes, la méthode FFG classique sur-estime les intensités de précipitation requises pour atteindre un seuil de débit donné. La prise en compte de la localisation des précipitations amé-liore de façon générale la prévision de ces intensités. Les résultats obtenus montrent également l’im-portance d’autres facteurs influençant les performances de la méthode, en particulier les propriétés du sol (cf. annexe A).

1.3.2 De l’importance de la dynamique de saturation des sols

D’autres études se sont intéressées à la dynamique de saturation des sols. Plusieurs publications ont confirmé l’influence globale des antécédents d’humidité des sols sur les amplitudes de crues dites à cinétique rapide [Mateo Lázaro et al., 2014; Hegedüs et al., 2013; Cassardo et al., 2002]. Dans le cadre de la prévision des crues, Marchandise and Viel [2009] ont montré la valeur ajoutée de la prise en compte d’un indice d’humidité pour estimer le niveau de vigilance. Raynaud et al. [2015], quant à eux, améliorent le système de prévision des crues éclair européen (système EPIC pour European Precipitation Index based on Climatology devenue ERIC pour European Runoff Index based on Cli-matology), en considérant la teneur en eau des sols.

Plusieurs études ciblées sur l’événement catastrophique du 8-9 septembre 2002, au cours duquel des cumuls de précipitations de plus de 500 mm furent relevés sur le Gard et l’Ardèche, ont fait état, en employant différentes méthodes, de l’importance de la distribution spatiale des propriétés de sol [Anquetin et al., 2010] ou des antécédents d’humidité [Le Lay and Saulnier, 2007], à l’échelle de

bas-sins versants de une à plusieurs centaines de km2. En d’autres termes, l’organisation spatiale de la

capacité de stockage des bassins versants apparaît à cette échelle comme influençant directement la génération des écoulements. [Anquetin et al., 2010] soulignent même une importance équivalente à celle de la variabilité spatiale des pluies.

L’influence combinée de la distribution spatiale des précipitations et des capacités du stockage du bassin versant reflète une réaction hydrologique rapide de quelques zones localisées du bassin versant par saturation du réservoir. Elle suggère ainsi peu de ruissellement direct "hortonien" [Gaume and Borga, 2013], mais plutôt la mise en place ou bien de ruissellement par excès de saturation du sol, ou bien de flux latéraux dans le sol, par activation de chemins préférentiels. La dynamique de saturation des sols apparaît ainsi de première importance pour les bassins versants d’une superficie

allant jusqu’à quelques centaines de km2[Laganier et al., 2014].

1.3.3 De l’importance du substratum des bassins versants

Un dernier point important concerne l’hétérogénéité des réactions hydrologiques des bassins versants. Par plusieurs moyens, il a été observé des sensibilités différentes entre bassins versants en corrélation avec leur nature géologique.

Analysant l’événement du 15 juin 2010 sur le département du Var (figure 1.3), [Payrastre et al., 2012] ont étudié les ordres de grandeur des débits de pointe des bassins versants concernés par l’épi-sode pluvieux. Les distinctions entre bassins versants ne sont pas directement corrélées avec les cu-muls de précipitations respectifs, mais semblent liées à la nature géologique (figure 1.3). La Narturby, située sur une formation karstique, est fortement affectée par les précipitations et montre pourtant une réponse hydrologique relativement atténuée. A l’inverse, le bassin versant de l’Aille et de ses af-fluents, reposant sur le massif des Maures (roche métamorphique), moins exposé aux précipitations, présente en comparaison des débits de pointe significatifs.

FIGURE1.3 – Carte synthétique présentant la pluviométrie cumulée sur le Var pour l’événement du 15 juin 2010 à 00H00 TU au 16 juin à 12h00 TU (source : lame d’eau Panthere Météo-France), ainsi que les estimations de débits de pointe issues de l’enquête Hymex, et exprimées en débit spécifique (m3.s−1.km2) [Payrastre et al., 2012]

Étudiant le comportement hydrologique des bassins versants des Cévennes et du Mont Vivarais, Vannier [2013] montre l’influence de la géologie en ce que la colonne de sol pédologique ne permet tous simplement pas de stocker l’eau infiltrée pendant les forts épisodes pluvieux. A partir d’analyse des séries hydrométriques, il distingue les fonctionnements hydrologiques des bassins versants gra-nitiques, sédimentaires ou schisteux par leur capacité de stockage et leur conductivité hydraulique à saturation estimées.

Enfin, étudiant la régionalisation d’un modèle hydrologique dédié à la simulation des crues éclair et pour lequel des paramètres physiques sont à adapter aux bassins versants, Garambois et al. [2012] détectent notamment l’influence de la géologie sur la définition de la capacité de stockage de chaque bassin versant. Les bassins versants sédimentaires semblent être caractérisés par un stockage moindre en profondeur par rapport aux bassins versants métamorphiques.

fonctionne-ment hydrogéologique des bassins versants et ce, même si l’échelle temporelle des événefonctionne-ments est courte. Cela renvoie à l’importance de la dynamique de la saturation du sol ou plus exactement de l’ensemble sol + substratum altéré, dans la génération des écoulements rapides.

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