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3 « Portraits sensibles » par les acteurs de leur territoire

3.5 Le Bourg d’Oisans en coup de vent

En s’enfonçant dans l’Oisans, après Séchilienne, par l’étroite vallée de la Romanche, on arrive à la vallée du Bourg d’Oisans au fond très plat et large de 2 km. L’eau de la Ro- manche a été endiguée, et la vocation première de cette val- lée était l’agriculture, irriguée par celle-ci. Le Bourg d’Oisans constitue un carrefour vers d’autres vallées de haute mon- tagne et porte d’entrée vers les stations dont l’Alpe d’Huez. Les montagnes sombres et abruptes qui l’entourent donnent à voir d’impressionnants plis géologiques (fig. 18). Le Bourg compte environ 3000 habitants, et pour cerner au mieux ce territoire, j’ai tenu à interroger des personnes vivant aussi dans des communes perchées sur les hauteurs alentours et travail- lant au Bourg ou en lien, afin de caractériser leurs rapports.

C’est « une plaine au cœur des hautes montagnes très minérales. C’est le carrefour, la ville principale, le cœur du ter- ritoire. On y passe forcément. Là où il y a le plus de com- merces, d’administrations. En hiver, il y a l’activité en station, qui le rend très passant, en été le vélo. ». Le maire du Bourg d’Oisans donne ainsi sa perception du territoire : « Pour cer- tains, les montagnes sont oppressantes. Pour moi, c’est un cocon, un espace limité avec plein de choses. De la plaine à la montagne, pas trop élevée, ce qui permet d’atteindre toutes

les activités. Le Bourg n’a pas de grand code identitaire malheureusement. Il est au pied des grands cols, de l’Alpe d’Huez. Et on peut y trouver tout ce qu’on veut. ». En effet, j’ai parcouru cette ville éton- nante au style architectural assez austère, des maisons hautes et plutôt étroites au crépi gris (ou grisé par le temps), mais Bourg d’Oisans m’a semblé très dynamique au premier abord. Des rues piétonnes au revêtement récemment fait, des boutiques touristiques et des tablées de cyclistes néerlandais. Tou- tefois, si on y regarde de plus près, de nombreux commerces sont à vendre. « Je n’aime pas le cœur du Bourg. L’ambiance est triste l’hiver. C’est la période creuse alors que les gens sont dans les stations.

Figure 18. Un béal du Bourg d’Oisans, 26.05.2016, I. Hubert

Avant, ça vivait hiver et été. Les commerces deviennent presque saisonniers. Au Bourg d’Oisans, les commerces ferment (on en a compté 25 fermés ou à vendre). L’activité, la vie sont de moins en moins importantes. » selon une employée de l’office du tourisme. C’est « Un territoire tiré par le ski. J’ai une vraie inquiétude. On est basé sur une mono-industrie touristique. Or le tout-ski n’est pas la solution. Mais comment basculer sur autre chose ? », reconnaît le maire. « On a peur que ça devienne une friche touristique. Dans les grandes stations, le jour où il n’y a plus de neige, qu’est-ce que ça devient ? Et Bourg d’Oisans par conséquent ? Tout tourne autour du tourisme. » Le Bourg d’Oisans est donc très dépendant de ce qu’il s’y passe autour.

L’agriculture est un point délicat soulevé à plusieurs reprises, car la déprise est très importante. De nombreux acteurs m’en ont parlé. Le regard des personnes liées au tourisme est celui d’un potentiel de valorisation qui serait gâché. « En montagne il y a les alpages surtout, c’est l’image qu’on en a, mais pas ici. Ici c’est moins développé, il y a des essais de mise en valeur mais l’identité n’est pas très mar- quée. Pourtant les gens apprécient beaucoup de retourner aux bases (les locaux ou les touristes). ». Une agricultrice à Ornon, petit village de montagne, explique que « notre activité est une petite action sur le paysage même s’il y a une pression, mais ça va trop vite. Ici on peut être asphyxié, c’est oppres- sant autant de verdure. Ce n’est pas une anthropisation mais l’inverse. La fermeture des paysages est un point de blocage car l’accès au foncier est déterminant. On ne peut pas imposer. Il y a de toutes petites parcelles dues aux héritages. Nous, les agriculteurs, on n’existe quasi plus. L’agriculture, à part l’affichage… On est des produits touristiques mais derrière il n’y a pas d’actions. On n’a pas du tout de maraîchage, seulement de l’élevage.. Le maraîchage fait appel à du foncier ». Or les terrains construc- tibles sont limitées du fait de zones inondables, et la pression foncière est très élevée.

Concernant la population, on me dit qu’elle est « assez mixte d’un point de vue des ressources. Confortable plus on monte dans les stations. Ici, il y a aussi des gens dans le besoin. Le Bourg concentre les « pauvres des stations ». Là où il y a de la neige, il y a des gens qui ont des sous. Au Bourg ce sont des gens moins fortunés que là-haut. ». Au Bourg d’Oisans, j’ai entendu quelques critiques concernant l’accueil des arrivants, ce qui n’est pourtant pas un phénomène nouveau avec le tourisme et le barrage EDF de Chambon : « C’est délicat de s’intégrer. Ils sont entre eux. Au début c’est plus difficile mais après c’est plutôt chaleureux. En ce qui concerne la mentalité, ça va prendre du temps. Les habitants pur souche sont beaucoup des chasseurs, il n’y a pas de parité homme femme. On va y venir… Ça va avec une génération. Mais même certains jeunes parents sont encore dans cette mentalité. ». Les habitants des petits villages avoisinants ont évité le Bourg d’Oisans qu’ils jugeaient trop urbain, en fond de vallée et impersonnel. Ces villages sont de deux types : soit ils concentrent des jeunes familles dynamiques, un fort tissu associatif « A Ornon il y a de la vitalité, une vie culturelle, des choses qui s’y passent. Le contexte économique n’est pas morose. », une expansion urbaine relativement limitée (si les familles qui s’y installent peuvent se permettre de rénover l’existant) « On a des risques d’avalanche, de glisse- ments de terrain et la loi Montagne qui font que peu de parcelles sont constructibles. ». D’autres sont des villages où il n’y a presque que des résidences secondaires : « Il n’y a pas de vie sur le village du haut, c’est un village « Club Med ». L’argent ne va pas au même endroit, ils ont des belles routes, des fleurs, une station d’épuration disproportionnée qui fonctionne pour 15 personnes en saison. », « ça ne bougera pas beaucoup. Des gens bien comme ils sont, qui ne veulent pas que ça change. On y est bien, dans la nature, au calme, on prend soin de ça. ». Mais ces communes sont menacées par la désertification. J’y vois là un schéma à petite échelle concentrant les mêmes problématiques que de nombreux endroits dans les Alpes, voire le cas de Grenoble et ses massifs avoisinants.

Le PADD du Bourg d’Oisans de 2014 est d’abord axé sur le logement, puis traite des commerces et de l’agriculture : je m’attarderai sur ces deux derniers. Les besoins sont clairement identifiés mais les moyens de mise en œuvre des mesures me semblent légers. Un « règlement facilitant la présence » des commerces de proximité serait mis en place. Un zonage serait fait pour classer en zone agricole, et l’établissement d’exploitations encouragé par « un périmètre de 100 m inconstructible autour des bâtiments d’élevage et une existence et un accès facilités pour des parcelles en prairie à proximité des

élevages en les rendant non constructibles. ». Enfin, concernant l’attractivité du Bourg d’Oisans dans un contexte plus global, le PADD donne une orientation « définir un pôle « cycle » à l’échelle de l’Arc alpin » qui reste floue à mes yeux. Les habitants ont pointé des enjeux qui pourraient venir l’enrichir.