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Des boucles de rétroaction négatives lors de la déglaciation

l’évolution des flux sédimentaires ?

5. Des boucles de rétroaction négatives lors de la déglaciation

Nous abordons ici la déglaciation à une échelle spatiale fine, qui permet de mobiliser les facteurs lo- caux que nous avons mis en évidence dans l’explication du niveau actuel des LEG et de l’AGI. Il s’agit à présent de voir comment ces facteurs peuvent moduler le comportement des glaciers et comment ils peuvent être à l’origine de boucles de rétroaction négatives dans l’évolution de l’englacement. Plus par- ticulièrement, nous explorerons l’influence de la morphométrie des cirques glaciaires puis celle de la couverture de débris des glaciers.

a) Le rôle de la morphométrie des cirques glaciaires

L'influence de la lithologie et de la topographie environnant un glacier sur le niveau de sa LEG a déjà été mise en évidence. Nous avons évoqué, à plusieurs reprises, que les glaciers situés dans les cirques concaves présentent des conditions favorables à la préservation de la glace (piégeage des masses d'air froid) et à son accumulation (convergence des flux avalancheux). Par conséquent, les glaciers de cirque, bien confinés au pied des parois, bénéficient pleinement de cet effet local et apparaissent moins direc- tement influencés par la trame climatique régionale (Dyurgerov et al., 1994 ; Dyurgerov, 2003 ; Cossart, 2005, 2011). En effet, dans le contexte du réchauffement climatique post-PAG, l’élévation de la LEG a été de l’ordre de +100 à +150 mètres dans le cas de glaciers de cirque du massif des Ecrins, contre +200 à +250 mètres dans le cas de glaciers en langue du même secteur. Plus précisément, dans le cas de ces derniers, nous avons mis en exergue le fait qu’ils ont généralement subi une élévation importante de la LEG, avant de finalement devenir des glaciers de cirque. Dès lors, l’évolution devient ralentie à me- sure que croît l’influence du cirque glaciaire sur leur comportement (Kaiming et al., 2011 ; Cossart, 2013). De fait, une véritable rétroaction négative se met en place lors du retrait d'un glacier : celui-ci se cantonne progressivement aux pieds de paroi, de telle sorte que la majeure partie de leur surface appar- tient au « piège à air froid » que constitue le fond du cirque, ou à une zone de dépôt d’avalanches. L'importance relative de l'approvisionnement en neige par les avalanches augmente alors. En conclu- sion, le rythme d’élévation de la LEG ralentit à mesure que les glaciers sont progressivement enfermés dans un cirque (fig. 106 et 107).

Figure 106 : Boucles de rétroaction né- gative affectant un glacier en cours de recul.

Trois régulateurs (diminution de la radiation so- laire, piégeage des masses d’air froid, alimenta- tion avalancheuse) ralentissent l’élévation de la LEG au cours du retrait glaciaire. Modifié d’après Cossart (2013).

Figure 107 : Le glacier de Freydane (Grand Pic de Belledonne).

Situé en pied de paroi, à une altitude de l’ordre de 2560 mètres d’altitude, ce glacier n’a subi une hausse de la LEG «que » de l’ordre de 100 mètres depuis le PAG. On notera la présence de la moraine du PAG à 2450 mètres d’altitude. Bien calé dans le fond du cirque, celui-ci est dorénavant entièrement en position ombragée, et sa surface est en- tièrement recouverte par les dépôts des ava- lanches.

En appliquant ce modèle aux Alpes françaises depuis le PAG, sans doute pouvons-nous expliquer pour partie les LEG très basses dans les secteurs de Belledonne - Grandes Rousses et dans les régions méridionales, qui englobaient exclusivement des glaciers de cirque pendant le PAG. En comparaison avec d'autres régions, où les langues glaciaires ont été touchées par des hausses marquées de la LEG, les glaciers de cirque ont maintenu des LEG relativement basses.

b) Des glaciers blancs aux glaciers noirs ?

Le retrait des glaciers et leur confinement progressif dans les cirques ne les placent pas uniquement au cœur de l’activité avalancheuse, source de neige. Ils mettent également le glacier au cœur de la mobilisa- tion sédimentaire paraglaciaire. En effet, au plus près des parois rocheuses, le glacier reçoit les débris fournis par ces dernières, par gravité pure, éventuellement assistée par les avalanches. Ensuite, l’abaissement de la surface du glacier, concomitamment au retrait glaciaire, met à jour de nouvelles sources sédimentaires sur les marges latérales : leur mobilisation (ravinement, mouvements de masse,

etc.) augmente la charge en débris du glacier situé en contrebas. Cet apport de sédiments peut faire évo-

luer un glacier blanc en glacier noir, couvert, dont on sait que l’inertie face aux forçages climatiques est plus importante. De nombreux auteurs ont montré que, toutes choses égales par ailleurs, une couver- ture de débris pouvait impliquer un niveau de la LEG inférieur de 50 à 100 mètres sous le niveau de la LEG des glaciers blancs. Cette tendance se ressent sur la trajectoire évolutive des glaciers, largement freinée dans le cas des glaciers couverts. En reprenant des données bien connues dans le massif des Ecrins, il est ainsi possible de mettre en regard l’élévation de la LEG qui était attendue par une modéli- sation et celle qui fut réellement observée (fig. 108). Confirmant ce qui a été formalisé en Vanoise (Guillet & Deline, 2006), l’étude menée dans le massif des Ecrins sur plus de 35 glaciers indique que le changement d’état des glaciers peut expliquer les derniers résidus en terme de niveau de la LEG.

Figure 108 : Mise en évidence du comportement atypique des glaciers couverts depuis le PAG, dans le mas- sif des Ecrins.

Pour chaque glacier du massif des Ecrins sont mises en regard les différences d’altitude de la LEG depuis le PAG réelles (en abscisses) et modélisées (en ordonnées). Les tirets fins représentent la droite d’égalité, suivant laquelle observations et modélisations sont de même niveau. Les tirets gras représentent la droite de régression, décalée de la précédente, indi- quant que les modélisations renvoient des valeurs inférieures aux observations directes. Des déviations majeures à ce schéma appa- raissent cependant dans le cas des glaciers couverts (Sélé, Glacier Noir, Girose, Com- beynot, etc.), qui apparaissent dans le qua- drant haut-gauche, c’est-à-dire avec une élé- vation réelle de la LEG bien inférieure (de 50 à 100 mètres) à ce que laisserait présager les modèles.