CHAPITRE II L’atome de fer dans tous ses états
II. 2. L’ion de fer et son environnement
II.2.4. Blocage du moment cinétique orbital
Une des conséquences importantes du champ cristallin est de bloquer ou quencher le moment cinétique orbital d'un ion métallique lorsque ce dernier est engagé au sein d'un complexe. En effet, un électron sur son orbite est en mouvement et crée donc en tout point un champ magnétique dont l'amplitude – pourtant très importante – n'est pas observée expérimentalement. L'incorporation d'un ion libre dans un champ cristallin induit une réduction apparente de son moment orbital et empêche les électrons de l'ion de se déplacer – ces derniers ressentant très fortement le potentiel des atomes voisins. Ce phénomène est nommé blocage ou quenching du moment orbital. Ce blocage peut être plus ou moins fort et les éléments diagonaux de l'opérateur moment orbital dans l'état fondamental deviennent plus ou moins faibles sans forcément être nuls. L'effet apparaît comme total à partir du moment où le champ cristallin ne laisse subsister qu'un singulet orbital comme niveau fondamental de l'ion. Dès lors, les propriétés magnétiques que nous étudierons dans la suite de ce manuscrit seront notamment le fruit d'effets liés à la dégénérescence de spin.
Intéressons-nous maintenant au cas spécifique de l'ion de fer :
Ion ferrique Fe3+
La dégénérescence orbitale de cet ion étant nulle, il n'est pas concerné par le phénomène présenté ci-dessus puisqu'il ne possède pas de moment cinétique orbital – les cinq électrons de l'ion occupant toutes les orbitales constituant les niveaux e et t2.
Ion ferreux Fe2+
En symétrie tétraédrique, le niveau fondamental de l'ion est doublement dégénéré puisque le sixième électron d occupe le niveau e.
d
z2,d
x2-y2Fe
2+(e
g
)
3(t
2g)
3d
xy,d
xz,d
yz(4/9)∆
0Chapitre II L’atome de Fer dans tous ses états 59
On peut visualiser le moment angulaire orbital autour d'un axe comme résultant de la possibilité de faire tourner une orbitale autour ce même axe pour en obtenir une autre qui lui est énergétiquement dégénérée.
Il est aisé de montrer que, pour l'ensemble d'orbitales { 2
z d , 2 y 2 x d − } constituant ce niveau,
il n'existe aucun élément de symétrie du groupe Td permettant d'obtenir une orbitale dz2 à
partir d'une orbitale dx2−y2 et inversement. Il est donc impossible pour le sixième électron
d de ce niveau de circuler librement entre ces deux orbitales. En termes d'opérateur, cela signifie donc que l'ensemble { 2
z d , 2 y 2 x d − } ne possède aucun
élément de matrice non nul avec l'opérateur de moment cinétique Lˆi [16] :
d Lˆ d 2 0 i x,y,z y 2 x i 2 z − = avec = (2.24)
Le moment cinétique de l'ion ferreux en symétrie tétraédrique est dit "bloqué" au fondamental malgré la dégénérescence.
Considérons maintenant un ion ferreux environné de quatre ligands soufrés : on traite alors le cas où une faible distorsion est exercée sur le tétraèdre régulier menant ainsi à une symétrie de type D4h. Dans cette situation, le moment orbital de l'ion Fe2+est bloqué
comme en symétrie tétraédrique parfaite car le niveau e reste quasi-dégénéré et constitué des orbitales {dz2, dx2−y2 }.
Ion ferryl Fe4+
Avant tout, il nous faut préciser que l'observation expérimentale de cet ion montre que celui-ci admet un état de spin total S = 1. Plaçons-nous dans le cas d'un champ de ligand octaédrique subissant une distorsion géométrique. Nous avons la configuration suivante où le niveau fondamental est de type b2g (voir figure 2.14) :
t
2ge
g∆
0z
y
x
d
x2-y2d
z2d
xz,d
yzd
xyFe
4+(b
2g)
2(e
g)
260 Chapitre II L’atome de Fer dans tous ses états
Dans le cas du complexe [(NH3)5FeIVO]2+ présenté en figure 2.16, le moment orbital de
l'ion ferryl est bloqué. En effet, concernant le quatrième électron d de cette configuration, celui-ci reste bloqué au sein de l'orbitale d qui l'accueille : il ne peut se déplacer de l'orbitale dxy vers les orbitales {dxz, dyz} en raison de la levée de dégénérescence effective
du niveau t2g initial. Pour ce qui est des deux autres électrons d du niveau électronique eg,
on constate qu'ils sont accueillis par deux orbitales dont les éléments de matrice sont non nuls avec l'opérateur moment cinétique tel que : dxz Lˆz dyz ≠0. Ceci n'est cependant pas suffisant pour observer la circulation des deux électrons puisqu'il faut pour cela être en présence d'une orbitale vide et d'une orbitale occupée. Au final, on aura donc bien un quenching du moment orbital pour le cas de l'ion ferryl de spin total S = 1 en champ octaédrique distordu.
Nous conclurons ce chapitre en précisant que ce blocage du moment orbital dans le cas des trois ions de fer précités ne restera pas total dans tous les cas. En effet, une partie du moment cinétique pourra être restituée sous la forme d'une perturbation, par la prise en compte des états excités, comme nous le verrons par la suite dans ce manuscrit.
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