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a) Les blanches colombes du Palais-Royal

Durant le Directoire, le Palais-Egalité ( c’est-à-dire le Palais Royal ) était un lieu malfamé et sale, où se tenaient des tripots, des maisons-closes. Achevées peu avant la Révolution, les galeries du Palais-Royal étaient devenues immédiatement le principal rendez-vous de la prostitution à Paris. La Terreur avait imposé une certaine discrétion à ces activités, sans les faire disparaître. Après le 9 thermidor, elles s’étalèrent à nouveau au grand jour. Ainsi, comme le raconte l’anglais John Dean Paul dans son Journal d’un voyage à Paris en août 1802 : « Dans le jardin et sous les arcades se trouve une fort mauvaise compagnie ; les filles y fourmillent indécemment nues et si effrontées qu’une femme bien élevée ne saurait passer à côté d’elles sans en être choquée et même offensée. »279 La

prostitution est fréquente et grandissante sous le Directoire, et devient un problème, comme on peut le lire dans le rapport du Bureau Central du 25 ventôse an IV ( 14 mars 1796 ) : « La Maison-Egalité est le cloaque, non pas seulement de Paris, mais encore de toute la République [...] Les femmes prostituées y sont

278 Au XIXe siècle, une grisette est une jeune couturière. Son nom vient d’un tissu du même nom, gris et souvent de laine, porté par les femmes ordinaires. Par excès, il est devenu synonyme de «femme légère». A ce sujet, voir Nathalie Preiss et Claire Scamaroni, Elle coud, elle court, la

grisette !, cat.exp., Maison de Balzac, 14 octobre 2011 - 15 janvier 2012, Paris : Paris Musée,

2011.

279 John Dean Paul, Journal d’un voyage à Paris en août 1802, Paris : Alphonse Picard et fils, Auguste Picard et successeur, 1913, chapitre VI.

d’une impudence qu’on ne peut peindre. Hier encore, vers les deux heures après midi, elles y raccrochaient publiquement... »280.

Si les prostituées du Palais-Royal se vêtissent comme les femmes de la Haute société, il n’en a pas toujours été le cas dans l’histoire de la prostitution. Comme tout groupe mis à l’écart de la société, dès le Moyen Âge, les prostituées avaient leurs propres costumes, pour les identifier en tant qu’impures et les mettre à l’écart des bonnes âmes par une marque ostentatoire. Par exemple, Michel Pastoureau dans Rayures. Une histoire des rayures et des tissus rayés, nous explique que dans le droit coutumier germanique du Haut Moyen Âge, de tels vêtements sont imposés ou réservés aux bâtards, aux serfs et aux condamnés. De même, dans les lois somptuaires et les décrets vestimentaires qui prolifèrent dans les villes d’Europe méridionale à la fin du Moyen Âge, ce sont tantôt les prostituées, tantôt les jongleurs et les bouffons, tantôt les bourreaux à qui il est prescrit de porter soit un habit entièrement rayé, soit, plus fréquemment, une pièce d’habit rayée ; écharpe, robe ou aiguillette pour les prostituées281. Il

s’agit d’instaurer une ségrégation par le vêtement. En effet, les prostituées eurent, au Moyen Âge, des obligations vestimentaires qui variaient d'une ville à l'autre. Tantôt, on leur interdisait de porter des joyaux et des orfrois, tantôt, au contraire, c'était aux femmes honnêtes de n'en pas mettre. Mais il est certain que, pendant très longtemps, les prostituées eurent soin de s'habiller d'une façon permettant de repéré sans équivoque leur genre d'activités, les éléments du maquillage, de la coiffure, etc. Toute tentative pour imposer un uniforme est resté vain, puisque, sous le Directoire, prostituées et Merveilleuses semblent être confondues par la population. Dès 1789, le débat sur la ségrégation semble être toujours d’actualité, puisque Laurent-Pierre Béranger écrit dans De la prostitution qu’il faut « affecter à ces demoiselles une couleur particulière, leur ordonner les grandes plumes & le rouge. »282 Béranger tente, probablement vainement, d’imposer quelques signes

280 François-Alphonse Aulard, François-Alphonse Aulard, Paris pendant la réaction thermidorienne

et sous le Directoire, Tome III, Du 1 ventôse an IV au 20 ventôse an V (20 février 1796-10 mars 1797), Paris : L.Cerf, 1900, p.55.

281 Michel Pastoureau, Rayures. Une histoire des rayures et des tissus rayés, Paris : Editions du Seul, 1995, p.20.

282Laurent-Pierre Béranger, De la prostitution. Cahier et doléances d’un ami des moeurs,

distinctifs, afin de pouvoir distinguer filles de mauvaise vie et femmes de bonne famille. Il évoque déjà, quelques lignes plus loin, les fréquentations du Palais- Royal, en insistant sur le fait qu’il faut « punir rigoureusement celle qui dans les rues et sous les arcades étalent leurs charmes sans pudeur. En été, on les voit danser à demi-nues. »283 Il est clair que les tentatives d’imposer aux prostituées

des marques de ségrégation sont restées sans effet. On les retrouve donc, sous le Directoire, au Palais-Egalité, vêtues tout comme les Merveilleuses, avec d’élégantes robes blanches, à l’antique.

En effet, les prostituées qui se trouvaient là portaient une tenue parfaitement identique à celle des Merveilleuses : elles mettaient leurs attraits en avant grâce à des robes fines et transparentes, moulant le corps [ fig. 150 ]. Ainsi, on lit dans Uber Paris und die Pariser de Friedrich Schulz en 1790 à propos des prostituées de Paris : « La Vénus n'est pas indigne de ce nom : c'est une brune fraîche, délicate [...]. Elle se montrait cet été dans un élégant négligé de la plus fine mousseline, qui la couvrait légèrement, et permettait, à chacun de ses mouvements, d'admirer le jeu gracieux d'une taille déliée, des hanches et des jambes [...]. »284. La seule différence visible entre prostituées et Merveilleuses

était probablement la qualité du tissu : si les Merveilleuses coupaient leurs robes dans de la mousseline ou de la gaze, les prostituées du Palais-Egalité possédaient des robes de lin, d’un coup bien moindre. Elles ne portaient pas non plus de sous-vêtements, ce qui devait être en lien avec leur activité.

Ainsi nous comprenons ce qui a pu tant choqué les contemporains des Merveilleuses : des dames de si bonne famille osaient porter le même accoutrement que des filles de mauvaise vie. Cette comparaison faite implicitement entre femme de la haute société et prostituée se prolonge jusque sous l’Empire, période pendant laquelle la robe de forme chemise continue d’enflammer la critique.

283 Ibid., p.12.

284 Friedrich Schulz, Uber Paris und die Pariser, 1790 ; cité dans Jules et Edmond de Goncourt,